Je suis médecin, pédiatre hospitalier, pour être plus précis. Les virus, bactéries et miasmes de tout genre j'ai l'habitude de les fréquenter.
Début janvier les autorités chinoises ont arrêté un médecin en lui reprochant la propagation de fausses nouvelles alors qu'il tentait d'alerter sur l'émergence d'un nouveau virus. Depuis cette tentative du régime de l'escamoter, je voyais comme d'autres venir ce qui est en train de se produire. Les autorités chinoises ont mis trois semaines avant d'acter le fait qu'il y avait un nouveau virus, le Covid-19, qui risquait de faire des ravages. Trois semaines pour un virus passablement contagieux c'est beaucoup de temps. Le temps qu'il lui a fallu pour passer d'une petite épidémie locale (qu'on aurait pu encore contenir début janvier) en pandémie en puissance, car au moment même où son existence a été reconnue officiellement par la Chine, il avait déjà été disséminé sur les 5 continents. Voilà ce qu'est une maladie aéroportée en 2020 : aéroportée d'abord par une gouttelette d'un humain à un autre, puis par avion à travers tous les continents. Au passage je suis un peu étonné que le terme pandémie ait été employé si tardivement par l'OMS alors même que fin janvier on savait déjà que la propagation serait très rapide.
Le premier foyer en France, importé par un Anglo-Saxon de retour d'Asie, a été identifié à Condamine en Savoie, ce que l'on n’aurait pas osé écrire dans le scénario d'une fiction.
Depuis, tout le monde se met en action pour se préparer à une vague de malades et surtout de malades en détresse respiratoire aigüe. Chaque pays à son niveau cherche à prendre des mesures plus ou moins voués à l'échec au vu de la propagation foudroyante de la maladie. Mais dans la préparation des services de soins autant qu'en terme de communication et de vigilance épidémiologique on enchaine les lacunes et les erreurs.
Bien sur tout le monde est dépassé par les évènements et semble se séparer en différentes fractions : les anxieux qui paniquent, ceux qui banalisent voire sont dans la défiance ou le déni et ceux qui sont un peu circonspects et observateurs.
Voter en temps de Pandémie ?
Au milieu de tout cela, face à la tempête qu'on voit se former devant nos yeux, l'exécutif français se trouve coincé entre la nécessaire préparation à cette catastrophe sanitaire annoncée et le petit jeu politicien de la préparation des élections municipales.
En mal de candidature convaincante et surtout en mesure d'avoir l'espoir de pouvoir ravir la capitale à la maire sortante Anne Hidalgo, la Macronie perd son candidat Benjamin Grivaux, aussi maladroit que malaimé, qui trébuche sur une sombre histoire de sextape. Au passage je me demande bien pourquoi il jette l'éponge la dessus. L'histoire est peu glorieuse, certes, mais banale. C'est le triste quotidien de très nombreuses adolescentes d'aujourd'hui, qui se font coincer dans des traquenards ou des chantages avec des images ou des vidéos à caractère sexuel. Il s'agit la d'un autre fléau de notre époque dont la gravité et l'impact sont encore sous-évalué. Et au lieu d'utiliser sa position exposée et protégée pour dénoncer ces pratiques au nom de toutes les jeunes adolescentes anonymes dont on prend note seulement au moment ou elles se suicident ou tentent de le faire, M Grivaux c'est honteusement effacé.
Perdre ainsi son candidat au milieu d'une campagne est embêtant, surtout juste après avoir exclu son concurrent Cédric Vilani qui ne peut faire autrement que de maintenir sa candidature dissidente. Le président et son premier ministre ne trouvent pas meilleure solution que d'envoyer Agnes Buzyn au charbon. Si elle avait été ministre des DOM TOM ou des anciens combattants, il n'y aurait eu rien à y redire. Mais débarquer la ministre de la santé à l'aune d'un fléau d'un nouveau type et d'une crise sanitaire sans précédent, c'est un acte de kamikaze qui met en danger toute la nation.
Pendant-ce temps là dans mon hôpital on change tous les 2 jours de directives et de dispositif, ce qui fait perdre du temps et de l'énergie à tout le monde et ne contribue pas à être mieux préparé au jour J.
Puis arrive le premier tour des élections municipales dont la campagne officielle, qui était déjà très courte avec ses deux semaines programmées, est amputée de moitié vu les annulations des meetings lors de la deuxième semaine. Les rassemblements sont interdits. Le président parle aux Français jeudi soir et maintient le premier tour. Celui-ci s'est soldé, comme on pouvait s'y attendre, par une abstention record, ce qui est une calamité en terme d'exercice démocratique, mais aussi pour la légitimité des futurs élus. Le lendemain du premier tour le président reprend la parole pour annoncer le shut down du pays avec le confinement de la population.
Donc pour résumer : dimanche on dit à tout le monde : « Sortez pour aller voter » et le lendemain on ordonne l'exact inverse : « Restez tous chez vous, sinon on vous colle une amende ». Bien sûr le deuxième tour est annulé et l'exécutif se retrouve dans un flou constitutionnel sans précédent et attaquable de toutes parts. Au-delà de la question de la constitutionnalité d'un scrutin ainsi avorté il paraissait totalement hallucinant de vouloir mettre en place de nouvelles équipes d'élus en plein chaos sanitaire. On a dépassé les limites de cette idéologie macronienne qu'est l'En-Même-Temps-misme.
Non ceci n'est pas une guerre !
