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Billet de blog 29 janv. 2017

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METTRE MOTS / METTRE FIN

DIRE : VOULOIR METTRE FAIM À SES JOURS SIGNIFIE-T-IL QU’IL Y A ENCORE DE L’APPÉTIT ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le suicidant : avoir le dernier mot, couper cour à la conversation, ne pas attendre de réponse.  Donner par le passage à l’acte la riposte la plus précise, la plus radicale, la plus infinie qui soit, refuser le débat, mettre un terme, poser le terme, laisser sans voix.

Le dernier acte du suicidé est la parole ultime, la parole du réel, dans le réel indéfectible, bientôt seule résonance du souvenir, celui de l’absent. Il laisse une marque, la trace indélébile qui se porte par ceux qui restent, par ceux qui ont les traces du remord, de la culpabilité, de la faute intérieure, immortel dernier mot. L’acte de suicide comme dernière parole, un impossible retour.

Pourtant, quand il est annoncé, je dis bien quand il est nommé, évoqué comme un effet de déclaration, de sommation : halte ou je tire, écoutez ou je tire, on en est peut-être pas tout à fait là, ce ou propose un choix (la bourse ou la vie de Jacques Lacan dans les Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse), une articulation dans laquelle le travail de l’écoute va venir non pas clôturer mais continuer, ouvrir en quelque sorte un sens. Évoquer propose un change. Ce qui me constitue, dit Lacan, c’est l’autre. Il y a encore à être reconnu dans la solitude, la douleur, l’impossibilité du devant, l’impossibilité du quotidien. C’est donc la question de la reconnaissance encore qui est sollicitée au moment où le suicidaire annonce son projet, il a encore faim d’être identifié par l’autre comme souffrant, vivant.

Empêcher le dernier mot consisterait-il à être-là, à l’écoute, pour que la parole, le silence, la présence soit à l’état de palliatif, substitut à la douleur évoquée, au projet annoncé ?

Dans l’effet d’étirement de la parole et de la temporalité, repousser le moment du passage à l’acte, esquiver la sentence finale en ouvrant le champ, une relation possible à l’autre. La relation à l’autre. Le mot final, peut-être se porte quand justement la voix de celui qui le prononcera n’a plus d’oreille attentive face à lui, n’a plus de répondant à la plainte portée, à l’intérêt porter de ce qu’il a à dire, quand ce qui le constitue n’est plus nourrit, c’est-à-dire, quand la relation à l’autre n’est plus nourrissante si je garde l’idée que c’est par l’autre que j’existe, que c’est par l’autre que je me façonne.              N’est-ce pas le meurtre de l’autre que l’on souhaite ? Je ne sais plus quel écrivain disait qu’on se tuait parce qu’on ne pouvait pas tuer la terre entière. C’est donc par l’autre que ça passe, que ça se passe, que ça se retient, que ça peut se retenir. Dire le projet du meurtre de soi force l’autre à prendre au sérieux le cas désespéré dans lequel l’auteur du projet est. C’est la désespérance qu’il veut tuer, la non-reconnaissance de l’accablement, dire le projet, c’est dire que c’est sérieux cette fois-ci, qu’il faut l’entendre, l’admettre, qu’il faut écouter au prix de la vie.

Mais revenons à nos moutons si j’ose dire, c’est à dire à l’acte comme ultime terme dans les deux sens justement du terme, en d’autres mots : déposer plainte contre soi, se rendre, déposer les armes intérieures.

Dans le capharnaüm interne c’est un imbroglio de pulsions (ça), de référent autoritaire (surmoi), de référent qui se voudrait autonome (moi) mais qui n’y parvient pas (voir même idéal du moi) qui s’entrechoquent, se confondent, s’embourbent. La pensée est comme engorgée, saturée. La fin devient un apaisement en un sens où elle est synonyme de concrétude, face au désordre décrit précédemment. Voyez-vous, le suicidant a le goût du cadre. Entendons-nous bien, le suicidant c’est potentiellement nous tous.

