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Billet de blog 24 mars 2017

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UNE RECONNAISSANCE

« La question de la finalité de la vie humaine a été posée d'innombrables fois ; elle n'a jamais encore reçu de réponse satisfaisante. Peut-être n'en n’accepte-t-elle tout simplement pas. »[1]

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

             Pour tailler cette introduction comme on taille dans le steak du c’est quoi ça : la reconnaissance ; je vais, essayer du moins, passer par l’irréductible Robert, qui, jusqu’alors, il est vrai, est la chose la plus complète et la plus horizontale qui soit, c’est-à-dire, l’explication des mots par les mots, un monument des lettres.

J’ouvre donc la bête à RE puis à CO puis à naissance puis à RECONNAISSANCE puis je pousse cette folie, ce vice jusqu’à la renaissance. 

J’ouvre le ventre de l’ouvrage. D’abord : le préfixe re- indiquant un mouvement en arrière qui expriment : le fait de ramener en arrière, le retour à un état antérieur, la répétition.

Je continue dans la décomposition. Co- réunion, adjonction, simultanéité.

Je continue. Naissance

1°) Commencement de la vie indépendante  (caractérisé par l’établissement de la respiration pulmonaire) ; moment où le fœtus est expulsé de l’organisme maternel.  Donner naissance à, (…). 

Je continue avec la bête.

Reconnaissance justement :  n.f. (1538 ; reconuisance « signe de ralliement » , 1080 ; reconissance « gratitude », 1180 ; de reconnaître).

1°) Le fait de reconnaître, d’identifier un objet, un être comme tel ; (…). Acte de juger qu’un objet a déjà était connu. (Un objet/un sujet). Psycho. Processus par le lequel une représentation mentale actuelle est reconnue comme trace du passé. On distingue l’évocation, la reconnaissance et la localisation des souvenirs. Fausse reconnaissance. V. Paramnésie.

2°) (1680) Le fait de se reconnaître, de s’identifier mutuellement. Signe de reconnaissance finale dans les comédies classiques.  Signe de reconnaissance, par lequel des personnes qui ne se connaissent pas (ou qui ne se sont pas vues depuis longtemps) peuvent se reconnaître.

Action de se reconnaître, d’accepter, d’admettre.

3°) (…) Aveu, confession (d’une faute). La reconnaissance de ses fautes.

Le fait de reconnaître pour chef, pour maître. Reconnaissance d’un souverain.

4°) Le fait d’admettre (une chose) après l’avoir niée ou en avoir douté. La reconnaissance d’une qualité chez quelqu’un.

5°) (1587, militaire). Examen d’un lieu, détermination d’une position inconnue. V. Exploration.  (…) Prospection, sondage.

6°) Action de reconnaître formellement, juridiquement. Reconnaissance d’un état. Reconnaissance de gouvernement, par laquelle reconnaît la légalité d’un gouvernement  issu d’une révolution.

Dr. Admin. Reconnaissance d’utilité publique, dont bénéficie une association, une fondation privée.

Dr. Civ. (1804). Reconnaissance d’enfant naturel ou adultérin : acte par lequel une personne reconnaît être le père ou la mère d’un enfant.

Cour. Reconnaissance de dette : acte écrit par lequel on se reconnaît débiteur envers quelqu’un.

(1538). Sentiment qui pousse à éprouver vivement un bienfait reçu, à s’en souvenir et à se sentir redevable envers le bienfaiteur. V. Gratitude

La reconnaissance du ventre, se dit des bonnes dispositions où l’on est envers celui qui vous fait manger,  vous offre à manger, à boire : reconnaissant. 

Et enfin la renaissance : le fait de renaître. Nouvelle naissance. Réapparition ou nouvel essor d’une chose (société, institution, activité intellectuelle, (artistique).

La bête se referme, point.

Donc : Ramener en arrière collectivement (en réunion, avec l’autre, par l’autre) le commencement de la vie indépendante, l’expulsion de l’organisme maternel. C’est à partir de ce cadre que je dis « une reconnaissance », et non « la reconnaissance ».

La reconnaissance est une seule reconnaissance, gratitude de toi constituante de moi et/ou : phallus de moi mère.

Tu me reconnais maman dans ton large sourire, ton amour, alors cela me rend fort et puissant, invincible. C’est l’expérience de la satisfaction qui est mis à l’épreuve du manque, la séparation maternelle, la disparition du sujet dans l’objet, une première forme d’addiction, et je reprends le titre gigantesque de Proust, « La recherche du temps perdu ».

