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Billet de blog 29 mars 2023

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Violences à Sainte Soline : quand la rhétorique ne passe plus

La brutalité de la répression qui s’est abattue le 25 mars s'appuie sur une stratégie rhétorique déployée à l’encontre de la manifestation de Sainte-Soline. Pour la discréditer, ils ont élaboré un discours qui vise à la fois à dissocier les deux mouvements, afin d’empêcher la convergence des luttes, et à stigmatiser ses opposant·es comme incapables à saisir les subtilités des projets… et en définitive à penser le bien commun. Mais cette rhétorique ne passe plus.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La brutalité de la répression qui s’est abattue le 25 mars sur les manifestant·es venu·es s’opposer aux projets de construction des mégabassines dans les Deux-Sèvres a pris une ampleur inédite. Elle interpelle d’autant plus dans le contexte de multiplication des violences policières intervenues depuis plusieurs jours à l’encontre des opposant·es à la réforme des retraites. La condamnation de la France par le Conseil européen, qui dénonce un « usage excessif de la force » et l’annonce de Gérald Darmanin de la dissolution des Soulèvements de la Terre, attestent d’une dérive autoritaire. Cette dernière annonce s’inscrit dans le prolongement d’une stratégie rhétorique déployée ces derniers jours par les ministres à l’encontre de la manifestation de Sainte-Soline.

Pour la discréditer, ils ont élaboré un discours qui vise à la fois à dissocier les deux mouvements, afin d’empêcher la convergence des luttes, et à stigmatiser ses opposant·es comme incapables à saisir les subtilités des projets… et en définitive à penser le bien commun. De cette manière entend-t-il asseoir son autorité, face à des opposants qui invoquent d’autres ressorts la légitimité : la justice sociale pour les uns, la défense du vivant face à la prédation capitaliste pour les autres. Mais cette rhétorique ne passe plus.

Ainsi, invité sur BFMTV le 25 mars à s’exprimer sur la manifestation, le ministre de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, Marc Fesneau, a par exemple attaqué Benoît Biteau, député européen engagé aux côtés des manifestant·es à Sainte-Soline : « Monsieur Biteau, manifestement ne connaît pas assez le dossier. [...] Ces gens qui viennent vous donner des leçons et qui ne tiennent pas compte à la fois de l’administration, du juridique et du scientifique ne rendent pas service aux choses. » Avec la condescendance propre aux macronistes, on voit comment le ministre s’arroge la légitimité scientifique. Pourtant, l’étude du BRGM (Bureau de recherche géologique et minière) sur laquelle le gouvernement a bâti tout son argumentaire pour soutenir les méga-bassines est loin de faire consensus. Un des auteurs du Giec, Gonéri Le Cozannet, dénonce notamment au micro de Ouest France le fait que ces bassines empêchent de voir les problématiques systémiques de notre modèle agricole, en encourageant le maintien d’une consommation abondante quand l’heure est à la sobriété.

Dans la même interview, M. Fesneau va jusqu’à discréditer le mouvement de contestation, en niant ses motivations : à l’entendre, les militant·es n’auraient « pas d’autres motifs que ceux de blesser voire tuer des gendarmes ». Ce faisant, et à l’image de la stratégie rhétorique déjà déployée par Gérald Darmanin qui avait qualifié les militant·es « d’écoterroristes » lors de la manifestation précédente fin octobre 2022 il cherche à criminaliser le mouvement,pour mieux pouvoir justifier la sanction qui est tombée sur les Soulèvements de la Terre.

Au-delà de M. Fesneau, les ministres sont au diapason dans ce processus de délégitimation médiatique. Olivier Véran déclarait ainsi le 27 mars sur RMC que, dans les rangs des manifestant·es, certaines personnes « ne sont pas là pour la cause écologiste et n’en n’ont rien à faire, (qu’elles) viennent là-bas pour taper et attaquer nos institutions ». On retrouve le procédé développé précédemment par Marc Fesneau, fustigeant sur le même mode les « individus extrêmement dangereux qui veulent tuer les institutions de la Ve République », qui consiste à susciter l’amalgame entre la police et les institutions républicaines. Contester les décisions gouvernementales, ce serait nier la légitimité de l’Etat et récuser les institutions tout court. Par ce genre d’exercice périlleux, les ministres tentent de légitimer la répression employée.

Il est un autre amalgame que le gouvernement aime entretenir au risque de quelques contradictions. En effet, il peut sembler paradoxal de nier les convictions politiques des manifestant·es tout en arguant leur ancrage à « l’extrême gauche et à l’ultra gauche ». Gérald Darmanin se plaît pourtant à assimiler les auteur·ices de violences à ses opposant·es institutionnel·les quand Olivier Véran invective directement Jean-Luc Mélenchon, retournant avec cynisme le vocable anticapitaliste : « Jean-Luc Mélenchon et ses amis, ce sont les rentiers de la colère, les rentiers d e la misère des petites gens, et ce sont les actionnaires de ces formes de violences. »

Cette attaque de la part du porte-parole du gouvernement, est redoublée par un piège rhétorique grossier tendu par le ministre de l’Intérieur dans une allocution télévisuelle sur BFM TV le 25 mars aux représentant·es politiques de la NUPES. Monnaie courante dans les médias sus-cités, il consiste à les sommer de se prononcer sur les violences qui ont eu lieu, le but étant de placer les élu·es dans une position où ils doivent choisir entre condamner ces violences, au risque de décevoir les militant·es qui les cautionneraient, ou de les approuver, au grand bonheur des polémistes.

Enfin, un élément de langage élaboré par l’équipe de communication du gouvernement s’est répandu sur les lèvres de nos trois protagonistes, dans les heures qui ont suivi la mobilisation anti-bassines. Sur les plateaux télé que nous venons d'évoquer, tous trois se sont évertués à condamner les « oui mais ». Marc Fesneau y énonçe par exemple que « Rien ne justifie la violence, c’est inexcusable, inexplicable, inacceptable, et les oui mais, ça suffit ». Le but étant de poser le débat dans des termes manichéens et de récuser la possibilité aux observateur·ices politiques de questionner les sources de la violence dont certains manifestant·es ont fait preuve. On sent poindre la crainte du gouvernement, qui entend se lever le vent de la contestation.

Alors qu’Elisabeth Borne tente maladroitement d’apaiser la colère sociale, après avoir piétiné la démocratie en refusant de soumettre son projet de loi au vote de l’Assemblée, le gouvernement montre des signes de faiblesse. Ainsi l'assurance d'Olivier Véran qui refuse de croire que les manifestant·es « en sont arrivé·es à être violent·es parce qu'ils n'avaient pas le choix » peine à nous convaincre. C’est précisément la crainte du gouvernement que de voir une opinion publique persuadée qu’il est seul responsable de la violence. Ces efforts rhétoriques qui ont préparé le terrain de la dissolution des Soulèvements annoncée hier après-midi ne trompent plus personne.

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