Mesdames, Messieurs,
Je souhaitais vous interpeller suite aux évènements qui ont eu lieu en Argentine.
Je vous interpelle en tant que maman de joueurs.
Je suis profondément choquée par ce qu’il s’est passé et je vous en veux.
Ma colère n’est pas gratuite, le fait que j’y vois votre responsabilité non plus.
Maman de joueurs donc, encore jeunes mais investis au plus profond d’eux-mêmes, mais aussi, issue d’une bourgade investie rugby. La proximité dans ma jeunesse avec “les rugbymen”, nommés ainsi, m’a laissé un goût amer, ce qui m’a longtemps opposé fermement à mes fils qui souhaitaient faire du rugby.
Leur volonté m’a fait flancher.
Et quand je vois ce qu’il se passe encore aujourd’hui, je suis en colère.
Ces jeunes ont tout juste 20 ans et ils ont été lâchés dans une troisième mi-temps.
Vous dites, je cite, lors de la conférence de presse du 16 juillet 2024 :
“Normalement, les joueurs pouvaient sortir en groupe, encadrés par d’autres joueurs plus seniors, qui devaient se charger de les faire rentrer et de commander des taxis. C’est ce que Baptiste Serin (capitaine sur cette tournée, NDLR) a fait. Mais d’autres sont restés. Ce n’est pas le staff qui est en responsabilité, ce sont les joueurs qui ont décidé de sortir du cadre. » Je ne doute pas que Baptiste Serin l’ait fait.
Mais,
“Comment raisonner des personnes qui ont une alcoolisation majeure?”
Comment se raisonner quand on est alcoolisé.
Le bon vieux slogan :
“1 verre, ça va.
2 verres, ça va…
3 verres, bonjour les dégâts.”
Et nous le savons tous, ce soir-là, c’était bien au-delà de 3 verres… je n’ose imaginer le taux d’alcoolémie.
20 et 21 ans, même s' ils sont majeurs, il n’en est pas moins qu’ils sont loin “d’être finis.” Et le groupe, qu’est ce qu’un groupe… Vous m’opposerez qu’ils n’étaient que deux. Mais à 2 on est déjà un groupe.
Un troisième joueur qui a fait parlé de lui un peu avant les faits, pouvait déjà nous laisser supposer que le taux d’alcoolémie aurait probablement pu s’inscrire dans les annales. Reprenons le sketch d’Artus.
Qui n’a pas rit ou ne s’est pas retrouvé dans ce sketch?
La première image fait référence à un gars qui raconte s’être fait “chié” dessus au sens propre alors qu’il s’était endormi d’avoir trop bu.
Quand on lui dit : “Mais c’est dégueulasse…”
Il répond: “Mais non, pas du tout, c’est un copain.”
Alors, deux aspects, d’une part c’est vraiment dégueulasse. D’autre part, si on accepte ça et qu’on le défend c’est qu’il y a aussi un lien fort entre les personnes, si tant est que ce lien ne soit pas toxique mais dans l’acceptation profonde du copain.
L’autre référence phare du sketch, la biscotte, fait purement véridique qui s’effectue avec des variantes.
Bon.
L’homme est un loup pour l’homme.
Le rugby est un sport d’équipe mais aussi de combat. II fait appel à l’animal qu’il y a en nous.
Le groupe, et nous savons que ce qui différencie le rugby d’autres sports collectifs, c’est que seul on affaiblit le groupe, c’est ensemble qu’on réussit.
Le groupe, donc, peut être une force importante positive comme négative.
Le groupe, fondamentalement, abolit les barrières et le discernement : ensemble on est plus fort et de fait on est susceptible d’être plus dangereux ou stupides.
Il est difficile d’être un individu avec un fonctionnement à part entière, différencié quand on est en groupe. Cela demande une véritable confiance et conscience de soi.
Alors, si on combine groupe et alcool avec ou sans substances associées, ça peut devenir un bon cocktail molotov.
Dans une société en perte de sens, encadrer un groupe qui doit se dépasser et faire corps ensemble, demande encore plus de vigilance notamment pendant la troisième mi-temps et les interstices dans lesquels se retrouvent le ou les groupes.
Prenons l’exemple du bus, cette année, un des club dans lequel joue un de mes fils, un club du top 14, il a été rappelé qu’il fallait respecter les transports et les hôtels lors des déplacements notamment à cause des tarifs préférentiels. Ce rappel à l’ordre faisait suite à un incident de plus ayant donné lieu à une menace de ne plus transporter les joueurs. La muraille de chine qui selon la mentalité de groupe peut s’avérer un vrai calvaire pour certains, l’alcoolisation parfois, les fesses collées aux vitres et j’en passe.
S’uriner dessus dans les douches, déjà à 10 ans, j’ai pu le constater.
Insulter les filles alors que l’équipe est alcoolisée et qu’une fille passe, elles peuvent se faire siffler, se faire traiter de salopes… Très marqué à mon époque qui était, elle, aussi marquée par ce que ces Messieurs nommaient les chevreuils. Le chevreuil est donc un individu au cheveu long qu’il était de bon ton de courser pour au mieux lui faire peur, au pire lui casser la figure. Tout ceci fait partie d’un folklore bien limite et quand un groupe un peu plus négatif qu’un autre s’en empare, qui plus est, alcoolisé nous pouvons aboutir à la sauvagerie la plus totale.
Être sauvage c’est ne plus être soi, ne plus pouvoir se penser comme sujet. Aussi, vous ne pouvez pas opposer que ces joueurs sont délibérément sortis du cadre.
Dans un certain sens oui, et leur responsabilité individuelle en répondra devant la justice. Mais dans un autre sens, non, car c’est collectivement que nous banalisons des comportements qui peuvent dans un certain sens devenir criminels.
La frontière est fragile, et c’est l’encadrement dans tous ses étages, les parents, les supporters, les joueurs qui doivent, ensemble, être conscients des actes posés même ceux qui nous apparaissent banaux, et encore plus quand on est en groupe.
J’ajoute un bon vieux dicton : “ le rugby ne se joue pas à 2 mais à 3 temps.
Avant, la ferveur. Pendant, la bravoure. Après, la fraternité.” Si le rugby se joue à 3 temps, ce troisième temps doit tout autant que les autres être balisé, encadré.
Être professionnel ou amateur, être joueur de rugby, devrait quoiqu’il arrive s’accompagner d’une posture, d’une éthique implacable pour véhiculer les valeurs qui rendent fiers tous les amoureux de ce sport.
Et c’est bien par l’accompagnement réflexif d’une posture, sur la mise en place de valeurs fortes respectées par toutes et tous au sens large, sur la non banalisation des responsabilisations de tout un chacun que le rugby continuera d’être vertueux.
Si le collectif est une valeur, dès qu’un joueur prend une licence le collectif devient de fait en responsabilité.
Merci de m’avoir lue jusqu’au bout,
Maud Cabos