         La recherche du temps perdu

(…) La reconnaissance renvoie toujours au désir d’être[2]. Désir d’être. Celui ou celle que nous avons été, minuscule alors, dans le couffin, l’objet de tant de désir, d’attention, le regard amoureux, lumineux qui guette, qui vous guette, un œil sur vous, œil implacablement rivé sur l’objet de toute puissance, symbole de la toute puissance, phallique du nourrisson. N’a-t-on jamais entendu ce mot d’amour, craquant de trop d’amour, « j’ai envie de te croquer » ? Notion cannibalique parfaitement  illustrée par la terrible histoire de Issei Sagawa[3]. Amour charnel, décharné. Désir d’être, de reconnaissance et reconnaissance de l’amour charnel. Le nourrisson impulse le cri, le pleure, et sitôt le voilà rassasié de l’appétit charnel qu’il a d’échange nourricier, nourriture au sens large avec sa mère.  Il crie. « Et ce cri était un long cri qui ne s’arrêta jamais »[4] dit la mère dans Des idiots nos héros en buvant du porto jusqu’à l’enivrement.  Il crie. Il veut mettre faim[5] à sa vie sans nourriture, sans amour. Il est l’objet de toutes les attentions, de tous les désirs. La maternante est addictive pour l’enfant, il en est dépendant pour vivre, c’est sa nécessité de l’Autre, et c’est dans ces conditions que son émancipation est rendue possible, non pas par l’amour cannibalique de la mère, mais par le désir cannibalique de l’enfant pour la mère cannibale. Cris et pleurs, langage nourricier, ramener sa fraise comme on dit, processus de la culbutée des tensions, pulsion du langage. L’acte nourricier comme moteur mécanique du langage. La pulsion répond à l’addiction. Pulsionnelle réponse immédiate au manque. Manque pré-phase-phallique. Manque pré-latence. Manque Œdipien causé par ce complexe. Les pulsions se creusent, se refoulent, se transforment, et c’est là que notre affaire capote. L’inconscient rectifie le tire, il en refait une lecture supportable, la pulsion est déplacée. Déplacée mais inchangée, l’initial reste initial. C’est la recherche du libidinal perdu. Perdu de vue de la conscience, l’inconscient rit sous cape, il sait, tout bas, ce qu’il en est des origines. Il rit sous cape dans l’idée que dans l’aliénation du sujet et de son objet, tôt ou tard, la question sera à nouveau sur le tapis, et ça gagne à être connu, être reconnu, encore. La reconnaissance est en mouvement, circulation de l’un à l’autre, à l’autre, le grand autre. 

« L’embryon est impossible à discerner chez l’adulte, le thymus que possédait l’enfant est remplacé après la puberté par du tissu conjonctif, mais lui-même n’est plus là ; dans les os creux de l’homme mûr, je puis certes dessiner les contours de l’os de l’enfant, mais cet os a disparut en s’allongeant et s’épaississant jusqu’à prendre sa forme définitive. »[6]

                 Ce qui a été est modifié, les traces seulement d’un passage restent, dont le sujet possède l’infime substance d’un savoir lointain, qui se frotte et qui frotte, impalpable ment, imperceptible ment mais présent, enfoui en lui, son histoire intime, son évolution particulière, singulière, son mensonge véritable, de la plus vraie des vérités, le mensonge de son symptôme, sa frondaison à l’objet. Dans le mensonge il faut entendre refoulement naturellement, mais en la matière, de ce que je crois sentir, accepter, tout et rien se composent de la même substance, tout et rien est naturel : uniforme. L’enfant sujet, objet de lui-même se coupe et dans le fracas de cette coupure se sépare dans le meilleur des cas. L’addiction, elle reste, belle est bien là, et dans le meilleur des cas, elle est moteur, elle est à l’intersection du sujet et de son objet, c’est dans le mouvement du vouloir que cette secousse permet l’avancement, les franchissements, les oppositions ; cette addiction, cette aliénation propose des allées et venues, des avancées. Dans le meilleur des cas. Dans le pire des cas, cette recherche du temps perdu prend des formes objectales plus contraignantes, dont le pulsionnel insuffle comme une dernier souffle, une résistance frénétique, inépuisable, insatiable : océanique.

