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Billet de blog 29 mai 2022

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Jawad, Mélanie... et Twitter

Jawad Bendaoud annulé chez Cyril Hanouna, « Mélanie Diam's » interviewée par Augustin Trapenard : deux histoires différentes, deux vagues de réactions plutôt attendues ?

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Cette dernière semaine, deux interventions publiques ont fait parler d’elles, aussi bien dans la sphère des réseaux sociaux que dans les médias en ligne et qu’à la télévision. On n’échappe plus à la contamination du réel par le virtuel, désormais établie, ni à des débats qui finalement n’auraient pas tant lieu d’exister que ça hors de ces réseaux où tout le monde a droit à une parole décomplexée, et où la société du spectaculaire bat son plein.

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Jawad Bendaoud le jour de sa sortie de prison en avril dernier © Max Fraisier-Roux

Première séquence : Jawad Bendaoud, sorti de prison fin avril, est annoncé comme invité à l’émission TPMP de Cyril Hanouna pile un mois après, lundi 23 mai. Il n’a pour l’instant rien à vendre, aussi sa venue n’a-t-elle pas de visée à proprement parler promotionnelle, mais bien plutôt politico-médiatique, c'est-à-dire en vue d’un débat essentiellement polémique.
Selon le tweet d’annonce de l’émission du soir, en début d'après-midi, c’est parce que le "logeur" aurait "décidé de sortir du silence" qu’il est convié sur C8. Or, Jawad n'a jamais été silencieux, on l'a fait taire, et il n'a jamais été écouté en bonne et due forme. Ce simple tweet, publié le jour même du début des plaidoiries des avocats des parties civiles au "Procès du 13 novembre",  suffit à provoquer un tollé général de toutes parts, le mot est faible, on pourrait même dire un tollé national, sur le réseau social d'abord, puis ensuite dans la presse en ligne qui relaie.

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Capture d'écran Twitter de l'annonce de la venue de Jawad Bendaoud dans TPMP le lundi 23 mai. © Max Fraisier-Roux

Le tweet s'avère particulièrement maladroit - ou profondément cynique : il ne présente pas un nouveau Jawad, avec l'illustration choisie que j'ai volontairement ôtée de la capture ci-dessus, mais toujours l’ancien, à savoir celui qui a vu sa renommée malencontreuse monter de façon fulgurante lors de son intervention en direct devant les caméras de BFM le matin de l’assaut à Saint-Denis en 2015. TPMP joue toujours au même jeu médiatique en utilisant le qualificatif de "logeur" ainsi que cette image qui a fait le tour du monde, celle du gars énervé sortant du tribunal, alors que Jawad n’est pas en 2022 celui de 2015, ni celui de 2018, et que cette illustration et ce terme sont ce qui le poursuivent et agissent, nous en avons la preuve, en sa défaveur au quotidien. Si un public, issu en majeure partie de classes populaires, témoigne très souvent toute sa sympathie à Jawad d'après ce qu’il connait de lui sur les réseaux sociaux qu’il utilise, et de son parcours de vie chaotique, la majeure partie de la population lui voue une hostilité sans pareille, quand ce n'est pas une haine féroce, puisqu’elle le considère toujours, malgré la relaxe prononcée en sa faveur en première instance de son procès il y a quatre ans, comme complice des terroristes du 13 novembre.
 Hostilité et haine renforcées par le fait que son sang est marocain, qu'il a le profil type d’un "caïd" de Saint-Denis, d’un "criminel" tel que le décrit sa page Wikipédia, donc d’un personnage qui a priori n’a pas le droit à de la sympathie ou à de la compassion, et qui mériterait à tout jamais la prison. 
Bref, le tollé suscité sur Twitter par l’annonce devient tel, propos ultra racistes à l’appui, et envers Jawad et envers Hanouna, que TPMP décide de supprimer le tweet initial, et Hanouna de s’exprimer cinq minutes lors de l’émission du soir, suite à un accord d'annulation conclu par Jawad et par lui. 

