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Billet de blog 21 décembre 2016

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Les musulmans sont une femme juive.

Lundi 19 décembre : attentat lors d'un marché de noël en Allemagne. Il y a l'acte terroriste, et il y a cette phrase de Donald Trump : « Les terroristes islamistes attaquent continuellement les chrétiens. » Vraies victimes, et peuples fantasmés.

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Le discours de la guerre contre le terrorisme, façonné par la théorie du « choc des civilisations », porte une charge manichéenne qu'on retrouve dans cette phrase qui incite à s'identifier à la victime chrétienne. Le discours exclut, trace, délimite. La religion sert de frontière. La religion musulmane renvoie à l'ailleurs si bien que les musulmans, dans leur rapport à l'autre ici, parfois, comprennent qu'ils ne seront jamais d'ici. Alors, les musulmans ne sont pas solubles dans la civilisation européenne marquée par le sceau de la religion chrétienne et pas réellement victimes des attaques meurtrières qui « attaquent continuellement des chrétiens. »

A bien y réflechir, doit-on vraiment penser les conflits dans le monde à partir de ces catégories culturelles ? Se solidariser des victimes revient-il à se ranger du côté du peuple chrétien contre le peuple musulman ?

Non, et le deuil en est un bon exemple. Il rassemble tout le monde. Un groupe non défini par sa couleur ou sa religion se forme. Après cet attentat, nous sommes allemands, mais on continue d'être kurdes, syriens, irakiens, palestiniens... on porte dans notre cœur la douleur des peuples martyrisés par la guerre et les attaques meurtrières, sans être pour autant de telle religion.

Si l'on réfléchit à la phrase de Donal Trump, tout vacille. Il s'en garde bien. Peur de penser, peur du questionnement, peur de la grande dissolution. Ces catégories ont le mérite de stabiliser les choses mais le défaut de tirer à côté. Il est plus facile de lutter contre le mal lorsqu'il est cerné. Pourtant, il est réducteur et dangereux d'associer une religion et/ou un peuple au mal, et lorsqu'on bombarde ce peuple pour chasser le terrorisme qui nous guette on passe à côté du problème qui se renforce. Le problème n'a pas de couleur ni d'origines ethniques. Il n'est pas contenu dans un espace géographique. Les terroristes islamistes auxquels Donald Trump fait référence n'ont pas le monopole de la barbarie qui se poursuit avec l'occupation militaire de l'armée de Bachar-Al-Assad, la torture des troupes, les viols, la répression, et le bombardement massif auquel participe les puissances impérialistes sur l'Irak et la Syrie. La guerre de date pas d'aujourd'hui. On bombarde, on fait la guerre, on occupe des territoires mais rien y fait, les groupes meurtriers sont plus forts que jamais. Preuve que le raisonnement par catégories culturelles ne fonctionne pas. Le terrorisme s'échappe toujours de la place qui lui est assignée. Plus on bombarde « l'axe du mal » ou les opposants au régime Assad considérés dans leur ensemble comme terroristes, et plus on active un terrorisme d'Etat mortifère, non reconnu comme tel.

Un rapport réalisé en 2015 par plusieurs organisations internationales de médecins dont l'Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre précise que le nombre de civils tués lors des campagnes militaires « anti-terroristes » menées par les Etats-Unis et ses alliés ont fait 1,3 million victimes depuis le 11 septembre.1 Les organisations estiment même que les chiffres réels pourraient dépasser les 2 millions de morts. Les civils succombent encore, ce qui n'empêche en rien la prolifération de la haine et des groupes meurtriers. Au contraire, ces guerres impérialistes tantôt pour la « démocratie » tantôt contre le « terrorisme » font bien plus parties du problème que de la solution car c'est suite à l'occupation militaire de l'Irak en 2003 que sera constitué par réaction, le groupe Etat Islamique, dont une partie des cadres est issue du régime de Saddam Hussein.

La guerre aux autres.

Le discours contre le terrorisme est dangereux car il prend des allures de guerre de civilisations. Tout ce qui serait étranger à la nôtre, à notre civilisation réduit bien souvent à la culture judéo-chrétienne, serait suspect. L'autre est suspect. Pour maximiser les chances d'une vie vivable et minimiser les possibilités d'une vie insupportable l'autre doit marcher à l'ombre, se faire tout petit, jusqu'à disparaître. L'écart à la norme n'est plus permis (comme l'usage du voile). L'affirmation de soi est un indice que prolifère « l'ennemi intérieur. » La négation de sa culture (si elle est musulmane) devient dans certains discours un prérequis pour s'intégrer à la civilisation.2 C'est qu'on continue de croire que le terrorisme vient forcément d'ailleurs et qu'il est porté par l'autre jusqu'à chez nous.

