MAX FRAISIER-ROUX (avatar)

MAX FRAISIER-ROUX

Militant antiraciste et anticarcéral

Abonné·e de Mediapart

19 Billets

0 Édition

Billet de blog 17 février 2023

MAX FRAISIER-ROUX (avatar)

MAX FRAISIER-ROUX

Militant antiraciste et anticarcéral

Abonné·e de Mediapart

Lettre ouverte aux prisonniers, à leurs familles, leurs amis, leurs camarades

"Nous ne pouvons pas subir des décennies d'abus physiques et psychologiques derrière ces murs et penser que nous rentrerons à la maison indemnes, sans cicatrices", nous explique le prisonnier politique Shaka Shakur, co-fondateur du collectif "New Afrikan Liberation".

MAX FRAISIER-ROUX (avatar)

MAX FRAISIER-ROUX

Militant antiraciste et anticarcéral

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

23 janvier 2023

Aujourd’hui, j’ai perdu un camarade et un frère d’armes dans la rue. Une autre victime des conséquences de l'échec politique du complexe carcéro-industriel en matière de capture et de libération, d’une part ; et, d’autre part, de Notre propre incapacité à résister, intérieurement, à l’attraction et à la séduction de la rue.

Ce frère était cofondateur d’IDOC Watch alors qu’il était encore en prison. Dans les années 90, quand nous étions incarcérés ensemble, j’ai initié sa politisation en lui présentant des journaux du New Afrikan P.O.W., et à partir de là, il a rejoint Notre lutte pour Libérer Le Pays !

Cette lettre ne parle pas tant du camarade Angaza (G) que de Nous tous, qui avons été piégés derrière les lignes ennemies, avons grandi ou avons passé des décennies derrière le rideau de fer du complexe carcéro-industriel (Prison Industrial Complex, ndt.), et qui luttons pour trouver Notre chemin dans leurs rues, ou qui avons échoué à ce test, et sommes retournés en prison.

Elle s'adresse à certains d’entre Nous qui sortent et ont une structure de soutien ou une équipe auprès d'eux, et qui ne parviennent toujours pas à trouver Notre équilibre, qui ne peuvent toujours pas résister à la tentation de la rue, ou à celle d'une conduite réactionnaire. Elle s'adresse aussi à ceux qui n’ont que Nos instincts de survie, et peut-être un certain niveau de conscience, du moins ce désir de ne pas retourner derrière ces murs.

Bien que je ne veuille pas qu'il s'agisse uniquement de G, je dois le prendre aussi bien que moi-même comme exemple.

C’est un petit caïd qui a fait presque 30 ans de prison. Il est sorti, et ça a commencé à marcher pour lui. Un petit caïd qui avait du soutien pour démarrer une petite entreprise, avait accès à des ressources importantes, était politiquement actif dans la communauté, mobilisé autour de l’abolition des prisons, et qui a fait des choses en avançant, en avançant sur le droit chemin ; et au final, pour voir l’État lui envoyer une équipe du RAID (SWAT, ndt.) à cause d'une soi-disant violation de procédure inexistante, et le réexpédier en prison, la cour fédérale n'ORDONNANT sa libération et ne le libérant qu'un an plus tard.

Il a essayé de retrouver son rythme. Bien qu’une fois de plus, il ait tout à disposition devant lui, et que tout ce qu’il avait à faire était de mettre les bonnes chaussures, il n'a pu résister à l’attraction, à la séduction néo-coloniale de la rue, revenir à cette zone de confort du quartier et des éléments qui la constituent. Mon frère, comme beaucoup d’entre NOUS, n’a pas pu vaincre ces démons avec lesquels NOUS tous, qui avons vécu cette expérience, luttons.

Les démons que sont les Troubles de stress post-traumatiques, la Rage, la Colère, la Dépression, l’Auto-médication, l’Impatience. Des problèmes que nous avons tous, ou que nous traversons, même si nous sommes incapables d’identifier leur interconnexion en temps réel. Nous LUTTONS.

C’est là que réside le problème. Souvent, trop d’entre Nous ont trop peur ou trop honte d’admettre que Nous avons besoin d’aide, que nous avons besoin d’une forme de thérapie ou de conseil. La Masculinité factice, l’incapacité d’être honnête avec soi-même et son auto-critique, ont conduit tellement d'entre Nous à une mort prématurée ou à un retour en prison, ce qui est à la fois triste et putain d'inutile !

