On veut absolument nous imposer l’idée que des élections primaires c’est non seulement un renouveau démocratique mais que c’est aussi plus de démocratie. Ce serait une modalité intermédiaire qui permettrait une représentativité plus réelle des différentes institutions et notamment du Président de la République dans le cadre de la Vème République dont il est le symbole oligarco-monarchique. Constater avec les signataires d’une « primaire à gauche » que la Vème République est à bout de souffle démocratique et que son incarnation, le Président, dispose de tous les éléments pour se comporter et agir en véritable monarque, ne me gêne pas car c’est une évidence. Proposer une telle modalité en pensant que ce niveau de proposition est suffisant et proportionné au désastre avéré est une vaste plaisanterie. Selon moi seule une refonte totale des différents mécanismes institutionnels et donc l’instauration d’une VIème République issue d’une Assemblée Constituante ouvrira une issue aux blocages existants et à venir. Une élection primaire ne contribuera même pas à la démocratisation de l’institution présidentielle, « mais, au contraire, elle intensifiera la logique oligarchique et personnalisante qui l’anime » comme le disent dans Libération, en réponse au fameux appel, Nicolas Poirier, enseignant de philosophie et Manuel Cervera-Marzal, chercheur en sciences politiques. Je vous engage d’ailleurs à lire cette contribution de haut niveau.
Souvenons-nous que F Hollande a été candidat des socialistes après une primaire en 2011 : même si cette dernière avait été limitée à la « famille socialiste », toutes les tendances étaient présentes et celui qui est sorti du chapeau n’a en rien démocratisé l’institution, bien au contraire il est devenu le monarque d’entre les monarques. L’élargissement éventuel d’une primaire aux écologistes voire à la gauche de la gauche ne changerait en rien cette appréciation et ce constat car la refonte radicale des institutions n’est pas ou très peu portée sauf par le Parti de Gauche et JL Mélenchon et on sait d’ores et déjà que le PS ne veut en aucun cas que ce thème soit un des débats-piliers de cette éventuelle confrontation interne à toute la gauche. C’est pourquoi, entre autre, JL Mélenchon refuse de participer à cette comédie démocratique : il a été le seul en 2012 à s’engager à appeler une Constituante s’il était élu. Pour être porteur de cette grande idée au contenu très fort de refonte totale des institutions, sans être limité par un accord sur une primaire et en s’appuyant sur le Mouvement pour la VIème République qu’il a initié, [renforcé aujourd’hui par le mouvement de la France Insoumise, Ndlr ce jour] il ne peut effectivement concourir à la primaire, du moins celle qui est envisagée par les signataires de l’appel. Cette position pourrait à mon sens qui n’engage que moi, être réévaluée si la primaire ne concernait que les mouvements à la gauche du PS, [c’est maintenant totalement inenvisageable, Ndlr, ce jour], ce qui n’est pas l’option des signataires et qui de toutes façons ne gomme pas les inconvénients et défauts propres à ce type d’exercice quelles que soient les familles politiques concernées.
Parlons donc de ces défauts et inconvénients qui montrent combien l’exercice des primaires n’est qu’un ersatz de démocratie.
Tout d’abord une primaire est organisée sur le même modèle que l’élection présidentielle proprement dite, une sorte de copier-coller qui ternit sérieusement son costume de lumière démocratique dont certains l’affublent. Une élection sur deux tours, les deux candidats arrivés en tête restent en lice pour le second tour, les perdants font part de leur choix de soutien ou pas et en plus s’engagent à ne pas se présenter contre le vainqueur de la primaire, le gagnant restant seul représentant de l’ensemble en ne reprenant pas forcément des propositions de ses concurrents, et même si c’était le cas, voir ce que sont devenues les options de Montebourg une fois Hollande élu ! On ne peut pas critiquer l’élection présidentielle actuelle comme génitrice de monarques et adopter les mêmes pratiques dans une élection dite primaire censée être plus démocratique mais qui en réalité en aggrave les défauts. En fait la primaire a pour but premier d’éliminer pour laisser le champ libre à celui ou celle qui défendra sa propre ligne qui ne sera jamais dans la perspective de la rupture nécessaire et intègre deux objectifs induits : ancrer dans le marbre un tripartisme sans autre choix et faire disparaitre à jamais le choix de l’alternative à gauche. Certains (les défenseurs de la primaire) objecteront que justement cette alternative à gauche aura toutes ses chances en se faisant valoir au travers de la primaire. Argutie, plaisanterie ou mauvaise foi je ne sais trop car il est évident qu’une telle candidature dans le cadre d’une primaire ouverte finalement à toutes les tendances de l’échiquier politique, y compris de droite, sachant aussi que tous les gens de gauche n’iront pas voter (véritable tamis sociologique), sera marginalisée sans avoir eu la possibilité de se présenter devant le corps électoral tout entier. [aujourd’hui la présence en forte dynamique de Mélenchon, sauf à ne pas obtenir ses 500 parrainages, fait que la vraie alternative a trouvé son chemin et existe bel et bien, Ndlr ce jour].