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Capture d'écran Twitter de l'annonce de l'annulation de la venue de Jawad Bendaoud dans TPMP © Max Fraisier-Roux

Que nous dit Hanouna dans son émission ? Retournement de veste, ou alors ses intentions étaient particulièrement perverses à la base : sur un ton éploré et paternaliste, l’animateur nous explique que s’il voulait inviter Jawad, c’est parce que la jeunesse qui regarde TPMP - pense-t-il aux taulards qui la regardent eux aussi tous les jours et qu’il va ensuite assimiler au pire ? - doit voir, à travers le personnage du "logeur", un exemple à ne pas suivre. Dans un sous-entendu lourd de conséquences pour l’inconscient collectif, Hanouna insinue, d’une part, que Jawad aurait pu être "amené vers le mal" par des personnes susceptibles de commettre des attentats - or Jawad parle lui-même de sa condamnation comme de celle pour "la location de l'appartement", puisqu’il ignorait tout de ses locataires et de leurs intentions terroristes, il s'est vu condamné en appel en 2019 sous prétexte qu’il aurait dû savoir... - ; d'autre part, qu’il représente ce à quoi peuvent conduire de mauvaises fréquentations pour de "l’argent facile" toujours gagné de manière "bizarre" et lourdes de conséquences… "L'argent facile c'est toujours bizarre, n'y croyez pas", conclut en effet l'animateur. Savoureux, quand on connait les us et coutumes de l'industrie du divertissement... Hanouna s’en tire en définitive par une volte-face soutenue par ses collaborateurs de plateau, il n’est pas perdant dans l’histoire, mais gagne sur les différents tableaux. Le buzz est assuré, apparemment maîtrisé, son show a fait parler. Il se laisse le dernier mot qui restera, pour beaucoup de téléspectateurs, la vérité à répéter.

Si Jeane Manson, merci à elle, intervient tout de même pour parler de sa rencontre avec des femmes en prison, et rappelle la phrase qu'elle y a entendue : "J’étais au mauvais endroit au mauvais moment", elle oublie de préciser qu’être "au mauvais endroit au mauvais moment" n’est que très rarement le fruit du hasard, et qu'il y a des raisons sociales et politiques à cela - tout le monde n’a pas la chance de vivre dans l'environnement tranquille et bourgeois de beaux quartiers...

Quand le lendemain, mardi 24 mai, Jawad s’explique sur son compte Snapchat auprès de ses "amis" pour leur raconter ce qui s’est passé, il conclut ses précisions, après avoir évoqué les tweets ignobles écrits sur lui, et son innocence reconnue par la justice en 2018, par cette sentence : "La France est un pays raciste". Il ne dit pas "de racistes", mais "raciste". Nuance à souligner. Mais bon, nouveau tollé sur Twitter. Donc un homme insulté publiquement à renfort d’injures passibles de condamnations pénales, contre qui une peine symbolique a été prononcée en appel d'une décision de relaxe - le symbole étant : condamner sa manière de vivre, puisque ce serait à cause de conduites comme la sienne qu'arrive ce qui est arrivé, mépris de classe/mépris de race - qui du coup se permet de dire d'un pays, qui a frôlé l'élection d'une candidate d’extrême-droite comme présidente par le vote démocratique il y a un mois, qu’il est raciste : ça ne passe pas. Et Jawad d’être à nouveau l’ennemi de la République en "tendance", la "racaille" nationale, l’"arabe" récalcitrant, qui ose parler des mauvais traitements que la Nation lui réserve, alors qu'il fait partie de ceux qui bénéficieraient allègrement d'avantages, selon les internautes.

