Non-moi de moi c’est toi
Difficile de ne pas satisfaire notre désir d’attacher par l’anneau sacré du langage ce couple merveilleux de l’interdit et de l’immoralité : l’emprise qu’on regarde par la lorgnette de la perversion ; duo démoniaque du pervers et du narcissique, qui plus est, manipulateur. Essayons de nous extraire de cela et de faire un brin de toilette à cette notion qui ouvre sur un abyme d’interrogations.
Tout sujet est sous l’emprise d’un autre.
Allons voir du côté du commencement ; la dépendance de l’enfant. Il a des besoins. Il a besoin pour survivre d’être nidifié, c’est-à-dire, prit en charge en terme de soin, d’hygiène, de nourriture, d’attention, d’affection. D’être sous l’emprise d’un autre accueillant, aimant qui palit à ses besoins. Question de vie ou de mort, il n’a au départ, aucune défense, il est lié, pieds et poings liés à la parentalité. Il est nourrit, lavé, habillé, pouponné, aimé, chéri etc.
Quand l’enfant a faim, il crie. Quand l’enfant a mal, il crie. Quand l’enfant veut, il crie. La réponse ne se fait pas attendre. Et notre cher et tendre chérubin se voit ici rassasié par l’attention portée sur lui, ce qu’on appelle l’amour. Au commencement, ce chérubin c’est le centre, le cœur si j’ose dire du foyer, il constitue le foyer. La parentalité ici lui semble être une gigantesque puissance, et il n’a pas tort le petit. Ce centre c’est le phallus parental, ce que nomme Angelica Lidell comme « le supplément de dignité ». L’enfant phallus.
Trans-Faire/Faire-Don
L’échange entre l’enfant et le parent est total, fusionnel. Chacun fait don. L’enfant donne le phallus. Le parent donne la nourriture au sens large de la nourriture. Le parent est celui qui est, à ce moment là, le prolongement de l’enfant, c’est-à-dire, son objet. L’enfant a besoin de l’autre, ce grand Autre qui sait, qui fait, qui maîtrise pour lui ce qu’il ne sait ou ne peut maîtriser lui-même. Plus tard, ce grand Autre prendra d’autres figures, une Océanie freudienne tel que la religion et la politique.
« Le nouveau-né n’a pas séparé le non-moi de moi de sorte que par définition le non-moi ou l’environnement fait partie du moi du point de vue du moi et du tout petit. » D.W. Winnicott (sur l’envie et la jalousie, 1969)
L’enfant accepte tout du parent, le meilleur et le pire, il croit et il est à la merci de cette structure : Enfant/Père/Mère (structure Oedipienne selon Winnicott). L’enfant, la mère et le phallus comme dit Lacan. C’est dans cette structure qu’il se reconnaît, qu’il va grandir, s’apprivoiser, apprendre, se rendre autonome, se personnaliser dixit Winnicott ; pour l’heure, avant la personnalisation (encore Winnicott), notre nouveau-né est dépersonnalisé (toujours Winnicott), dépendant, en formation dans sa structure d’accueil, sa structure psychique fondatrice.
L’ objet Autre
L’emprise est si forte que si le parent disparaît (même momentanément) la crispation est pathogène, terrible. L’enfant est sous le dictat de ses parents, c’est avec eux, dans leurs mains que l’on espère bienveillantes, qu’il s’en remet pour venir au monde et faire ce que tout sujet doit faire, c’est-à-dire, devenir soi. Pour se faire, l’enfant fait des pieds et des mains et mène le parent par une négociation, dont l’emprise joue un rôle importante, capital, nécessaire ; ils doivent être à son service, il doit en être sur. Cette emprise amoureuse est une condition à une élaboration saine du sujet. La pulsion d’emprise du sujet précède le stade anal, c’est-à-dire, la séparation. Avant le stade anal, l’enfant, le petit sujet, ne conscientise pas l’autre comme sujet mais comme objet. L’enfant producteur d’objet lui-même devient soi, accompagné de ces parents le félicitant de la belle selle ! L’enfant grandit et change d’objet. Passage délicat si j’ose dire. La conduite d’emprise de l’enfant à ceci de particulière qu’il ne désir pas faire souffrir ses parents, il souffre de la séparation, du manque d’objet initial : l’objet parental. Il retient alors l’objet nouveau jusqu’au jour ou, quand il le lâche, un nouveau monde alors s’ouvre à lui, il a prit conscience de son périnée, il fait don, la famille est heureuse.
Mais revenons à nos moutons.
Rejouer le nouveau-né rejouer l’amour rejouer la structure
La question de l’emprise ici est relative à la vulnérabilité de l’enfant du fait de son non-moi, l’emprise ici est un mécanisme de survie. Entre un analysant et son analyste on parle de relation transférentielle, horizontal peut-être (même si le patient est vulnérable le patient est sujet [sujet avec un moi, même désorienté il est là] ce qui ne peut en faire une relation d’emprise). Ce transfert est rendu possible par l’analyste parce qu’il est « le sujet supposé savoir » dixit Lacan, un grand Autre, une Océanie du savoir. Le patient vient retrouver les fondations de sa structure, rejouer la structure. Aller dans un cabinet d’analyste, c’est faire don. La nourriture s’échange au sens large de la nourriture, c’est-à-dire l’amour, rejouer l’amour. C’est avec cette condition que l’analyse peut cheminer, jusqu’à l’autonomie. Une autonomie obtenue à la force d’une auto-emprise structurelle, à contrario de la forclusion (le rejet), une Océanie parentale, environnemental, une projection.
Frédéric Mauvignier
À paraitre pour le journal de SOS amitié
https://www.sos-amitie.com/
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