Ensuite organiser une primaire dans un ensemble de gauche aussi large (de Mélenchon à Macron pour illustrer) tue d’entrée le principe d’un tel processus qui veut que tous les candidats battus soutiennent celui ou celle qui serait le ou la candidat-e unique à la Présidentielle. A l’évidence chacun peut comprendre que des positions aussi éloignées, donc irréconciliables aussi bien sur la politique européenne que sur la politique sociale et économique, ne peuvent en aucun cas aboutir à ce type de soutien. Ce serait une véritable pitrerie et une trahison envers les électeurs de l’un et de l’autre. D’ailleurs un responsable écologiste signataire de l’appel et proche de Cohn Bendit valide cette analyse en affirmant dans l’hypothèse d’une primaire sans le PS et où Mélenchon serait vainqueur qu’il ne pourrait pas appeler à voter pour ce dernier. Dont acte.
Enfin, dès l’annonce de cet appel, les premiers sondages ou enquêtes d’opinion fleurissent (Valls serait le meilleur, tiens, tiens) et ils prolifèreront, comme lors des primaires socialistes de 2011, tout au long de la campagne électorale pour orienter le choix. Ces sondages seront de deux sortes : ceux dont les échantillons seront composés des militants et/ou des sympathisants de toute la gauche et ceux dont les panels seront composés de l’ensemble des électeurs. Ils vont bien évidemment avoir un rôle d’influence primordial voire déterminant, puisque le camp (tamisé, rappelons-le) concerné par la primaire est censé vouloir à tout prix que son champion l’emporte. Le contenu des orientations devient alors secondaire. Hypnotisés par le second type de sondage, les électeurs sincèrement de gauche voudront choisir primairement celui ou celle présenté-e comme le ou la plus apte à gagner la Présidentielle. Les éventuels électeurs du camp adverse renseignés par les sondages du premier type pourront dans les sondages du second type puis lors de la primaire jouer, pour nombre d’entre eux, les troubles fête stratégiquement orienteurs et ainsi entacher, détraquer en le rendant insincère « ce bel édifice démocratique ». [d’ailleurs aujourd’hui c’est bien ce qu’il se passe avec les primaires de droite où des gens de « gauche » voterait Juppé pour embêter Sarkosy, Ndlr ce jour] C’est le pouvoir absolu de ce qu’on appelle la « démocratie d’opinion », opinion totalement fabriquée au travers des questions posées par les instituts de sondage. Tout le monde sait que des questions peuvent orienter les réponses et que les réponses peuvent être présentées de façons différentes selon ce que l’on veut mettre en avant. Et les médias chiens de garde savent faire. Un exemple : avant ce tohu-bohu autour des primaires à gauche, un sondage annonçait que 75% des français ne souhaitaient pas que JL Mélenchon se présente en 2017, coup de massue fabuleux non ! Mais on sait que c’est la même chose pour Hollande et Sarkosy. C’est bêtement et politiquement mathématique. Pourtant cela veut tout aussi bien dire que 25% des français souhaitent cette candidature de Mélenchon, [aujourd’hui une majorité, Ndlr ce jour] mais les médias ne le présente pas ainsi. Des primaires avant l’heure en quelque sorte. Bon enfin la seule démocratie qui vaille c’est une vraie élection officielle, avec des isoloirs de la République et une vraie campagne électorale avec des meetings dans toute la France et des débats entre toutes les tendances et l’électeur fait son choix. La « démocratie d’opinion » c’est tout le contraire de la démocratie.
Malgré toutes les chausse-trappes qui seront placées sur son chemin, il est pour moi absolument historiquement nécessaire que Mélenchon soit présent à la Présidentielle. Il avait fait un score plus qu’honorable en 2012 avec 11% alors que les sondages de départ le créditaient de 4%. Aujourd’hui les sondages de départ lui accordent 11 à 12%, un espace conséquent lui est donc ouvert. [et ça se confirme aujourd’hui, Ndlr ce jour]
Pourquoi les « primaires » sont-elles devenues la coqueluche des médias et des partis politiques de gouvernement ? C’est à mon sens la question à se poser. Les choix européens et ultralibéraux du PS depuis des années font que ses dirigeants ne peuvent plus et ne veulent plus compter parmi les bouilleurs d’idées progressistes sur les plans social, économique, institutionnel et démocratique. Ce qu’ils proposent depuis, ce ne sont que des orientations libérales dans l’économique et le social, quelques fois habillées de mesures pseudo-sociales ou de logorrhées de gauche bien vite oubliées dès l’arrivée aux commandes, et quelques ersatz dans les deux autres domaines comme par exemple le quinquennat qui ne fait qu’aggraver l’aspect monarchique de la Vème République ou bien les primaires qui vont permettre de camoufler l’absence d’orientations vraiment à gauche.
Le PS solférinien s’est donc rapprocher inexorablement et de manière significative de la droite. Il n’a donc plus de crainte à avoir avec des primaires ouvertes réalisées pour départager les différents candidats en son sein. De son côté la droite, un temps très hostile aux primaires, les a également adoptées : c’est la confirmation de ce rapprochement PS/Droite sur la base ultralibérale. Ces primaires ouvertes incluant les militants, les sympathisants voire des « pseudo adversaires camouflés », ne sont en fait qu’une manifestation visant à faciliter et à conforter le déplacement du curseur politique vers la droite et le centre.
Le temps de la révolution citoyenne a donc sonné.