Le discours qui suit a été lu par Mahiedine Merabet devant la Cour d’Assises spéciale de Paris le jour de l’ouverture de son procès le 5 janvier 2023 pour association de malfaiteurs terroriste.
Sa version intégrale nous permet de mieux apprécier certaines nuances que la majorité des journalistes présents, peu scrupuleux, voire même méprisants, ont omis de citer dans leurs articles ou dépêches.
Il s’agit d'un texte rédigé par un prisonnier en détention provisoire depuis 2017 et qui a été soumis à plusieurs régimes d'emprisonnements d'exception - isolement, disciplinaire, QPR... - particulièrement sévères.
A travers ces propos, Mahiedine Merabet entend fixer le cadre de sa propre défense, et apporter si possible aux débats une teneur politique, quand ceux-ci se cantonnent bien souvent à des considérations psychologisantes et, somme toute, morales, dans des affaires comme la sienne.
Actuellement incarcéré à la prison de Fresnes pour la durée de son procès, Mahiedine Merabet sait qu’il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.
Son avocat est Me Raphaël Kempf.

« Madame la Présidente, Monsieur l’avocat général, Mesdames et Messieurs en vos grades et qualités, Mesdames Messieurs,
Je n’ai pas l’habitude de parler en public. Avant toute chose, et avec tout le respect que je vous dois, je souhaiterais nous rappeler une petite évidence que nous avons tous tendance à oublier. Nous sommes certes tous des êtres humains, mais nous ne sortons pas tous du même moule. Nous avons tous nos propres histoires, nos propres identités, nos propres capacités. Faisons donc tous bien attention à ne pas nous laisser tromper par une interprétation trop hâtive, personnelle et superficielle de nos expressions et attitude de manière générale.
Ayant, pour ma part, beaucoup de difficultés à extérioriser, fidèlement, ma pensée en public, surtout dans des lieux solennels comme celui-ci, où seront évoqués des sujets cruciaux complexes et sensibles, j’ai donc décidé d’utiliser aujourd’hui l’écriture pour affranchir ma pensée du joug de l’émotion. Afin de vous confier quelques paroles, aussi sincères et libres que possible.
Veuillez donc, s’il-vous-plait, respecter cette œuvre de transparence, de liberté et de vérité, en n’y voyant pas une quelconque technique d’évitement, ni une quelconque provocation de ma part. Voyez-y plutôt une occasion de lire en moi comme dans un livre ouvert.
Donc, pour commencer, je tenais à présenter des excuses. De sincères excuses à tous ceux qui ont été, de près ou de loin, impactés par cette affaire. En particulier, ceux qui ne devraient pas être présents sur le banc des accusés aujourd’hui mais qui y sont tout de même, directement ou indirectement, par ma faute. J’espère que la Cour aura à cœur de faire preuve de discernement et de mesure, au moins les concernant, et leur permettra de tourner vite cette, j’imagine, douloureuse page.
Après avoir dit cela, je voudrais dire à l’ensemble de la Cour ici présente qu’en dépit des mondes et des univers qui, en apparence, nous séparent, nous ne sommes, dans le fond, pas très différents, et avons certainement beaucoup plus de choses en commun que nous le pensons ou le voulons.
Cependant, les choses étant aujourd’hui ce qu’elles sont, et ayant, pour ma part, décidé de prendre le dur chemin de la franchise et de l’honnêteté, envers moi-même ainsi qu’envers vous tous, dans la limite, bien-sûr, du possible, il se peut que ma vérité dérange et nous éloigne encore un peu plus les uns des autres ; et ce, en dépit de ma bonne volonté.
Sur ce, je dois vous faire un terrible aveu, qui, peut-être, ne vous étonnera pas. Je n’ai, moi Mahiedine Merabet, aucune confiance en la justice de mon pays, ni, d’ailleurs, en la justice d’aucun pays, lorsqu’entrent en jeu des questions relatives à la politique, à l’idéologie et la guerre. Et oui, car il est bien question de tout cela, en arrière-plan, dans ce procès. Ce n’est, pour moi, pas une opinion mais une évidence qui devraient être communément admise.