« (…) faire reconnaître son désir signifie faire reconnaître son manque. (…) L’opération même par laquelle le désir se signifie sous la forme d’une demande est une façon de se faire reconnaître. En d’autre termes, parler, c’est employer à faire reconnaître le désir. »[7]

                   L’Océanie transferentielle

            Espace placentaire et océanique comme cordon vers l’autre ou l’Autre (symptômes et autres objets).

« (…) le sentiment de quelque chose d’infini, d’illimité, de quasiment « océanique ». Ce sentiment était selon lui un fait purement subjectif, non un article de foi ; il ne s’y attachait aucune assurance de survie personnelle, mais il était la source de l’énergie religieuse captée par les églises et les divers systèmes religieux, où elle se trouvait canalisée et sans doute aussi consumée. En se fondant uniquement sur ce sentiment océanique, on avait le droit de se dire religieux, même si l’on récusait toute foi et toute illusion. »[8]

(…)

« L’action des stupéfiants, dans le combat pour le bonheur et pour tenir la détresse à distance, est estimée comme un bienfait au point qu’individus et peuples lui ont aménagé un poste fixe dans leur économie libidinale. On leur sait grâce non seulement du plaisir immédiat qu’ils procurent, mais aussi d’une portion, ardemment convoitée, d’indépendance par rapport au monde extérieur. On le sait bien, avec l’aide du « brise-soucis », l’on peut à tout moment se soustraire à la pression de la réalité et se réfugier dans un monde à soi, aux meilleures conditions de sensation. Il est connu que c’est justement cette propriété des stupéfiants qui constitue leur danger et leur nocivité. »  [9]

(…)

« Si nous sommes ainsi tout à fait disposés à un sentiment « océanique », et si nous inclinons à l’attribuer à une phase précoce du sentiment du Moi, la question qui se pose est ; qu’est-ce qui autorise à voir dans ce sentiment la source des besoin religieux ? Il me semble que rien n’y oblige. (…) Pour les besoins religieux, les déduire du désarroi infantile et du désir du père qu’il suscite me semble irréfutable, d’autant que ce sentiment ne se prolonge pas simplement à partir de la vie de l’enfant, mais qu’il est constamment perpétué par la peur qu’inspire la puissance écrasante du destin. Je ne saurais citer de besoin issu de l’enfance qui soit de force comparable au besoin de la protection paternelle. (…) Cette façon de ne faire qu’un avec le Tout (…) »[10]

Grand Tout donc ou Océanie transférentielle. L’ouïe. La vue. L’odorat. Le goût. Le toucher. Grand Tout grand Autre. Un dispositif de l’Autre. L’autre comme stimuli, comme reflet dans lequel je me reconnais, je m’identifie : jeux, sexe, drogues, alcool, tabac, nourriture, philosophie, religions, sport, travail, excessivité ménagère et tutti quanti. L’addiction objectale transférentielle dans laquelle je me projette, je me reconnais, j’existe. Symptôme d’un mal-être, produits de substitutions, évitement du malaise, déplacement de l’angoisse : déni dans un premier temps, refoulement dans un deuxième et analyse dans un troisième temps. Il y a discordance entre sujet et tourment du sujet, culpabilité de s’infliger un tel mensonge vrai, véritable porte-à-faux vertigineux. C’est quand la densité de culpabilité est trop large, qu’elle submerge, qu’elle immerge, que la demande de thérapie s’organise. « Je ne m’en sors plus, je dois aller voir quelqu’un ». Sous-entendu quelqu’un qui me reconnaît dans ce que je suis, quelqu’un de confiance à qui je peux montrer le sujet que je suis, qui je suis, moi comme sujet. Le sujet ne veut pas donner, il veut présenter son angoisse. L’océanique addiction peut se transposer, si le dispositif le permet, si les conditions sont requises à l’analyste pour un transfert, une égalité de sujet à sujet, un rapport horizontal, charnel, une mise à disposition cannibalique pour le sujet qui, à son tour par la régurgitation du langage, procède à la dévoration de l’objet et en saisit le goût, c’est-à-dire, son sens. L’analyse peut, peut-être, commencer.

