En procédant à des achats aurifères massifs avec son alliée la Russie et en encourageant d’autres banques centrales à augmenter la part d’or dans leurs réserves de change au détriment de celles du dollar ou de l’euro, la Chine dévoile sa stratégie : attaquer le dollar dans sa position de monnaie de réserve en faisant flamber ce métal précieux afin de provoquer la chute du billet vert...
Chine et Russie : accroissement quantitatif de la part de métal jaune dans leurs réserves de change
Au troisième trimestre 2011, l’ensemble des banques centrales ont acheté 148,4 tonnes d’or net. Pourtant, selon le FMI, seul l’Occident a déclaré un mouvement de 20,2 tonnes. Les 128,2 tonnes restant ont eu pour destination principale les pays asiatiques et sud-américains. Aussi Pékin est soupçonné de procéder discrètement à une augmentation de ses stocks aurifères.
Les banques centrales ont ajouté plus d’or à leurs réserves en 2012 qu’à n’importe quelle période depuis les taux de change fixés par Bretton Woods [1] en 1944. Leurs achats nets se sont élevés à 493 tonnes cette année-là, comparés aux 457 tonnes de 2011. Ils représentent les plus hauts niveaux atteints depuis 1964, époque où les devises majeures étaient liées au dollar qui - lui-même - était lié au métal jaune.
Selon le World Gold Council [2], les banques centrales sont devenues un acheteur net depuis 2009. Elles ont augmenté leurs réserves de 446 tonnes en 2012 et déjà de 180 tonnes rien que pour le premier semestre 2013.
Depuis le deuxième semestre 2005, la Chine et son allié la Russie ont incité les autres banques centrales à augmenter la part aurifère dans leurs réserves de change au détriment de celle du dollar ou de l’euro. Ainsi ces deux pays ont, à plusieurs reprises, sensiblement renforcé leurs réserves de ce métal via leurs propres banques centrales. Parallèlement, Pékin a encouragé - avec succès - sa propre population à en acheter 191,2 tonnes au troisième trimestre 2011 (bijouterie : 131,0 et thésaurisation : 60,2).
Ce pays devient ainsi le premier producteur d’or et retire un avantage direct de la tendance haussière de ce marché suite au dynamisme de la demande aurifère mondiale.
Abolition du privilège du dollar-monnaie de réserve
Depuis 1993, la stratégie pékinoise a visé à abattre le privilège de monnaie de réserve du dollar américain. Aussi à partir de 2000, la Chine a contribué en coulisses à l’inscription de cette devise dans deux grands canaux baissiers prolongés, le premier contre euro (l’euro à 0,82 dollar en 2000, 1,60 en 2008 et à 1,32-1,34 aujourd’hui), le deuxième contre or (l’once d’or à 250 dollars en 2000, à 1.900 en 2011, et à 1.394 aujourd’hui).
Elle souhaite prouver aux banques centrales des pays tiers que le billet vert ne mérite plus son statut privilégié. Ainsi, les pays exportateurs de matières premières, pourraient dans un premier temps abandonner le dollar comme monnaie de réserve pour ensuite l’abandonner comme monnaie de facturation et le remplacer par l’or ou le yuan.
Très fine manœuvre géopolitique
En émettant massivement des dollars - monnaie de réserve mondiale en vigueur depuis 1945 - qui allaient s’accumuler alors au Moyen-Orient, les États-Unis ont pu financer très facilement la course aux armements infligée à Moscou. L’URSS, quant-à-elle, devait brader son pétrole et son or sans pour autant réussir à réunir les dollars nécessaires à cette course à la modernisation. Ainsi fut perdue la guerre des étoiles [3], leçon que l’Empire du milieu a bien retenue.
La Chine, souhaitant poursuivre dans des conditions privilégiées le même scénario qu’elle impose à Washington depuis 2008, éprouve le plus grand intérêt pour ce métal. Il lui donnerait ainsi les moyens monétaires et financiers à la fois pour maintenir ses approvisionnements en matières premières et pour effectuer des dépenses massives d’armement tandis que les USA, démunis d’or et de yuan, rencontreraient de grandes difficultés à s’approvisionner et à développer leurs propres programmes.
La manœuvre de Pékin est très fine… Sous la forte hausse de l’or qu’elle active en ce moment, se cache en fait une manœuvre géopolitique et militaire majeure.Maxence DAGHER
[1] Les accords de Bretton Woods sont des accords économiques ayant dessiné les grandes lignes du système financier international en 1944. Leur objectif principal fut d’instaurer une organisation monétaire mondiale et de favoriser la reconstruction et le développement économique des pays touchés par la guerre. Ils furent signés le 22 juillet 1944 à Bretton Woods (USA) entre 730 délégués, représentant les 44 nations alliées, qui décidèrent de créer le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale et fixèrent les parités des monnaies par rapport au $, lui-même lié nominalement à l’or (35$ l’once).
[2] Le World Gold Council est l'organisation de développement de marché pour l'industrie de l'or. Travaillant dans les secteurs de l'investissement, des bijoux, de la technologie et s'engageant dans les affaires des gouvernements, son but est d'assurer le leadership de cette industrie, tout en stimulant et soutenant la demande pour l'or. Basé au Royaume-Uni - avec des opérations en Inde, en Extrême-Orient, en Europe et aux États-Unis - le WGC est composé de 23 membres représentant les principales sociétés aurifères du monde. (Source : Wikipedia)
[3] L'Initiative de défense stratégique (IDS), dite aussi Guerre des étoiles (1982-1989), était un projet lancé le 23 mars 1983 par le président Ronald Reagan durant la guerre froide conséquence de la poussée soviétique depuis la moitié des années 1970 et de la volonté des États-Unis de rester inviolables et invincibles sur leur sol et dans leurs zones protégées. Il s'agissait d'un projet de réseau de satellites consacrés à la détection et à la destruction de tout missile balistique lancés contre eux. ». (Source : Wikipedia)