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Billet de blog 11 avril 2013

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Bruxelles veut recadrer ces oligopoles que sont les agences de notation

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Standard & Poor's, Moody's et Fitch en décernant le AAA détiennent une partie du destin financier des pays surendettés. Derrière ces prises de position, à la rigueur de l'analyse s’ajoutent les failles de toute grande entreprise. Ainsi, le commissaire européen Michel Barnier réclame plus de transparence sur leur méthodologie et veut lutter contre les conflits d'intérêts de ces nouveaux maîtres qui font trembler la zone euro.

Ces agences qui font trembler la zone euro

Comités d’analyse des agences de notation

Les analystes de Standard & Poor's, Moody's ou Fitch - grands chefs de la notation pays et spécialistes des dettes souveraines d'État - détiennent une partie du destin financier de pays surendettés et font trembler la zone euro. Toute baisse de la note entraine une hausse de la dette et d’autres dépenses ainsi qu’une baisse de la croissance conjuguée à une augmentation du chômage...

Le comité de 70 analystes de Standard & Poor's - propriété du groupe d'édition et de services financiers new-yorkais McGraw-Hill – décide, toujours par groupe impair (19 au maximum), des notes de 126 pays. La composition des réunions est gardée secrète afin de protéger ses membres d'éventuelles pressions politiques. Puis la décision est ensuite soumise au pays concerné douze heures avant toute publication.

L'agence Moody's, grande rivale de S&P, est plus offensive sur les dettes des pays industrialisés tout en restant sur la même longueur d'onde pour l'Europe. Toutefois elle s’est désolidarisée de sa concurrente, lors de la dégradation de la note de la dette américaine, se contentant de la placer sous surveillance négative. Le fait que son principal actionnaire, le milliardaire américain Warren Buffet - l'un des financiers les plus respectés de Wall Street - ait placé une partie de sa fortune en bons du Trésor américain (plus de 40 milliards de dollars), n’est peut-être pas étranger à cette décision.

Quant à l'agence française Fitch Ratings, propriété de Fimalac, le groupe diversifié de l'industriel Marc Ladreit de Lacharrière, elle a publié une note mettant notre pays sous surveillance négative tout en maintenant son triple A...

Une suprématie inchangée en dépit des récentes erreurs

Aujourd'hui omnipotentes, ces agences de notation n’ont pourtant pas anticipé la crise financière de 2008. En effet, elles ne comprenaient rien aux produits structurés qu'elles étaient censées évaluer. De plus, leurs hiérarchies restent animées par d'obscurs intérêts. Elles n’ont qu’une obsession : maximiser le nombre de titres estimés pour les banques d'investissement de Wall Street afin d’engranger les commissions. Pendant ce temps, les banquiers gagnent des fortunes en exploitant les failles du système.

La dégradation de la note française envoyée «par erreur» aux médias, par l'agence S&P, fait planer un doute sur la prise de cette décision et pose la question de la crédibilité et de l’intégrité des agences.

Malgré ces erreurs à répétitions, leur pouvoir n'a cessé de s'accroître depuis le début des années 2000 suite à l’obligation faite aux banques de se couvrir en triple A. Aujourd'hui, la plupart des grands investisseurs de la planète utilisent ces notations pour gérer leurs portefeuilles y compris la Banque centrale européenne (BCE). La conséquence quasi automatique de la perte du AAA est la vente immédiate des obligations souveraines du pays dégradé.

Déficit d’analystes en macroéconomie

Un doute subsiste sur leur compétence réelle car elles manquent d’analystes en macroéconomie. Elles doivent donc se renforcer à la fois qualitativement et quantitativement en recrutant des profils de chercheurs ayant une excellence académique reconnue.

Les meilleurs profils font carrière au sein de banques d'investissement qui rémunèrent généreusement l’évaluation de leurs émissions contrairement aux États. Les autres vont dans les agences de notation où l'activité de risque souverain n'est pas la plus prestigieuse mais leur permet ensuite de se faire recruter par les grands noms de la finance afin de conseiller les États défaillants.

Ces agences ont néanmoins les moyens de recruter des talents car leur rentabilité est très élevée. La marge brute de Moody's était comprise entre 38 et 40% en 2011. Sur l'exercice 2010, celle de Fitch s'est élevée à plus de la moitié du chiffre d'affaires (58%) et celle de Standard & Poor's à 43% sur les seuls trois premiers mois de l'année 2011.

