Je m’appelle Dell.
En fait, c’est Delphine, mais tout le monde m’appelle Dell.
Ça m’a toujours fait une drôle d’impression.
Plus j’avançais en âge, plus je m’éloignais de moi,
avec en filigrane toujours cette même phrase qui revenait,
de façon permanente, encore aujourd’hui dans ma tête :
« C’est d’elle qu’on parle. »
Mais qui est Dell ? Où est-elle ?
C’est d’elle qu’on parle.
Inlassablement martelée par mes pensées,
cette phrase a fini par s’emparer de moi,
suintant par tous mes pores,
ne procurant qu’une envie :
celle de disparaître.
Je me suis alors mis en tête qu’il fallait que je devienne invisible,
que les gens ne devaient pas se rendre compte de ma présence.
Mais plus j’approfondissais l’expérience,
plus « c’est d’elle qu’on parle » me harcelait.
Petit à petit,
j’ai fini par ne plus m’exprimer,
ne plus parler,
ne plus manger,
restant des jours et des jours couchée sous les couvertures,
espérant que « c’est d’elle qu’on parle » s’évapore enfin.
Mais en vain…
J’avais beau me confondre avec les murs,
exécuter de rapides mouvements lors de mes brèves apparitions publiques,
pour que tout aille plus vite, vite, toujours plus vite,
cette phrase ne m’a jamais quittée,
me séparant de jour en jour, toujours plus de moi.
Il y a Elle,
qui s’efforce à être transparente.
Et moi,
qui, chaque jour davantage,
se voit ajouter une brique de plus
au mur qu’elle tente de mettre entre nous.
Je ne peux qu’être spectatrice de cette étrange étrangeté,
et je ne peux rien y faire.
Car si elle aussi l’entend,
moi aussi,
j’entends que c’est d’elle qu’on parle…