Nous ne sommes pas ces super-héros mythiques. Nous ne pouvons pas subir des décennies de cette violence physique et psychologique derrière ces murs, et penser que nous rentrerons à la maison indemnes, sans cicatrices. Nous ne pouvons pas vivre des décennies sur des champs de bataille, dans des zones de guerre, dans des environnements hyper-masculinisés et essayer de revenir à la soi-disant vie civile comme si Nous changions simplement de chaussures ! Nous devons être proactifs. Il n’y a pas de Bureau des anciens combattants pour nous. Il n’y a pas de trêve possible, en ce qui nous concerne, et trop souvent pas même de défense !

Il faut que Nous soyons réalistes à propos de ça. Si vous essayez vraiment de tendre une main vers Nous, mais que vous êtes toujours piégés dans vos propres traumatismes, vous ne pouvez pas Nous aider réellement, tant que vous n'essayez pas de vous rétablir, tant que vous n'êtes pas guéris.

LE GANGSTÉRISME DÉGUISÉ EN POLITIQUE RÉVOLUTIONNAIRE :

"Une fois que vous devenez conscient, il n’y a pas de devenir inconscient, seulement de la trahison".

Si vous êtes censé être politique, censé être conscient ou vous considérer comme un combattant révolutionnaire ou pour la liberté, mais que vous êtes organisé en bande, arborant des armes inutilement, dans votre soi-disant "game", faisant tomber des cadavres et/ou portant des coups, vous ne vous levez pas contre ceux qui tiennent le pouvoir et enfoncent leur pied dans votre cou à tous, vous vous engagez dans le gangstérisme, tout juste drapé dans des costumes de révolutionnaire.

Vous pouvez ressembler au rôle, jouer le rôle, vous pouvez même être politiquement actifs à certains niveaux, mais quand vous portez atteinte à la communauté que vous prétendez représenter, quand les personnes pour lesquelles vous pensez combattre ont peur de vous, ou savent que votre bande sont des tueurs, et vous voient comme des gangsters, vous ne pratiquez pas de politique révolutionnaire, ni même ne vous engagez dans la lutte révolutionnaire. Vous faites juste les Seigneurs de Guerre.

Encore une fois, il est facile de tomber dans ce piège en raison de Notre (non-)évolution et de nos expériences. Si vous êtes entré en prison alors que vous étiez un jeune homme qui était dans la rue, ou affilié à une organisation de rue, ou qui a passé beaucoup de temps dans une prison autre qu'un établissement à sécurité minimale, il est probable que vous ayez été exposé à des niveaux de violence graves, c'est-à-dire des meurtres, des coups de couteau, des viols, la violence policière et, de façon générale, un environnement où l’on apprend à être vigilant, à être armé ou à avoir facilement accès à une arme.

Pendant 17 ans, j’ai grandi dans un environnement où les guerres, les émeutes, les émeutes raciales, les prises de contrôle et les prises d’otages pouvaient exploser en un clin d’œil et sans crier gare. Le camarade Angaza avait connu 27 ans de tout ça. Donc, après avoir vécu dans un environnement hyper-violent, nous avons cette tendance à rester armés, à frapper en premier si nécessaire. Nous emportons ce conditionnement social avec Nous. Peu importe l’environnement. Il peut s’agir du soi-disant quartier ou de la banlieue. Nous Nous emportons où Nous allons. Les gens disent : pourquoi voulez-vous sortir après minuit ou au petites heures du matin ? Parce qu’en prison, on ne peut généralement pas sortir après la tombée de la nuit. On ne peut pas respirer l’air de la nuit, regarder les étoiles ou la lune. Lorsque vous sortez de prison, c'est se sentir libre que de simplement être en mesure de profiter de l’air de la nuit. D'errer comme l’animal en cage qu'on a traité comme tel.

Nous ne pouvons pas continuer à perdre de précieux camarades et frères à cause de ce cycle. NOUS DEVONS APPRENDRE À NOUS AIMER ET À VALORISER NOTRE VALEUR.

Shaka Shakur

Source

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’auteur n’a pas autorisé les commentaires sur ce billet