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Billet de blog 8 juin 2021

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Un fossé se creuse entre l’Europe et les économies chinoises et américaines

L’ampleur du plan de relance européen – que Christine Lagarde ex-directrice du FMI estime sous- dimensionné - déterminera le rôle joué par l’Union au 21e siècle. Soit elle reste dans la course technologique et économique, soit un fossé de plus en plus grand se creuse entre son économie et celles de la Chine et des Etats-Unis.

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Illustration 1
Pièces de monnaie et figurines miniatures avec des dés formant le mot "wealth" (richesse) © ID: P-045603/00-03 Reportage: P-045603 Date: 26/08/2020 Lieu: Bruxelles - CE/Berlaymont Etiquette: Billets/Pièces, Croissance, Travail, Emploi, In

Il faut relancer davantage et plus vite sinon les 27 se feront définitivement dépassés. D’autant que la conjoncture est défavorable : le FMI met en garde contre un risque de sévère correction sur les marchés et de fin de l’argent gratuit. Les bulles financières ainsi engendrées éclateront alors avec leur lot de perdants et de gagnants. L’heure de la rigueur budgétaire a sonné !

Plan de relance US deux fois supérieur au plan européen

La Chine a déjà impulsé son économie avec une croissance de 18,3% au premier trimestre 2021. Les Etats-Unis s’activent de leur côté avec un plan de relance massif de plus de 1.600 milliards d’euros qui devrait pousser leur croissance à 6,4% du PIB en 2021, soit deux fois le plan de relance européen.

La nécessité d’une relance très forte de l’économie européenne

Selon le FMI Bruxelles refuse un effort de relance européen à hauteur de 3 points de PIB en 2021 et 2022 aussi la crise pourrait laisser des séquelles. Plus la relance économique sera importante, plus le redressement de la zone euro sera rapide, moins les ménages et les entreprises auront à en souffrir.
On doit relancer la politique budgétaire puisque la politique monétaire ne suffit plus à stimuler la production, les taux d'intérêt étant au plus bas. Aussi le Vieux Continent doit proposer un nouveau programme d'aides aux entreprises en difficulté et aux ménages qui souffrent le plus, de l'ordre de 3 % du PIB en 2021 et 2022. Ceci pourrait faire croître le PIB de 2 % environ d'ici à la fin de l'année 2022. A moyen terme, l'effet massif que ces mesures exerceraient sur l'offre réduirait au moins de moitié les séquelles de la crise.
Les mesures budgétaires cumulées aux USA entre 2020 et 2022 représentent près d'un quart du PIB alors qu'elles sont toutes inférieures à 10 % du PIB dans les quatre grandes économies de la zone euro. Le plan européen atteint à peine 5 % du PIB de l'UE sur les trois prochaines années, dont la moitié est constituée de simples prêts freinant d’autant la croissance à venir.
Deux dangers guettent la zone euro : un vrai risque sur la productivité si on ne relance pas plus et plus vite et son hétérogénéité qui va s’accentuer à la fin de la crise. Or il n’y aura pas de nouveau stimulus budgétaire au niveau européen avant les élections allemandes en septembre prochain et la présidentielle française en mai 2022. D'ici là, la BCE va chercher à acheter du temps.

Un fossé de plus en plus important entre les Etats-Unis et l’Europe

Toujours selon le FMI le PIB américain devrait bondir de 6,4 % en 2021, grâce à un solide plan de relance et une campagne de vaccination réussie. Le PIB européen, quant à lui, devrait plafonner à 4,4 % de croissance cette année en raison de sa gestion désastreuse des commandes de vaccins. Freinée par cette lenteur et des politiques de relance moins ambitieuses qu’outre-Atlantique, l’économie européenne décroche face à celle des États-Unis. Ce retard pourrait ne plus être rattrapable.
Alors que l’économie chinoise a retrouvé en 2020 son niveau d’avant la pandémie, que les États-Unis y parviendront cette année, l’Europe - assommée par les reconfinements - devra quant à elle patienter au moins jusqu’à l’été 2022.
Les USA vont continuer à rebondir très fortement grâce à une immense stimulation budgétaire alors que l’Europe – ayant amorti le choc de la pandémie avec des mesures coûteuses de chômage partiel qui ont sauvé l’emploi - n’a pas cet élan additionnel.
Le retard pris par l’Union – en raison de cette conjoncture dégradée de mise en œuvre des réformes dans les différents pays membres - risque d’être persistant. Pour Bruxelles, trop accélérer pourrait créer des déséquilibres qu’il faudrait ensuite corriger. Par crainte de l’inflation, des déficits et des problèmes de coordination, cette dernière privilégie régulièrement le risque de chômage et de perte de contenu économique à celui d’une surchauffe.

