Depuis l’annonce de la composition du nouveau gouvernement, le débat public se focalise sur l’interprétation du choix de l’historien Pap Ndiaye pour le poste du ministre de l’Éducation nationale. S’agit-il d’une réelle tentative d’ouverture vers une partie importante de la société française ? S’agit-il, au contraire, d’un choix dicté par une stratégie cynique qui vise à attirer les voix de cette partie du peuple de gauche plus sensible aux questions des minorités ? Assisterait-on plutôt à une tentative d’apaisement des tensions qui traversent le monde de l’enseignement en mettant en scène une rupture importante avec le programme défendu pendant cinq ans par Jean-Michel Blanquer ?
Depuis la nomination officielle les interrogations fusent, à droite comme à gauche sans pour autant éclairer les raisons du choix. Pourtant la question est d’importance car, selon les observateurs les plus avisés l’apport de Pap Ndiaye, au vu de ses travaux universitaires et de ses déclarations antérieures à sa nomination, ne peut qu’être en totale contradiction avec l’action d’un gouvernement entièrement dominé par les représentants d’une technocratie néolibérale : du monde de l’entreprise à celui de la finance.
Que pourra donc réellement apporter le nouveau ministre dans un espace aussi contraint?
Aucun des commentateurs sollicités ces derniers jours a su donner une réponse concrète à cette simple question. Que cache cette fascination soudaine pour un ministre de l’Éducation nationale issu du milieu académique ? Depuis la publication de la liste du nouveau gouvernement, l’ensemble des médias se centre sur cette « étrange » nomination d’autant que le ministre à peine nommé est victime d’invectives déversées par une extrême droite déchaînée. Tout le reste est manifestement oublié.
Force est donc d’admettre que le véritable but de cette nomination n’est que le fruit d’une stratégie consciente du parti présidentiel qui vise à déplacer les regards de la presse et de l’opinion sur des thématiques clivantes et extérieures au véritable projet politique.
On sait que, maitre du temps et maître de la manipulation politique, Macron a mis tout en œuvre pour empêcher l’ouverture d’un débat critique sur le premier quinquennat qui aurait pu nuire à sa réélection. L’incursion sur les thématiques de l’extrême droite, unie aux turbulences autour du météore Zemmour et aux contradictions de la gauche, lui avaient permis d’avancer masqué pendant la campagne présidentielle en évitant de dévoiler son programme et en jouant une fois encore sur la carte du front républicain.
À trois semaines du premier tour des élections législatives, la vague d’invectives qui s’est abattue sur la figure du nouveau ministre ne peut que jouer la même fonction de diversion de l’attention des média et du public en les détournant de l’appréhension des enjeux réels d’une élection extrêmement importante non seulement pour le futur de notre société mais aussi pour notre démocratie elle-même. Car, on sait à quel point il est crucial, pour la survie du débat démocratique, que les citoyens ne soient éclairés par la confrontation d’idées argumentées sur les projets et les enjeux du moment.
Dans les jours à venir, il est donc indispensable que tous les acteurs réellement préoccupés de la santé de notre démocratie et de notre société, essayent de contrer les stratégies présidentielles en évitant de rentrer dans le cadre de la confrontation houleuse provoquée par cette « étrange » nomination afin d’orienter le débat autour des projets concrets que porte ce nouveau gouvernement. Ce qui permettrait aussi de comprendre sous quelle forme et dans quelle mesure le président et sa nouvelle première ministre envisageraient d’inscrire dans leur programme des projets inspirés par la pensée et l’œuvre de Pap Ndiaye.
Un dernier point, à ce propos. Nous sommes nombreux, enseignants et chercheurs, à nous interroger sur les raisons pour lesquelles un chercheur comme lui, dont nous connaissions le sérieux, a pu accepter un poste dans un cadre si incongru et si éloigné de son travail et de ses recherches. Et donc de ses exigences.
Difficile de répondre. Peut-être une petite pointe d’ambition personnelle l’avait-t-elle porté à se croire en capacité d’imposer sa marque dans un environnement particulièrement hostile à la véritable réflexion sur la transmission des savoirs ? Or il est à craindre que, si la gauche ne parvient pas à assurer une force d’opposition importante, une fois assouvie la fonction de « distraction », notre collègue historien sera congédié au premier remaniement ministériel pour être substitué par un énième chercheur proche du monde économique et davantage féru des arcanes administratives. Faudrait-il lui conseiller de donner sa démission dès maintenant ? La question mérite attention