Le travail de dé-tricotage commence car si ce qui est signifié c’est d’en découdre avec ce qui est, c’est que l'embrouillamini est tel qu’il faut l’ami, le tiers pour desserrer le nœud de la pelote. Composer un numéro et dire vouloir mettre fin à ses jours signifie peut être qu’il y a de l’appétit, ingestion première et matière à liaison préhistorique c’est-à-dire : maman j’ai faim, aime moi,  écoute moi, je suis là.   Répondre présent, tendre l’oreille, c’est tirer le premier des fils, c’est commencer le démêlement dans l’idée de rendre visible cet enchevêtrement. Rendre perceptible un substitut à la mort. C’est à manipuler à la pincette cette affaire-là !

Autant dire ce peu que, si le suicidant veut y aller, il ira, avec ou sans vous. Mais si vous êtes là, alors, il faudra admettre le tête à tête, l’un et l’autre, hic et nunc. Nous n’en sommes pas là ; la verbalisation propose le rabibochage du soi (c’est le postula de départ). Évoquer la fin équivaut à une demande, c’est l’arbre qui cache la forêt, mais de l’arbre et de la forêt il n’y a que vérité. Toute parole est véridique. Aussi vrai que le cracha pour ne pas aller en enfer. Mais cette authenticité n’est pas aussi concrète que ce cracha. Le problème n’est pas tant de vouloir en finir, que le chemin qui nous mène à vouloir en finir ; ce chemin-là, le suicidant l’a parcouru mille fois, dix mille fois, et vous jamais, c’est d’ailleurs comme ça qu’il se tourne vers vous, le garde-fou, le cadrant, la rambarde. Si mettre fin n’est pas à prendre au pied de la lettre, il ne faudrait pas prendre au pied de la lettre le maître mot ; mettre mots est peut-être ses mots à lui, le suicidant, les mettre en suspens, les rendre réels à ses yeux.

Si le bruit-parole est vrai il n’en reste pas moins que le réel peut lui échapper. Peut-on envisager réellement la mort avant qu’elle ne surgisse ? La mort avant qu’elle advienne n’est-elle pas aussi fantasme de désir ? Je ne sais pas. Si appel il y a, désir il y a. Désir d’aide. Désir de solution. Désir d’intervention. Désir de résolution immédiate. Désir de vie. Le désir de franchissement des check points tout du long du parcours. Face au suicidant, nous sommes un stand de boissons fraîches. L’image est peut être un peu dure, je vous accorde cela, aussi dure que la proposition assoiffée de celui qui veut jeter l’éponge, ne plus avoir à faire avec les pentes et les glissements de terrains, les dos d’ânes et les virages serrés, les lignes droites, les traversés du désert. Peut-être sommes-nous de prometteuses oasis aussi véritables que le cracha, mais aussi fausse que l’arbre.

Il y a là une égalité, une horizontalité, un parcours commun qui peut être modifié, de la fenêtre du suicidant, pouvons-nous en être le cadre solide sur lequel on se maintient ? Dans cette faim insatiable ne pouvons-nous pas être le prolongement d’une cuillère apaisante ? Dans ce désir d’objet ne pouvons-nous pas rendre à lui-même ce qu’il est de sujet en restant le sujet de nous-même ? En laissant le silence raisonner l’importance des mots si malaisés à étaler, ne pouvons-nous pas laisser la pelote s’amollir et reprendre forme ? Dans le hic et nunc ne pouvons-nous pas espérer que le fil de la pensée se reprenne et s’accorde un moment de répit ? Dans le « mettre fin », n’y a t’il pas une faim justement insatiable et vigoureuse d’être ? N’est-ce pas là un cœur gorgé de douleur dans le projet finalement de vivre ?  

« La question du but de la vie humaine a été posée d'innombrables fois ; elle n'a jamais encore reçu de réponse satisfaisante. Peut-être n'en comporte-t-elle aucune." Dixit Freud. C’est une affaire à prendre avec des pincettes, oui, de ce fait.

Frédéric Mauvignier

À paraitre pour le journal de SOS amitié 2017/  http://www.sosamitieidf.asso.fr/ 

http://www.frederic-mauvignier-psychanalyste-98.webself.net/ 

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