Risque d'une sévère correction sur les marchés

Le FMI soutient que les marchés - actuellement déconnectés de la réalité économique -, atteignent des sommets malgré la récession mondiale provoquée par la pandémie. Ils pourraient subir une sévère correction.
Les investisseurs parient sur une aide ferme et durable des banques centrales qui soutiendra une reprise rapide même si les données économiques indiquent une récession plus profonde que prévue. Si leur analyse venait à changer, il se produirait une correction des actifs à risque menaçant la reprise.
La dette des entreprises, déjà élevée avant la pandémie, après une décennie de taux d'intérêt bas, atteint à présent des niveaux amplifiés alors que la dette des ménages augmente également. Si les emprunteurs ne sont pas en mesure de rembourser dans un contexte de reprise lente, on pourrait avoir de sérieux problèmes.
Le soutien exceptionnel des gouvernements qui ont déployés - en accord avec les banques centrales - liquidités, prêts et taux d’intérêts bas, a amorti l’impact de la pandémie sur l’économie et le système financier mondial. Cela a évité de grandes vagues de licenciements et de faillites. La facilité d'obtention des crédits, pourrait cependant entraîner des effets pervers.

Fin de l’argent gratuit ?

Selon Marc Touati, président du cabinet ACDEFI, les banques centrales occidentales - afin d’amortir la récession engendrée par la pandémie - ont contribué à augmenter les masses monétaires des Etats- Unis et de l’Europe via la "planche à billets" à des taux d’intérêt monétaires extrêmement bas et déployé un "quantitative easing" d’envergure par l’achat massif de dettes, en majorité publiques. Elles ont ainsi plongé le monde dans un dangereux paradis artificiel.
De 2008 à 2021, le bilan de la Fed a été multiplié par 9, atteignant en avril 2021 7.821 milliards de dollars, dont 92% de titres de dettes, principalement publiques alors qu’il n’était que de 3.800 milliards de dollars avant la pandémie. Le bilan total de la BCE a lui aussi été multiplié par 9 mais par rapport à 2004 faisant ainsi plus fort à 7.522 milliards d’euros, soit plus de 9.000 milliards de dollars. Cette expansion très conséquente de liquidités affectées aux achats massifs d’obligations d’Etat - par ces deux banques centrales - a permis aux taux d’intérêt de ces dernières de rester artificiellement bas, en dépit de la flambée des dettes publiques.
L’argent gratuit créé a ainsi permis d’alimenter les bulles financières obligataires, boursières, immobilières et des cryptomonnaies. Ceci a aggravé les inégalités entre épargnants.
Outre-Atlantique, les relances budgétaires et monétaires ont amorti le choc de la pandémie. Ainsi le PIB américain n’a baissé que de 3,5% en 2020 et cette économie est repartie sur le sentier d’une croissance forte et durable fin 2020 et début 2021.
A l’inverse, dans la zone euro, la générosité de la BCE n’a pas permis d’éviter une récession l’an dernier et ne concède qu’une timide croissance début 2021.
L’argent gratuit dans les pays de l’Union s’avère inefficace et dangereux car les acteurs économiques et les États se sont habitués à des taux d’intérêt obligataires nuls. Les banques centrales ont ainsi compromis la sortie de crise à présent que la croissance redémarre aux États-Unis et bientôt dans la zone euro. En effet, la robuste inflation consécutive mettra fin à la "planche à billet" et aux taux d’intérêt à 0%. Elles essaieront de gagner du temps et de couvrir les gouvernements et les marchés financiers. Mais avec une variation positive du PIB et une inflation supérieure à 3%, ces dernières ne pourront plus appuyer l’expansion monétaire afin de ne pas déstabiliser ces économies. Et ce, d’autant que les dettes publiques continuent d’exploser, dépassant amplement les 100 % en moyenne dans la zone euro, les 120% aux Etats-Unis et en France, les 160% en Italie et en Espagne et les 210% en Grèce... L’ère de l’argent gratuit va bientôt prendre fin. Aussi, les taux d’intérêt des obligations d’État commencent à augmenter. Le "quoi qu’il en coûte", qui a permis aux pays européens de dépenser sans compter sans retour d’une croissance forte et durable, va coûter très cher.
Avec le retour à la normale, les marchés financiers – quoiqu’imparfaits – changeront de comportement et arrêteront de dilapider des sommes colossales. Le dégonflement des bulles financières qui s’en suivra apportera son lot de gagnants et de perdants parmi les épargnants. Une correction sévère s’effectuera démontrant que la vraie création de richesses ne réside pas dans la "planche à billets", la création monétaire factice et l’argent de la spéculation acquis aisément. Mais elle résulte de l’investissement, l'esprit d’entreprise, l’inventivité et du travail. L’ère de la rigueur budgétaire est venue !

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