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"La France est un pays raciste", capture d'écran de la story Snapchat de Jawad Bendaoud du mardi 24 mai 2022 © Max Fraisier-Roux

Deuxième séquence de la semaine : "Mélanie Diam’s" interviewée par Augustin Trapenard pour Brut. L’entretien est teasé le mercredi 25 mai, la veille de sa mise en ligne dans le contexte de la couverture du festival de Cannes par le media.
Il s’agit d’une interview promotionnelle pour le film de Mélanie en présentation dans le cadre de l’événement glamour annuel. La jeune femme bénéficie plutôt d’un capital sympathie auprès des français, cela n’est pas à prouver. Malgré sa conversion à l’islam, et le jilbab qu’elle porte, elle reste Diam’s aux yeux du public national, grande ou petite sœur, c'est selon, de toute une génération qui l'a suivie de près. Qui plus est, elle a quitté le rap, la rue, le monde de "la musique", sous-entendu de la lumière et du showbiz, la vie facile, suite à ce qu'elle décrit comme une grave dépression. Et tant mieux pour elle si, comme elle le dit, elle a trouvé, tant que faire se peut, "le sens de cette vie".

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Capture d'écran Twitter de l'annonce de l'entretien Mélanie Diam's - Augustin Trapenard © Max Fraisier-Roux

Augustin Trapenard prend soin d’être extrêmement bienveillant à travers ses questions très ouvertes, qui permettent à Mélanie de s’expliquer sans tomber dans des pièges polémiques que le journaliste aurait pu lui tendre - il s’agit de Trapenard, qu'on ne saurait qualifier d'incorrect politiquement… En effet, même si elle ne s’en cache pas, il n’est quasi jamais question dans l’entretien de la religion en tant que telle et d’Allah, qui sont quand-même, si l’on comprend bien, ce qui a permis à Mélanie de "s’en sortir" et qui s’avèrent a priori, être le sujet de son film Salam. 30 secondes tout au plus sur 37 minutes.

Quelle est la réaction des internautes de Twitter ? Outre celles et ceux qui ont déjà une sympathie acquise de longue date pour Mélanie, les autres, hormis les islamophobes patentés, se laissent plutôt convaincre par le caractère apaisé de la jeune femme, son sourire, ses propos de paix et de sérénité, tout un lexique qu'elle emploie qui a davantage trait, par ailleurs, à celui du "développement personnel" qu’à la religion proprement dite. Sans doute est-ce mieux ainsi, afin de ne pas causer une réaction nationale inutilement hostile. Lorsque Trapenard dévie sur l’affaire Paris-Match des photos volées de Mélanie à la mosquée, la jeune femme ne manifeste pas de colère ni de sentiment revanchard envers l’opinion publique islamophobe de l'époque, elle se souvient simplement de la tristesse et du mal que cela a causé à ses proches et à elle-même. 

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Capture d'écran Twitter. Réaction d'internaute au tweet de Caroline Fourest contre Mélanie Diam's. © Max Fraisier-Roux

C’est là l'avantage du personnage construit médiatiquement que va devenir désormais Mélanie : une musulmane qui, certes, porte courageusement le djilbab, mais pas "par provocation", qui publiquement ne s’exprimera pas, ou très très peu, sur sa religion - ou à qui on ne demandera pas de le faire - , une musulmane plutôt "discrète" finalement, qui ne dénoncera pas, ou à peine, l’islamophobie dont elle est victime, sans doute par auto-défense légitime, si ce n’est dans le sens du pardon pour les haineux, et qui évidemment ne remettra pas en cause, du moins pour le moment, le racisme français qui ne fait aucun cadeau depuis des années à ses frères et sœurs.

Ainsi, à part la fachosphère et une Caroline Fourest particulièrement calomnieuse en tweet, l’interview a emporté une approbation quasi majoritaire, et les progressistes blancs de gauche auront été touchés et émus par une femme musulmane visiblement épanouie, et que je considère personnellement comme valeureuse.

Tirez-en les conclusions que vous voudrez.

Mais lorsque Mélanie rapporte les propos de son mari : "Internet a une mémoire, et la mémoire d’internet, c’est pas la bonne mémoire", je prends cela comme une indication pour tous et toutes. Cette mémoire fallacieuse, convoquée volontairement par les médias qui la manipulent à dessein, servira toujours à entacher la dignité d'un homme comme Jawad Bendaoud, victime de la répression raciste d’État, d'un acharnement médiatique, politique, judiciaire, pénitentiaire et sociétal sans pareil, qui a pourtant toujours eu, lui aussi, de la force et du courage : celui de dénoncer, à juste titre, ce qui lui était fait.

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