Carabinée, virulente voire franchement hostile, la méchante grippe fait des ravages... comme chaque année. Je l'attends encore... trois ans déjà que je n'ai pas eu la grippe. Cet hiver, le terrain était pourtant particulièrement propice à l'infection. Ma mère, entre ses reniflements franchement agaçants, m'a craché ses poumons durant trois semaines, mon père s'est trainé plusieurs jours dans un pyjama transpuant de microbes (même le chat ne voulait plus aller sur ses genoux, c'est dire!) et ma soeur, enceinte, a résisté coûte que coûte sans médicaments à une pseudo grippe intestinale.
Sans parler d'une de mes amies qui se goinfrent de médocs homéopathiques depuis décembre et se rassure d'explications en tout genre : "C'est bien connu, me dit-elle, le stress, l'alimentation, le rythme de vie sont les vraies causes de la maladie. Il faut manger sainement, rester zen et tu résistes mieux aux virus". Et quand, triomphalement et non sans un brin de fiereté mal placée, je lui avoue que moi je ne fais rien de tout ça et que je n'ai même pas un petite toux, je vois, sur son visage rougi par un rhume de cerveau lancinant, le désarroi de mettre autant d'énergie dans sa lutte contre une maladie à laquelle je ne succombe pas.
Et oui, je n'ai pas la grippe, j'en suis fière autant que j'en ai honte. Je mange n'importe quoi, je vais dormir à des heures innommables, je fume, je ne fais pas de sport et par-dessus tout, je suis stressée. C'est peut-être ça le remède miracle, ne rien faire de ce qu'on nous dit... parce que la grippe, elle est mesquine! Mettez-vous à sa place, c'est bien plus drôle de s'attaquer à des corps en pleine santé qu'à ceux déjà verrolés par une mauvaise hygiène de vie.
Alors j'en viens à fantasmer. Je me crois douée d'une défense immunitaire hors du commun, d'un organisme doté de l'antidote universel contre la grippe. Je trésaille déjà en imaginant les entreprises pharmaceutiques convoiter mon sang précieux afin d'en faire des profits honteux. Là, c'est le côté délire égocentrique de l'affaire. Mais viennent ensuite l'angoisse et la honte: JE N'AI PAS LA GRIPPE! Donc, je ne suis pas normale, comme étrangère à un désarroi collectif ... ou pire je risque, à force de résister honteusement à la maladie, d'y succomber sec. Et vlan! mort subite au réveil... Chaque jour, je l'attends, ce frisson viral au petit matin qui vous fait dire qu'aujourd'hui la journée va être particulièrement pénible. Mais non, à chaque fois, fausse alerte. Je toussote et trésaille une demie seconde pour me rendre compte que si j'ai froid aujourd'hui, c'est parce que le petit pull en coton enfilé en précipitation ce matin, ça tient pas chaud en plein hiver...