Le théâtre est sans défense devant ceux qui le font.
Nu, désossé, animal, quasiment, il est l’objet de tous les désirs, il est prometteur, voir émancipateur dans ses promesses.
Monologue de sourd, il porte dans ses soubassements les règles qui lui sont propres, son inconscient encore immaculé, et chaque fois, il est neuf. C’est le travail de répétition.
Nous, abasourdis de pénétrer dans l’autre monde.
L’aliénation foudroyante de l’entrechoquement entre fiction et réel, ça frotte.
Dans le discours qui s’en suit, le bouillon culturel s’impose comme nouvel art, comme figure libre, autonome, lieu de pensée, d’action, lieu de débat, mais révèle un malaise froid.
Le théâtre est aliéné ; aliéné par l’objet qu’il est : sulfureux. Désirable. Triomphant. Social. Reconnaissant. Il est amour. Il est beau et intelligeant.
Tel le phallus d’or, il se dresse aux plus hautes dignités artistiques, beauté et savoir érigés, exhibés à qui mieux mieux pour la volupté du public désirant/désireux d’être lui aussi transpercé de fond en comble par la sacrée sainte bistouille du guignol. Sans public notre théâtre ne serait pas. Il y a dès lors, le nécessaire désir des entreprises culturelles. Laisser dire que tout, enfin, tout est possible. L’exercice s’enroule sur lui-même, l’objet enfin accessible au sujet. Les images se propulsent, s’alimentent, se régénèrent d’elles-mêmes, les salles se remplissent, les dossiers artistiques se multiplient, les théâtres croulent sous les demandes de productions.
Commence ici l’aliénation, la dépossession pour les uns, la possession pour les autres.
L’outil transférentiel amour, initialement œuvre et pensée, est rabaissé en second plan ; la résistance est créée. Place à l’aliénation, au sens premier : c’est à-dire, l’autre, l’étranger, son désir d’appartenance au milieu, sa justification, conflit des pulsions retoquées vers le moi, ça castre par ici, et vlan.
Le petit jeu du chat et de la souris.
Transfert mal négocié, re-vlan.
Ça se court après, s’évite, revient, l’un sans l’autre n’existe pas : « ce que l’on cherche dans la parole, c’est la réponse de l’autre » dit Lacan, et là le bât blesse.
La souffrance apparaît comme une épée d’acier, lourde l’épée, lourde et véritable, au dessus de la tête.
Tue le père, trace ta route, paye tes fautes et bosse un peu fainéant, mais surtout pense, pense à être, pense à ce qui ne se pense pas, pense à ce que tu penses qui ne se pense pas et dis-le, dans un souffle unique et franc de l’acte d’affranchissement de toi.
De toi à toi, au plus près de soi, de toi à toi en passant par l’autre en faisant le détour chez l’autre, dans le geste de ta pensée faire le travail de la vérité connue de toi seul, fourvoyé par toi seul et délivré dans un discours vrai qui porte la valeur folle de ta valeur propre.
Mais ne croyons pas que quiconque soit épargné, car du petit jeu du chat et de la souris il n’y a qu’un pas pour que le jeu devienne celui du chien et du chat du tigre et du chien etc.
Pourrait-on parler de désir d’ascension ?
Désir de franchissement social ?
Désir de franchissement de soi ?
De désir énigmatique, de reconnaissance dans la noblesse d’un penser « juste » ?
Désir d’atteindre une esthétique intérieure comme place sociale, intime, familiale, faire plastique de sa propre existence et de l’image de celle-ci ?
Emblème et symbole si parfaits, netteté préoccupante/névrosante, sublimation de la production et de l’administration.
Jouissance narcissique : artistique.
Jouissance dans le discours intercepté/arrêté ?
La séparation, l’exclusion comme riposte : une aliénation du discours, de la parole coupée.
L’ascension continue, les imageries élémentaires, voire régressives ressurgissent comme la pulsion d’ingestion première, préhistorique.
Dans les éclairages verts, les fumigènes envahissent les espaces, ça rêve de rêves, de flou, à la lisière d’un inconscient inconscient, ça se décomplexe, ça fait science du théâtre.
L’objet libidinal théâtre comme reflet de la société, au-delà des modes de représentations, c’est le système entier qui est représentatif et en souffrance.
Les praticiens introduisent un pré-transfert, ils voudraient dire, « aime-moi, je dis la vérité », ils commanderaient de certifier ce qu’ils savent eux comme étant la vérité.
C’est l’engagement de tout l’être qui est chambardé sur le chemin qu’il souhaite mener, qu’il se souhaite, marcher dans les pas déjà tracés, déjà commis d’une image acceptable, selon soi, dans laquelle chacun veut/peut se perdre, jusqu’à son évanouissement, dans les brumes jaunes et vertes des fumigènes, foutue appétence initiale du sein, boîte noire, utérin sanguinolent réparateur, détenteur de l’authenticité, actionnaire de l’exactitude, héritier de la règle.
"Mais pourquoi le héros de la tragédie doit-il souffrir, et que signifie sa faute « tragique » ? Nous couperons court à la discussion par une réponse rapide. Il doit souffrir parce qu’il est le père originaire, le héros de cette grande tragédie immémoriale qui trouve ici une réitération tendancieuse, et la faute tragique est celle qui doit prendre sur lui pour décharger le chœur de sa faute. La scène représentée sur le théâtre a procédé de la scène historique par une déformation appropriée, on pourrait dire : au service d’une hypocrisie raffinée." [1]
Frédéric Mauvignier
http://www.frederic-mauvignier-psychanalyste-98.webself.net
[1] Sigmund Freud, Totem et tabou, Éd. Flammarion, Paris, 2015, p.264.