« Le symptôme est cette parole en manque de destinataire. »[11]

 Cette Océanie est vagabonde. Et vogue la galère. La traversée tumultueuse, parsemée d’embuches et de joies, la tasse est bue souvent puis recrachée. La route à travers les eaux se file, et la mer se fissure, se coupe sur le passage et le sujet y inscrit son histoire intime, marquée de quête vorace et impuissante, clinique d’une discorde, entre le « ce que je veux, ce que je suis, ce que je voudrais être. » Quand il montre son parcours, ce parcours du combattant, c’est son précieux, c’est son trésor précieux qui lui appartient,  c’est son objet précieux, son phallus précieux, son phallus qu’il montre. Et dans l’exposition il y a tout les danger d’une mer déchaînée. Le risque encore que cela tombe à l’eau. Il recommence, il continue, le sujet.

Cette Océanie rôde et trompe. Vogue la galère. Traversée agitée, embuches et cris de joies, la tasse est bue puis recrachée. Fissure de la mer, se coupe du monde sur son passage, c’est son archive originale, marquée de la recherche, clinique d’une discorde ; « ce que je veux, ce que je suis, ce que je voudrais être. » C’est son précieux phallus, un phallus d’or, puissant et rude ! Et dans l'exhibition il y a tout les danger d’une mer déchainée, une entrave : la castration. Le risque encore que cela tombe à l’eau, castration encore, couperet par lequel il est mis en joue. Castration, il recommence, castration, il continue, castration, il fouine, castration et tutti quanti.

La question de la finalité humaine comme la pose Freud, ne se résout pas, n’empêche, il y a dans le chemin qui mène à la finalité, un parcours insatiable, un ressassement en quelque sorte, une obsession de la découverte nouvelle, libératrice d’un désir premier, dans l’éclat d’un premier regard, d’une première odeur, d’un premier son, d’une première nourrice, c’est le nœud sur lequel est noué un destinataire fantôme, illusoire, castrateur. Si, comme dans le mythe de Sisyphe, le sujet roule son caillou, c’est qu’il a espoir que le chemin parcouru ne soit jamais le même, mais y a-t-il quelque chose de plus terrible de perdre ses propres repères, sa propre organisation ? Pourtant, essayons de pousser ou de laisser un caillou faire et refaire le chemin à l’identique, cela est impossible. Chaque fois le sillage se modifie, s’agrandit, se fraie un nouveau chemin non loin du précédent. Dans l’avancement de la vie, le sillon se creuse tantôt vers le Moi tantôt vers l’Autre et parfois jusqu’à l’aliénation. L’addiction temporise ce mouvement d’avancée, c’est là, dans le hic et nunc, notre meilleur ami, fidèle, comme flot ininterrompu fait à l’image de cette Océanie, ce Tout. Le sujet y croit mordicus, c’est sa réalité rendue réelle. Plus encore, il y revient, par le chemin de l’évitement, modifié à peine, maquillé à peine. Car après tout, il sait bien ce qui se trame tout bas et qu’il faudrait dire tout haut. Le mascara fait illusion, illusion se fait. Dans cette addiction première, originelle, la partie se rejoue inéluctablement dans le jeu d’objet réattribué, comme au premier jour, avec le désir, le besoin, une faim, une soif viscérale, une mer à boire, infatigable, que les cris n’apaisent plus aujourd’hui, d’une charnelle et impossible reconnaissance cannibalique.

Frédéric Mauvignier

http://www.frederic-mauvignier-psychanalyste-98.webself.net/


[1]Freud Sigmund, 2010, Le malaise dans la civilisation, Paris, Éditions Point, P.62. 

[2]Clotilde Leguil, 2013, La reconnaissance, http://www.consecutio.org/2013/04/de-letre-a-lexistence-lau-dela-du-desir-de-reconnaissance-chez-lacan/

[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Issei_Sagawa

[4]Moreau, 2013, Des idiots nos héros, Paris, Éditions Théâtre Ouvert, P.26.

[5] V. Article Mettre mots / Mettre fin, janvier 2017, https://blogs.mediapart.fr/mauvignier/blog/290117/mettre-mots-mettre-fin

[6]Freud Sigmund, 2010, Le malaise dans la civilisation, Paris, Éditions Point, P.55. 

[7]Clotilde Leguil, 2013, La reconnaissance, http://www.consecutio.org/2013/04/de-letre-a-lexistence-lau-dela-

[8]Freud Sigmund, 2010, Le malaise dans la civilisation, Paris, Éditions Point, P.44. 

[9]Freud S., ibid., P.67. 

[10]Freud S., ibid., P.56. 

[11]Clotilde Leguil, 2013, La reconnaissance, http://www.consecutio.org/2013/04/de-letre-a-lexistence-lau-dela-

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