Par flemme ou par choix, par je-m’en-foutisme ou par ras-le-bolisme, environ trois électeurs français sur cinq ne se déplaceront pas le 25 mai prochain pour voter aux élections européennes. Dans les 40% restants, plus de la moitié voteront pour un candidat de droite ou d’extrême droite.
Pour toute personne de gauche, le constat devrait être effrayant. Deux lignes vont gagner les élections sur notre territoire dimanche prochain. L’une prône la sortie pure de l’union, le cloisonnement, la quête identitaire nationale, l’autre la continuité d’une politique libérale musclée et un conservatisme socialement plutôt réactionnaire.
Pour compléter le tableau noir, la droite et sa droite risquent de l’emporter dans la plupart des pays de l’Union Européenne. Qu’est-ce que cela signifie ? Tout simplement que le libéralisme économique et son épée austère vont demeurer ligne de conduite bruxelloise et que son opposition la plus médiatique se trouvera sur les bancs (le plus souvent inoccupés) des eurosceptiques xénophobes.
Les mots peuvent paraître forts et pourtant, ils ne dessinent que le contour évident d’une bien triste dynamique. Ils sont aussi indispensables, je crois, tant l’intelligence de certains et la peur des autres les ont rendus inaudibles. Je veux dire, le front national n’est pas un parti « ni à droite, ni à gauche » comme voudrait nous faire croire Marine Le Pen. C’est un micro parti familial d’extrême droite, ultra nationaliste et, à bien des égards, raciste. Que Jean Marie Le Pen ne fasse plus de sorties négationnistes, que l’on en oublie son passé de tortionnaire en Algérie ou que l’antisémitisme frontiste se soit transformé en islamophobie ne le rend pas plus républicain.
De son côté, l’UMP a d’un point de vue sociétal depuis longtemps lorgné sur les terres frontistes (à leur décharge, le gouvernement socialiste s’y met également, j’y reviendrai) et économiquement propose bel et bien l’accentuation d’une austérité décriée et la confirmation d’une libéralisation peu soucieuse de l’intérêt commun (TAFTA).
« TINA[i] » : il n’y aurait donc pas d’alternative. Ceux qui croiraient en l’Europe devraient la considérer comme elle est aujourd’hui, les autres la refuser.
En tant que citoyen européen, je trouve le constat désastreux. Assis sur nos sept décennies de paix interne, ne voyons-nous donc pas que la guerre est à nos frontières (l’Ukraine) ? Nantis dans notre euro fort, ne voyons-nous pas les peuples souffrir (Grèce, Portugal, Italie, etc.) ? Avons-nous oublié que la démocratie n’a de sens que dans la solidarité ? Préfère-t-on ainsi défendre les intérêts de nos petits états-nations et de leurs puissants plutôt que ceux de tous et la vision apaisée d’un vivre-ensemble européen solidaire et fraternel ? Liberté, égalité, fraternité sont les devises du pays que défendent nos nationalistes à chemise noire, ou bleue, qu’ils ne l’oublient pas.
En tant que citoyen de gauche, souhaitant donc l’intérêt général et la solidarité des peuples, je trouve le constat horrifiant et accablant. Comme beaucoup, je ne me retrouve pas dans ce gouvernement socialiste. La seule idée d’avoir un premier ministre qui ait tenu des propos xénophobes lorsqu’il était à l’Intérieur (là aussi le mot est aussi juste qu’important) me choque et m’inquiète. Si la gauche, après avoir abandonné sur le terrain économique (la pensée unique est désormais adoptée), succombe à une droitisation sociale et sociétale (en gouvernance et sur le terrain des mots et idées !), que nous reste-il pour rêver ? Sans n’avoir jamais porté de grandes espérances sur François Hollande, je suis navré de reconnaître mon énorme désillusion.
Pour autant, sans avoir à trop chercher, je vois bien que l’alternative est esquissée et que des personnes tentent de faire valoir des valeurs républicaines et solidaires. Du front de gauche à Europe Ecologie, en passant par Nouvelle Donne et les Féministes, un autre cap est proposé, soucieux de notre environnement, de l’expression démocratique, de la justice, de l’égalité, bref, de l’humain et de sa vie en communauté.Voter pour ce type de parti sert à la fois à contester un parti socialiste dénaturé et à poser les pierres d’un nouvel édifice européen au visage plus humain et à la volonté politique plus philanthrope. Si l’on souhaite croire en une Europe unie pour le bien commun (et majoritaire !), ce sont ces partis qui devraient recevoir nos votes, nous électeurs de gauche (et contre lui, président).