Sinon, comment qualifier une justice juge et partie à la fois ? Si ce n’est de justice partiale ?
Comment qualifier également une institution judiciaire, aussi noble soit-elle, qui appartient à un pouvoir revendiquant lui-même de mener une guerre totale contre un supposé ennemi autant sur le front militaire que sur le front informationnel, culturel, sémantique et, également, judiciaire ? Comment la qualifier alors, si ce n’est de justice politique. L’indépendance supposée des divers contre-pouvoirs s’arrête souvent à la porte de la sacro-sainte raison d’État. Croire le contraire, n’est que pure naïveté et candeur.
Il est clair, quelle que soit la nature du droit, que pour qu’une justice ne soit pas qu’une vengeance bien habillée, il lui faut un minimum de sérénité, d’impartialité et d’indépendance. Mais, dans ce cas de figure, il est clair qu’il n’y en a pas. Comme il n’y en avait pas en 1942, au Palais Bourbon, lorsque l’on jugea et condamna des résistants pour terrorisme. Je pourrais multiplier les exemples mais c’est tellement, pour moi, évident, qu’il n’est même pas pertinent de le faire.
Mais bon, partons du principe illusoire que ce que j’ai évoqué précédemment n’a pas grande importance, pour qu’une justice soit digne de ce nom.
Rien que l’absence de garantie populaire, soi-disant chère à ce système, est en soi révélateur de l’aspect « juge et partie » à la fois. Où est le peuple ? Même chauffé à blanc par la propagande, nous n’avons pas voulu de lui. Apparemment, c’est pour le protéger qu’on l’a exclu. Entre nous, je trouve que la notion de protection a souvent bon dos. Et puis, lorsque l’on retire des droits à un peuple pour le protéger, ce n’est, en général, pas bon signe.
Mais ce qui est encore plus significatif, selon moi, des justices politico-idéologiques, qui n’ont de juste, en réalité, que le nom, c’est la sémantique et les notions caoutchouteuses qu’elles emploient et déploient à leur guise. Ouvrant, bien souvent, une boîte de Pandore qu’eux-mêmes n’arrivent plus à fermer. Je parle, oui, bien là, de ce concept infiniment flou, imprécis et élastique, qu’est le terrorisme. Que tous les inquisiteurs du monde moderne utilisent comme un mot magique, qui a émotionnellement beaucoup de sens, mais intellectuellement aucun. Ce n’est pas le seul en vogue, en ce moment, mais c’est certainement le plus anesthésiant pour le bon sens. Il suffit juste de prononcer ce mot et de montrer du doigt un individu, un groupe ou un peuple, pour qu’automatiquement soit jeté sur lui l’opprobre et que, par ricochet, il passe d’une catégorie d’humain à infra-humain méritant tous les supplices du monde. Et ce, bien-sûr, sans critère bien précis et défini.
Il suffit d’allumer la télévision quelques jours pour que saute aux yeux l’aspect ridicule de ce concept de déshumanisation et de manipulation massive. Tous les états désenchantés, en conflit autour du globe, se qualifient mutuellement ainsi, en sachant qu’ils utilisent tous les mêmes méthodes de terreur, inhérentes à la guerre. Ça, c’est l’effet boite de Pandore : on devient tous, potentiellement, le terroriste d’un terroriste.
Je pourrais citer des milliers d’exemples probants. Il y a peu, je regardais une chaîne d’info en continu, LCI pour ne pas la citer. Et il y avait un consensus à peine gêné sur tout le plateau, pour expliquer que la bombe posée à Moscou sous la voiture d’un penseur russe, ne tuant au passage que sa fille, ne pouvait être qualifiée de terrorisme car les Ukrainiens, disaient-ils, ne font que se défendre au-delà de leur frontière.
