Si la voix est le prolongement du corps comme le dit Claude Régy, le silence est alors sa continuation. Prolongement donc mais aussi genèse si on considère le silence comme espace réflectif. La parole vient rompre le silence, c’est le franchissement, le passage à l’acte. La parole est un bruit qui pense si je trafique un peu la pensée de Victor Hugo qui le disait à propos de la musique, « la musique c’est du bruit qui pense ».
Les silences s’exposent quant à eux dans l’ensemble de la proposition parler, ils sont à la fois nécessaires à la mise en tension, c’est-à-dire à l’écoute de la vérité, et nécessaires à la respiration du discours. Ils réajustent la parole. Ils font partie de la parole.
Le silence est une pensée qui parle.
Mouvement de la parole, le danser de la phrase comme posture ou im-posture verbale, le mouvement du dire fait apparaître la structure du discours. C’est le mouvement de la parole qu’il faut suivre : forme des phrases, silences. Silence ou immobilité de la parole. Une suspension du désir de l’autre. Car le silence prend sa valeur avec l’autre, s’il est écouté par l’autre, si l’autre est là. Le silence n’est présent que lorsqu’il est rompu, le tictac du réveil, le goutte à goutte du café, les bruits de bouches. Le bruit-parole est l’objet regardé, focussé.
Quand les Sioux du Dakota voyagent, ils s’arrêtent fréquemment pour que leurs âmes puissent les rejoindre m’a-t-on dit, je ne sais pas si l’histoire est vraie, mais j’attache une importance à croire celle-ci. Par le silence, la parole, le sens, parvient dans le temps nécessaire à l’assimilation de la pensée. Les silences se chargent de l’action verbale qui les précède et les révèle. Ils sont absolument nécessaires pour une écoute et une vision affinée du parler, ils permettent la restitution en détail, un échange de fond. Si l’hypnotique que l’échange silencieux propose est force de proposition il doit trouver une adéquation avec le verbe, un juste milieu, le silence est ici régulateur.
D’autre part, la figure importante du Sioux est dans sa posture de l’être là, là aussi dans son silence, une sagesse regardante, écoutante.
Le discours embrasse le désir d’être reconnu, être accepté ; cette langue qui par la bouche constitue, formule l’avancement de l’évocation, la mise en discours, c’est-à-dire l’outil même de la pensée, le matériel biomécanique de la caractéristique humaine : le chemin de son raisonnement. La bouche comme révélateur du secret. C’est l’acte fondateur d’une réalité inconsciente, c’est le pilier de tout mouvement de pensée. C’est par là que tout commence, tête, bouche, langue, la « pulsion d’ingestion » comme Freud définit la libido.
Frédéric Mauvignier
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Cet article est paru dans le journal de SOS amitié / www.sos-amitie.com