« Ne pas pouvoir être réélu est une funeste connerie » a dit M. Macron en parlant de lui, lors de son entretien avec les chefs de partis la semaine dernière. C’est l’un des derniers exemples en date des légèretés qu’il prend avec les fondements démocratiques de notre pays. Après l’absence de condamnation des propos du directeur de la police nationale, la normalisation active du RN, ou la réduction au silence du Parlement, nombreux sont ceux qui se sentent floués par le président. En 2022, il s’était pourtant présenté en garant de la République face à l’extrême droite et de ce qu’il qualifie d’extrême gauche, le gouvernement s’évertuant à nous rappeler que ces derniers ne font pas parti de l’arc républicain. A l’avenir, pour ne pas se laisser dicter le nom de ceux qui seraient ou ne seraient pas de vrais républicains, il est important de se souvenir des atteintes macronistes à la démocratie qui ont fait florès lors du premier quinquennat. Florilège.
Une realpolitik à la limite de la célébration des autocrates
Au moment des législatives de 2022, un certain nombre de ministres craignant pour leur place ont créé ce narratif d’une NUPES dangereuse pour la République. L’un des arguments employés était la supposée connivence entre le groupe de gauche et des pays « pas très démocratiques » selon les déclarations de la ministre Agnès Pannier-Runacher. Alors que ces condamnations sont difficiles à étayer dans le cas de la NUPES, de tels rapprochements sont en revanche bien documentés dans le cas de M. Macron.
Si en tant que chef d’Etat on doit évidemment échanger avec des leaders dont on ne partage pas l’idéologie, il y a un monde entre entretenir des relations et mettre un dirigeant à l’honneur. Ainsi on peut s’interroger sur le bien-fondé de recevoir, comme premier chef d’Etat de son mandat et en grande pompes à Versailles, Vladimir Poutine. De la même manière, était-il absolument nécessaire de cumuler les signes d’affections à l’égard de Donald Trump, au point d’en faire l’invité d’honneur du premier 14 juillet du président ? Enfin, si la France dépend du Qatar pour un certain nombre d’hydrocarbures, le président avait-il besoin de dire que ce pays « organise très bien cette Coupe du monde » ?
Pour faire barrage, il faut un ennemi
A chaque scrutin, M. Macron a axé sa stratégie sur la logique du barrage. Barrage à l’extrême droite à chaque élection présidentielle, barrage aux « extrêmes » aux législatives de 2022. Aurore Bergé dira d’ailleurs à l’Assemblée Nationale que la NUPES « fait la courte échelle à l’extrême droite » : la boucle est bouclée. Mais pour pouvoir faire barrage, il faut qu’il y ait un ennemi à empêcher. Aussi, par électoralisme espérons-le, sinon par conviction, le président, son gouvernement et sa majorité ont œuvré pendant 5 ans à légitimer des figures ou des thématiques liées à l’extrême droite.
Il y a eu, dès 2018, la question de l’hommage à Philippe Pétain lors des commémorations du centenaire du 11 novembre, le président déclarant que « le maréchal Pétain a été aussi, pendant la Première Guerre mondiale, un grand soldat" précisant, et heureusement, qu’il avait "conduit à des choix funestes". Mais après la figure, il y a eu les thèses.
En 2020, Gerald Darmanin annonçait, deux semaines après avoir été nommé : « il faut stopper l’ensauvagement d’une partie de la société ». En plus d’être fausse – la dernière étude de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) montrant que pour les atteintes physiques les chiffres sont stable ou en baisse depuis 2006 – cette phrase est un marqueur clair. En effet avant lui les seuls personnalités à avoir utilisé le terme chargé d’« ensauvagement » étaient d’extrême droite.
Quelques mois plus tard, c’est le ministre Jean-Michel Blanquer qui accorde du crédit à une théorie d’extrême droite dénuée de sens en déclarant : « ce qu’on appelle l’islamo-gauchisme fait des ravages. Il fait des ravages à l’université, il fait des ravages quand l’UNEF cède à ce type de chose, il fait des ravages quand dans les rangs de La France insoumise, vous avez des gens qui sont de ce courant-là et s’affichent comme tels. Ces gens-là favorisent une idéologie qui, ensuite, de loin en loin, mène au pire ». Non content de banaliser cette expression, le ministre accuse carrément, dans une sortie qui frise le complotisme, des universitaires, étudiants et députés, d’être responsables des attentats traumatisants dont la France a été victime. Ces deux déclarations, aussi rapprochées l’une de l’autre, font comprendre le tournant que donne le président à son quinquennat à la sortie du confinement.
Un président encombré par les contre-pouvoirs
Après les mots, les actes. Si M. Macron accuse au moment de la réforme des retraites, la France insoumise de vouloir « délégitimer nos institutions », c’est peut-être aussi pour masquer son propre rapport aux contre-pouvoirs.