Le malaise que ce terme provoque chez les idiots utiles qui relayent bêtement la propagande gouvernementale, se lit sur leur visage, lorsqu’il s’agit de qualifier tel acte de terrorisme, mais pas un autre similaire. Ou lorsque l’élastique de ce concept s’étend au point de presque craquer. La réponse la plus intelligente apportée à une journaliste paumée fut celle d’un célèbre criminologue, Alain Bauer pour ne pas le citer, lorsqu’il lui a dit, avec, certes malice, mais honnêteté : « Il n’y a pas de définition consensuelle du terrorisme, et il n’y a rien qui ressemble plus à un résistant qu’un terroriste. » La messe est dite.
Il n’y a pas besoin d’être une lumière pour comprendre la raison pour laquelle cette notion « magique » des dominants ne peut être ni précisée ni consensualisée. Elle perdrait, de facto, toute valeur arbitraire et toutes actions relatives à la guerre, juste ou non, à la résistance, légitime ou non, seraient aussi de facto du terrorisme.
Pour conclure sur ce label trompeur qui n’a ni queue ni tête, si ce n’est celles des pouvoirs hypocrites, je dirais que c’est juste une manière habile et moderne d’excommunier un ennemi politique idéologique et d’en faire, par la force des choses, pour le grand public bien souvent ignorant, la nouvelle figure moderne de l’altérité radicale, de la sorcière ou de l’hérétique à emmener au bûcher.
Attention : que les choses soient bien claires. Ma critique logique ne doit aucunement être interprétée comme une quelconque minimisation des crimes de guerre, ou des crimes tous courts, quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent. Et ce, même si les apparences, bien souvent trompeuses, laissent penser le contraire. Dieu seul sait à quel point la mort de victimes civiles et innocentes me répugne. Et surtout, à quel point les larmes de leurs proches me transpercent le cœur.
Certes, j’ai objecté à la loi sur les armes à feu et les explosifs. Je l’assume et je suis prêt à en répondre. Il n’est question que de cela, et rien que de cela. Le reste des accusations n’appartient qu’à ceux qui lisent l’avenir dans les tasses de café de leurs propres préjugés et intérêts politiques. Je le répète, les apparences sont trompeuses. La réalité n’est ni toute noire, ni toute blanche, mais se situe souvent dans l’infinie palette des nuances de gris. Bref, j’essaierai de m’en expliquer peut-être plus tard, si on m’en donne l’occasion.
Mais, en attendant, vu que le concept fumeux de terrorisme a moins vocation à réprimer des actes – que le droit commun pourrait suffisamment réprimer – que des idées ou des opinions considérées politiquement incorrectes, n’est-ce simplement donc pas juste l’autre nom du crime d’opinion ?
Mais, dans ce cas, au nom de quels critères moraux peut-on définir et qualifier une opinion de bonne ou de mauvaise, sachant, comme tout le monde le sait, que la morale des uns n’est pas celle des autres ?
Mais soyons au moins tous un petit peu honnêtes. Nous ne parlons pas de n’importe quelles valeurs morales. Appelons un chat, un chat. C’est exclusivement celles liées au credo islamique traditionnel, de musulmans ayant des revendications politiques. La fameuse cinquième colonne islamique fantasmée.
Donc, si l’avenir me donne raison, beaucoup de questions seront d’ordre moral et viseront spécifiquement les valeurs morales traditionnelles islamiques. En d’autres termes, on jugera moins des individus ayant commis une infraction à la loi d’un peuple que la religion, réelle ou supposée, d’hommes dont ils sont les porteurs. Et qu’ils abjurent ou non, ils seront, en réalité, condamnés pour cela, et avant tout pour cela.
C’est donc bien de l’islamophobie, dans le sens le plus strict du terme, qu’il est alors question dans ce procès. Mais ça, chut ! Il ne faut pas le dire. C’est à peine voilé, mais chut !
Bref, pour conclure, au vu de tout ce que j’ai évoqué précédemment et comme tout ce que l’on ne nomme pas n’existe pas : moi, Mahiedine Merabet, me considère de fait, et que cela plaise ou non, comme un prisonnier politique, musulman. Par conséquent, me faisant peu d’illusion quant au sens et à l’issue de ce procès, je me réserve le droit de peu y participer ou du moins d’y participer à la manière qui me semblera la plus appropriée.
Je vous remercie pour votre attention, ainsi que pour votre patience, et cède enfin la parole. »