L’ancien membre des forces spéciales turques, Ayhan Carkin, a fait des aveux sur les atrocités commises dans les années 1990 au Kurdistan de Turquie. Prêt à « raconter tout » devant une commission de vérité, il a dit que plusieurs massacres attribués au PKK, étaient des provocations d’une unité de renseignement de la gendarmerie.
Ayhan Carkin, qui se dit « assassin », a parlé des atrocités commises par les forces de l’Etat turc sur les kurdes, pour le quotidien Radikal et l’agence DIHA.
DES CHOSES HORRIBLES
“Je faisais parti du premier group des forces spéciales composées de 320 personnes envoyées au sud-est (Kurdistan) en 1986. J’y suis resté jusqu’en 1990. Nous avions tous du sang sur les mains. Ce peuple a subi tellement de choses horribles. Quand nous sommes arrivés (sur place), l’un des hommes (villageois) avait été contraint de se dévêtir entièrement devant les enfants par un homme (de forces spéciales). Ce dernier avait rassemblé les gens au milieu du village et les battait. Comment définir une telle mentalité qui met à poil un kurde en le prenant pour un membre du PKK?”, le Parti des travailleurs du Kurdistan, a-t-il dit.
Des forces spéciales (Özel Harekat), responsable de la contre-insurrection dans les régions urbaines et rurales, est formée de spécialistes du renseignement, de tireurs d'élite et de commandos réguliers de type infanterie. Ils sont accusés d’exécutions extrajudiciaires, de tortures, d’enlèvements et d’exécutions sommaires.

CE FEU NOUS BRULERA TOUS
“Elle n’était pas la lutte contre le terrorisme, c’était une trahison. J’ai vu les avions utilisés contre ce peuple (les kurdes). Tu (les autorités) fais usage de l'artillerie, de tank, de mine contre son peuple. Ce feu nous brulera tous. Nous avons fait manger de la merde à ces gens. Nous avons enlevés leurs ongles, interdit leur langue, nous avons fait cela” avoue cet ancien membre des forces spéciales.
DES FOSSES COMMUNES
“Nous devons nous excuser auprès des kurdes” dit-il et poursuit : “Maintenant, on découvre partout des fosses communes (…) Ces fosses communes sont une honte pour ce pays.”
Selon un récent rapport de l’Association des droits de l’homme (IHD), il existe au moins 88 fosses communes contenant 1469 corps dans la région kurde.
LE MASSACRE DE PINARCIK
“Nous sommes partis là-bas (Kurdistan) en 1986. Un an après, il y a eu un massacre au village de Pinarcik à Omerli, dans la province de Mardin. 30 personnes, dont 16 enfants avaient été massacrées. Je suis allé à ce village, il y avait partout l’odeur du sang et de la poudre. Le massacre de Pinarcik était une provocation des groupes crées par le Jitem. 30 personnes, dont la plupart des enfants! Le corps sans vie d’un enfant était dans mes bras. Ces gens-la n’ont pas été tués par l’organisation (PKK) » ajoute Carkin.
Au total, 33 personnes avaient été tuées le 20 juin 1987 à Pinarcik. Les medias turcs avaient accusé le PKK, comme aujourd’hui, en les qualifiant des “tueurs de bébés”. L’enfant dans les bras de Carkin, avait un an et demi.
JITEM, UNE ORGANISATION CRIMINELLE
L’unité de renseignement de la gendarmerie, le JITEM, dont l’existence a été niée par des officiels, est l’un des appareils de la guerre spéciale ou « salle guerre » contre les kurdes. Selon des sources kurdes, ils sont toujours actifs dans la région kurde, se vêtissent en tenus de guérilleros. Cette structure de l’Etat, est aussi accusée de l’assassinat de Hrant Dink, le journaliste Arménien tué le 9 janvier 2007 à Istanbul par un ultranationaliste.
Au moins 607 civils ont été tués dans des conditions non élucidées ou ont été victimes de l’exécution extrajudiciaire par des forces de l’ordre au cours de neuf dernières années dans la région kurde, indique un rapport de l’Association des droits de l’homme. Le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a récemment déclaré qu’un seul « faili mechul » (meurtre politique non élucidé) a été commis depuis son arrivé au pouvoir en 2002.
Plus de 17 mille "faili meçhul" perpétrés depuis 1991, plus de 4 mille villages brûlés ou détruits par l'armée, au moins 468 enfants kurdes tué ( 13 enfants en 2010) par les forces de l'ordre ou des explosifs militaires au cours de vingt dernières années, selon les organisations des droits de l'homme.
IL EST TEMPS DE PARLER
“Je ne fuirai nul part. Je jure sur mon honneur que je raconterai tout, si une commission de vérité, proposée par Ocalan (leader du PKK emprisonné sur l’Ile d’Imrali depuis 1999), sera crée. Mais les autres doivent venir aussi devant cette commission, comme Mehmet Agar, Ibrahim Sahin et les autres...”
Mehmet Ağar, ex-chef de la police et ancien ministre de l’Intérieur, avait réalisé 1000 opérations contre le PKK, perpétrant ainsi des milliers d'assassinats. Il est accusé d’avoir couvert des structures occultes de la police chargées, dans les années 90, d’exécuter les bases besognes de l’Etat, notamment lors d’opérations menées contre la rébellion kurde.
Ibrahim Sahin, arrêté dans le cadre de l’enquête sur le groupe « Ergenekon », une organisation clandestine ou « l’Etat profond » accusée de complot pour renverser le gouvernement turc, est un ancien dirigeant du bureau des opérations spéciales de la police. Il est l’homme clé, beaucoup de choses changeront s’il parle, selon Carkin.
« Il est temps de parler » ajoute Carkin, soulignant que le vrai Ergenekon est toujours à sa place. Il dit que tous les responsables de cette structure sont dehors. « Ils sont tous dehors. Veli Kucuk a des liens avec le Haut-Karabagh. Il y existe aussi Ergenekon » dit-il.
Le général Veli Kucuk, fondateur du JITEM, a été arrêté en 2008 dans le cadre de l’affaire Ergenekon.
CARKIN, QUI EST-IL ?
Çarkin, 46 ans, a été en service pendant quatre ans au Kurdistan, notamment à Diyarbakir, Dersim et à Mardin. Il a participé à nombreuses opérations au Kurdistan et dans les grandes villes turques. Le 12 Juillet 1991, il avait participé à une opération contre une cellule à Nisantasi, un quartier d’İstanbul, qui avait fait 11 morts. Le 16 Avril 1992, trois personnes avaient été tuées à Ciftehavuzlar, Istanbul, lors d’une opération. Il a été condamné à 4 ans de prison dans le cadre de l’affaire Susurluk, qui avait révélé des liens étroits entretenus entre politique, police et mafia d'extrême droite turque à la suite d’un accident de voiture meurtrier en novembre 1996, dans la petite ville de Susurluk.
Carkin a reçu 350 certificats d'appréciation par ces supérieurs après chaque opération.