Il y a eu très tôt une défiance à l’égard des journalistes. Jean-Marie Charon, sociologue spécialisé dans l’étude des médias, peint un tableau assez sombre d’un président qui n’a rien à envier à M. Trump en matière de défiance à l’égard du 4e pouvoir. Entre critiques répétées, convocations par la DGSI, délocalisation des bureaux des agences de presse hors de l’Elysée, ou réduction du nombre et des types de journalistes autorisés à suivre le président en déplacement, on distingue la volonté d’un politique préférant s’adresser aux français avec ses propres outils de communications pour éviter la contradiction. M. Trump avait Twitter, M. Macron a YouTube.
Et puis il y a eu les atteintes aux organismes publics de recherche. L’ONDRP, précédemment évoqué, organisme public indépendant, a été dissout en 2020 pour des raisons d’économies budgétaires. Si Edouard Philippe l’a certainement ordonné de bonne foi, on peut interroger la portée de la suppression d’un organisme dont l’enquête annuel sur les actes de délinquance – réalisée en interrogeant un panel de 23 000 ménages sur les actes qu’ils ont subis –permettait de se détacher des seuls chiffres du ministère de l’Intérieur, nourris par les forces de l’ordre.
Cette dissolution a été suivi, en 2021, par l’annonce par Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de conduire une enquête sur l’islamo-gauchisme à l’université. Effectivement, une fois cette thèse adoubée par son collègue, pourquoi s’arrêter en si bon chemin et ne pas contrôler ce sur quoi les chercheurs français conduisent leurs recherches ?
Après les institutions vient le tour de la rue
Si au moment des législatives le président taclait le programme de la NUPES sur son supposé caractère autoritaire, le premier quinquennat est plein d’actes de répression qui se poursuivront en ce début de second mandat.
Au niveau des lois déjà, dès 2017, M. Macron propose de faire entrer dans le droit commun nombre de mesures permises par l’état d’urgence dont il avait promis de nous faire sortir. La loi antiterroriste permet aux préfets, sous les ordres du président, d’ordonner des perquisitions, de fermer des lieux de culte, de mettre en place des périmètres de sécurité avec fouilles, d’assigner à résidence des individus, et ce, à l’exception du premier point, sans l’aval d’un juge. Les conséquences de ces mesures ont pu être récemment observées avec l’interdiction de manifestations lors de déplacements de M. Macron pendant les débats sur les retraites. Il y a également eu la loi de sécurité globale, avec son fameux article 24 visant à restreindre sérieusement la possibilité de documenter les agissements de la police.
Cette dernière loi avait été en partie proposée à la suite du mouvement des « gilets jaunes ». Tout au long de cette période, la liberté de manifester avait été sérieusement remise en cause. En effet, M. Philippe et M. Macron avaient considéré que le simple fait de participer à ces manifestations rendait « complice » des violences et dégradations qui s’y déroulaient, permettant de décourager tout un chacun d’exercer un droit fondamental, et justifiant du même coup les mesures et sévices que pourraient subir les manifestants.
Cette répression légale et verbale entraîne inévitablement une répression physique. Face à l’accroissement vertigineux du nombre d’actes de violences policières qui pousseront la Haut-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU à demander au gouvernement « une enquête approfondie sur tous les cas rapportés d’usage excessif de la force », le gouvernement et le président feront mine de ne pas voir. Pire que ça, lorsque M. Darmanin est interrogé sur le sujet par une commission parlementaire, celui-ci déclarera « quand j’entends le mot violences policières, je m’étouffe » reprenant ici « j’étouffe » qui avait été répété par Eric Garner, George Floyd et Cédric Chouviat, morts par asphyxie lors d’interpellations policières. On s’est demandé jusqu’où cette indifférence du gouvernement pouvait aller en constatant l’absence de réactions face à la vidéo choquante de lycéens, à genoux et mains sur la tête, filmés par un policier qui déclare, sûr de son impunité "voilà une classe qui se tient sage », une phrase qui donnera son titre au très bon documentaire sur les violences policières de David Dufresne Un pays qui se tient sage.
Il est important de se souvenir pour ne pas se laisser endormir
Ainsi, il est important de se souvenir des actions du gouvernement pendant le premier mandat pour évaluer les évènements du second. Il est important de ne pas se laisser endormir par la stratégie du gouvernement qui décerne les médailles des bons et des mauvais républicains en se plaçant au-dessus de la mêlée. Il est important de mesurer à quel point, la stratégie de couper l’herbe sous le pied de l’extrême droite en investissant ses thèmes, en réaffirmant l’autorité et l’ordre, est mortifère pour notre pays et notre démocratie. Enfin, il sera important, en 2027, lorsque l’on nous demandera encore une fois de faire confiance et de faire barrage contre l’extrême droite, de choisir un parti qui n’en adopte pas petit à petit tous les atours.