La terreur n'est pas le propre d'un groupe culturel étranger à notre Nation. Elle s'incarne dans la politique d'un pays (par la guerre et le bombardement) et par l'hostilité haineuse d'une partie de la population vis-à-vis de tout ce qui est étranger. Leur simple naissance constitue le péché mortel. Selon les données d'une organisation américaine, cette terreur augmente. Ce ne sont pas moins de neuf-cent incidents racistes et haineux qui ont été comptabilisés dans les Etats-Unis dans les dix jours qui ont suivi l'élection de Donald Trump à la présidentielle.3

« Je porte un foulard. Aujourd'hui, quelqu'un m'a dépassée sur le quai en me disant : « Ton heure a sonné ma petite » racontait ainsi sur Twitter Mehreen Kasana, une journaliste, au lendemain de la victoire des républicains. » La haine contre l'autre est en recrudescence : « Une étudiante musulmane de l'université de San José, en Californie, dit qu'un homme blanc a tenté de lui arracher son voile, rapporte l'Agence France-Presse. Une autre de l'université d'Ann Arbor dans le Michigan, raconte avoir été abordée par un homme qui l'a menacée de l'enflammer avec son briquet si elle ne retirait pas son foulard musulman. Des tracts de l'American Nazi Party accusant les juifs de contrôler les médias ont été distribués dans des zones résidentielles de Missoula, dans le Montana. Dans le quartier de Brooklyn à New-York, des croix gammées ont été peintes, conduisant la police à ouvrir une enquête. »4

Nous devrions prendre à notre compte l'enseignement de la mère de Rizvan Khan dans le film indien « My name is Khan. » La scène se passe en Inde en 1983. Pour le préserver de la haine de l'étranger elle incite son fils à ne pas se baser sur les catégories d'hindou ou de musulman montées l'une contre l'autre, car elles ne disent rien d'une personne. Voilà la formule salutaire : « Il y a seulement deux sortes de personnes dans ce monde, ceux qui font le bien, et ceux qui font le mal. C'est la seule différence qui existe entre les êtres humains. »5

Faire le bien devrait commencer, pour certains, par changer leurs discours. Ne pas propager la haine de l'autre et défaire la liaison dangereuse entre « terrorisme » et « étranger ». Musulman, juif ou chrétien nous sommes tous frères lorsqu'on ouvre tour à tour notre porte à un migrant, lorsqu'on se rapproche de l'autre qui est rejeté, quand on condamne le bombardement, même si le matériel est bien français, parce qu'on se doute que là encore, c'est de la barbarie, et que le militarisme n'est pas plus une solution aujourd'hui qu'il ne le fut par le passé. Même si c'est moins rentable et plus compliqué, il faut laisser ces catégories culturelles de côté. Miser sur la paix et sur l'amour.

« Sous les étoiles filantes du ciel, pierres parsemées de ma couronne, j'allais, royalement timbré, les pieds sublimements glissants sur les trottoirs de l'exil, j'allais, avec une élégance androgyne et un peu folle. Morts aux juifs. J'exorcisai le mur par des haussements de sourcils, par des gestes mécaniques et solennels. Vie aux chrétiens, répondis-je à la mauvaise inscription, et je regardai le ciel ou les yeux de mes anciens morts scintillaient et m'approuvaient. Oui, les chrétiens étaient mes enfants, mes chauds moineaux pépiants que je tenais dans mes bras, que je serrais contre moi grave de paternité, et je leur promettais qu'ils deviendraient gentils et que je m'en chargerais. Mort aux juifs. Je souris au mur, j'essayai de le calmer, je lui fis des gestes conciliants, je lui fis signe de prendre patience. Sale juif, hurlèrent les foules, et je les bénis. Sacerdotalement, de la main écartée en deux rayons, je bénissais mes chers méchants, et sur ma face en douleur et sourire je sentais couler, en bave longue, les outrages de la haine de mes fils, les hommes. »6

1http://www.humanite.fr/la-guerre-mondiale-contre-le-terrorisme-tue-au-moins-13-million-de-civils-572310

2 « La violence est sûrement le pire des contacts, c'est un moyen absolument terrifiant d'exposer la vulnérabilité humaine, un moyen de nous livrer, sans contrôle, à la volonté d'un autre, un moyen de supprimer volontairement la vie. » Judith Butler, Défaire le genre, Editions Amsterdam, 2012, p. 37.

3 « Neuf-cent actes racistes recensés aux Etats-Unis après l'élection de Donald Trump. », Direct Matin, (7/12/2016).

4 « Après la victoire de Trump, les témoignages d'actes de haine se multiplient » RFI, (15/11/2016). http://www.rfi.fr/ameriques/20161115-etats-unis-apres-victoire-trump-temoignages-actes-racistes-homophobes

5 http://www.streamingpl.com/my-name-is-khan-streaming/

6 Albert Cohen, ô vous, frères humains, 1972, Folio, p. 193.

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