Comment ainsi ne pas se sentir révolté par l’abstention si haute en France et si présente à gauche ? Que l’on ne croit plus au socialisme, c’est compréhensible au vue de la pratique du pouvoir actuel. Mais que l’on laisse notre destin aux mains de conservateurs déterminés et/ ou de racistes patentés, c’est inacceptable et pour tout dire irresponsable.
Aujourd’hui je lisais le TIME qui avait il y a plusieurs mois dressé un premier portrait de Marine Le Pen (déjà décrite comme « socially liberal » puisqu’elle se disait « pro-abortion »). Le titre de cette semaine est évocateur : « Can Marine Le Pen destroy the European Union from the inside ?[ii] ». Classée désormais à droite et non plus à l’extrême droite, Marine Le Pen pronostique dans l’article l’accession au pouvoir en France du front national en 2017. Les prochaines années seront donc capitales. En Europe, une fois la victoire des ultras nationalistes et des ultralibéraux acquise, le démantèlement deviendra possible et même probable (bien qu’il prendra du temps, comme la lente acceptation des idées lepénistes dans notre société). En France, une fois la victoire écrasante du front national dimanche devant les partis de gouvernement (envoyant une vingtaine de députés à Bruxelles !), la lente mais efficace ascension de Marine Le Pen au pouvoir se précisera. Trois ans peuvent suffire.
Une nouvelle fois, mon analyse pourrait sembler excessive. Par dilettantisme ou par élitisme, la gauche a du mal à imaginer l’accession au pouvoir de fascistes français. Elle serait bien avisée pourtant de se rappeler qu’avant l’Union Européenne le fascisme est arrivé au pouvoir essentiellement par les urnes, de constater que l’extrême droite au pouvoir en Europe, ça existe (la Hongrie par exemple) et enfin de reconnaître que l’accession aux responsabilités du front national ne semble plus effrayer les français, en témoignent les villes conquises par le rassemblement bleu marine.
L’abstention aux dernières élections m’avait déjà indigné. Quoi de plus concret qu’une élection municipale ? Comment peut-on estimer sanctionner un gouvernement national en ne votant pas localement ? Le résultat de tant de désinvolture est sans appel : six ans de politique droitière ou pire dans sa commune, et un réajustement droitier du gouvernement. Les partis de gauche et les listes composées de personnes issues de la société civile, avec des idées novatrices et solidaires, ne manquaient pourtant pas…
L’abstention aux prochaines élections européennes me scandalise d’avance pour les raisons évoquées et parce qu’elle discrédite le processus électoral, les prochains élus et l’action politique. Déjà, un président de la république obtenant 51% des votants n’est porté au pouvoir que par 39% des électeurs inscrits, le comble dans un système à majorité absolue ! Quelle est la crédibilité d’un tel mandat ? Quel sera celui de nos députés européens ? On pourrait s’en réjouir lorsque Marine Le Pen sera aux commandes mais ce serait en réalité lui donner raison. Ses succès électoraux dépendent de ce discrédit de la politique, de cette construction commune aux mains de technocrates, de l’exercice du pouvoir par des élus peu élus…
De la même manière qu’il m’a été permis de rêver à un sursaut démocratique en 2012 (bien qu’il n’ait pas pris la forme que j’aurais souhaité), je me permets de rêver à un sursaut populaire en 2014. Et pourquoi pas ? Pourquoi ne prendrions-nous pas une bonne fois notre avenir en mains en nous engageant dans la société? Pourquoi n’utiliserions-nous pas notre arme la plus puissante, le vote, pour donner vie à une Europe solidaire et optimiste ?
Ne laissons pas l’Europe aux assassins d’aube, pour reprendre l’expression d’Aimé Césaire.
[i] There is no alternative
[ii] « Marine Le Pen peut-elle détruire l’Union Européenne de l’intérieur ? »