Effet perte du AAA : exemples danois, finlandais et suédois

Le Danemark, la Finlande et la Suède, plombées par des dettes massives et des dépenses publiques incontrôlées dans les années 80 et 90, ont été tous les trois dégradés par les agences de notation.

Ils ont alors entamé des réformes structurelles en profondeur, leur ayant permis non seulement de regagner leur triple A mais aussi de profiter pleinement de la décennie de croissance qu'a connue l'économie mondiale entre 1998 et 2007. Leur dette publique a ainsi reculé d'environ 6,5% durant cette période contrairement à celles des pays du G7 qui s'est accru de 81% !

Des agences surévaluées que Bruxelles veut recadrer

Une faible concurrence

Ces trois agences, aux analyses non-pertinentes et peu soumises à la concurrence, ont un pouvoir de nuisance. Pour quelles raisons s’acharnent-elles sur des États comme la France, l’Autriche ou d’autres qui n’ont jamais fait défaut sur leur dette depuis 1945 ?

Ensuite, les agences ont fortement sous-évalué les risques de défaut des produits titrisés issus de «subprimes» et surtout ont été incapables de prévoir les défauts en cascade. Car elles évaluent, au mieux, les risques pesant sur des emprunteurs individuels, sans analyse globale des interdépendances qui seules permettent d’évaluer le risque systémique.

Leur manque de vision globale plaide pour une évaluation complémentaire plus centralisée du risque, par les banques centrales ou le Comité européen du risque systémique. Aussi cette évaluation doit redevenir une composante à part entière du métier de banquier.

Enfin, l'Europe leur reproche un manque de rigueur et de responsabilité dans leurs notations qui ont un impact direct sur la déstabilisation des marchés (double crise de l'euro et de la dette publique) et donc sur la prospérité des Européens. Elles sont responsables de l’accroissement de la volatilité des marchés en raison de leur défaillance comme vigie pour les investisseurs, les emprunteurs et les trésors nationaux. Elles n’ont désormais plus le droit à l'erreur.

Réforme de la réglementation prudentielle européenne

La réglementation prudentielle européenne doit évoluer afin d’encourager la réforme de l’évaluation du risque. Tout comme les régulateurs américains, elle doit cesser de faire référence aux notations des agences dans le calcul des ratios de solvabilité, des banques ou des compagnies d’assurance. Ceci sapera la rente d’oligopole dont ces dernières bénéficient et le brisera, favorisant ainsi l’entrée de nouveaux acteurs. Cette concurrence venant de nouvelles agences (chinoises ou autres), des banques centrales ou des banques privées ne pourra être que bénéfique.

Réduction réglementaire du pouvoir des agences

La Commission européenne, soutenue par Paris, a lancé sa troisième offensive réglementaire en trois ans visant à réduire leurs pouvoirs et les empêcher ainsi d’attiser la crise de la dette. Ce durcissement passe par l'option de poursuites civiles pour faute ou négligence ainsi qu'un contrôle resserré des conflits d'intérêts.

Néanmoins, elle n’a pas obtenu satisfaction sur deux points : la mise en chantier d'une agence de notation européenne, officiellement abandonnée, et l'interdiction temporaire qui leur serait faite d’évaluer des pays sous perfusion Bruxelloise à l'image de la Grèce, du Portugal ou de l'Irlande.

Dispositions en cours

Le texte, soumis au feu vert des États et du parlement européen, vise à limiter leur excès d'influence. La capacité d'analyse voire de décision, doit revenir à celui qui investit donc aux banques. La BCE, les compagnies d'assurance et les investisseurs ne devront plus s'en remettre à leur seul jugement.

Ainsi, tout investisseur pourra réclamer en justice des dommages et intérêts «pour faute caractérisée ou négligence grave». Un État disposera d'un délai de 24 heures pour répondre à une notation avant qu'elle ne soit rendue publique. De plus, ces dernières devront faire la transparence sur leur méthodologie.

Un chapitre particulier vise à résorber les conflits d'intérêts. Il limite les participations croisées entre les agences et leurs clients et introduit l'obligation pour un emprunteur de changer d'agence après trois ans (ou six ans s'il en utilise deux en concurrence). Les notations d'emprunts publics devront être mises à jour tous les six mois au lieu de chaque année.

Michel Barnier s'est heurté à plusieurs de ses collègues britanniques et suédois, sur la défense faite d'interdire pour deux mois la notation des pays négociant une assistance financière européenne sous prétexte de censure. Evidement, cette décision a été reportée sine die sans échéance précise. Ce qui prouve bien que ces agences comptent encore de puissants alliés au sein de l’Union ! Maxence DAGHER

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