J'ai écouté attentivement l'allocution du président le 16 mars et j'ai été très choqué par l'utilisation du mot guerre. Tout d'abord j'ai envie de dire au président : non ceci n'est pas une guerre. Une guerre est un conflit armé entre des hommes, avec l'intention de nuire à l'autre, et il existe la possibilité de poser un jour les armes, pour se parler et faire la paix. Ceci est de toute évidence impossible avec le Covid-19. Donc la métaphore n'est pas valable. Si l'on ne sait pas ce qu'est la guerre, on peut aller faire un tour à Idlib en Syrie, pour voir ce que l'homme est capable d'infliger à ses pairs. A défaut je peux aussi recommander de regarder le film « Pour Sama », tourné durant le siège d'Alep, où une jeune journaliste a filmé une équipe de médecins et de soignants, qui maintiennent un hôpital de fortune et des soins a minima dans la ville assiégée et broyée par la machine de guerre du boucher Assad secondé par l'armée russe.
Et au-delà de l'usage abusif et erroné du mot guerre, j'ai été très gêné par la répétition de l'expression « nous sommes en guerre » en anaphore. Il a employé ce terme 6 fois comme une figure réthorique. Or nous ne sommes pas dans un concours d'éloquence.
Les mots ont un sens
Alors peut-être l'exercice de mon métier de médecin fait que j'ai une exigence de nommer les choses avec des mots précis. Les mots ont un sens. Et mis à part la formule réthorique « nous sommes en guerre » l'allocution de Monsieur Macron ce soir là était faite de belles paroles, onctueuses et un brin prétentieuses qu'on lui connait.
Mais pour en revenir aux mots : à aucun moment le président a utilisé le mot mort ou mourir. Alors que c'est bien de cela dont s'agit : un nouveau virus qui se répand à toute vitesse et contre lequel aucun humain n'est immunisé. Une grande partie de la population va le contracter rapidement. Un grand nombre va être très malade et beaucoup vont mourir, soit de la maladie, soit parce que les services de soins seront débordés et ne pourront plus faire face. Des soignants vont être exposés et à leur tour tomber malade et certains vont mourir. Il en est de la responsabilité de tous de contribuer, avec un effort et une attention accrue, pour freiner la propagation du virus. De cela va dépendre le nombre de morts à la fin de cette première vague : 10.000, 300.000 ?
Voilà à peu près ce qu'il aurait convenu de dire aux Françaises et aux Français pour leur annoncer la vérité sans fard, sans terme martial et faux.
Bien qu'on puisse y lire l'annonce de ce qui allait venir par la suite, à savoir une loi martiale justement, comprenant confinement, laisser passer (sous forme d'attestation qu'on se délivre soi-même, ce qui me paraît être un non-sens juridique total, mais je ne suis pas juriste) puis couvre-feu. Le tout semble être le tour de chauffe d'un état orwellien de surveillance totale, avec les drones qui chassent les quelques citoyens qui osent encore trainer sur la Promenade des Anglais.
Et puisqu'on est à Nice : le lendemain de l'élection municipale le maire de Nice, Christian Estrosi, annonce qu'il a été testé positif au Covid-19. C'est-à-dire que durant une bonne partie de sa campagne électorale il était contagieux et qu'il a probablement contaminé un bon nombre de personnes à Nice et sur la Côte d'Azur. Ce serait quand même dommage de constater que le patient 0 du cluster Covid-19 de la ville de Nice est le maire de la ville. Cela montre bien l'absurdité du maintien du premier tour de cette municipale vouée à être annulée. Plus que ça et je le dis avec toute mon indignation : il s'agit là d'une mise en danger délibérée et massive de la population. Et ce alors même que la ministre de la santé, poussée vainement à prendre la place vacante de candidat LRM à la mairie de Paris, avait très tôt suggéré le report du scrutin.
Il est évident que les mesures drastiques instaurées immédiatement après le scrutin sont aussi une tentative pour donner un coup de frein à l'épidémie après avoir pris le gros risque de l'aggraver en maintenant le scrutin.
Mesures et Moyens
De plus, il n'est pas prouvé scientifiquement qu'un confinement massif et généralisé présente un bénéfice supérieur au confinement ciblé de personnes infectées. Mais pour cela bien sûr il faudrait déployer une capacité de tester autrement performante que ce qui est fait en France aujourd'hui. Il est bien beau de héroïser les soignants et les médecins (qui eux pour le coup seront « sur le front » pour rester dans l'imaginaire martial du président) mais si on ne leur donne pas les moyens adéquats ils n'iront pas bien loin. Des moyens manquent à tous les coins. Dans les EHPAD il n'y a pas de masques alors qu'on nous demande de protéger ces personnes plus en danger de complications graves. Il n'y a pas de capacités de tests suffisantes pour identifier les personnes porteuses ou peu malades et de les isoler. Et l'hôpital public paye aussi les décennies d'austérité durants lesquelles les moyens ont été réduits, au nom du dogme d'une rentabilité imposée sur des bases financières arbitraires, qui en ont fragilisé la structure. Symboliquement pire encore et plus récent : les soignants qui avaient dénoncé cela et demandé des moyens durant les grèves de l'hiver, avaient été généreusement aspergés de gaz lacrymo et matraqués par les forces de l'ordre aux brides lâchées par le préfet de Paris qui semble bien porter son nom.
Bien sûr que tout le monde a une sorte de pressentiment que nous sommes à l'aune d'une nouvelle ére et qu'à la sortie de cette pandémie du Covid-19 le monde ne sera plus comme avant. Bien des certitudes vont être ébranlées, quand elles ne se seront pas complètement effondrées. Mais il y a tout de même quelques éléments basiques de virologie qu'on a envie de remémorer au président et à son gouvernement tenté de mater la population avec des moyens totalitaires : le temps d'incubation du Covid-19 est d'environ 5 jours en moyenne pouvant aller jusqu'à 15 jours. La ou la maladie s'aggrave elle le fait brutalement au bout d'une semaine de symptômes modérés. Cela veut dire qu'une mesure de confinement décrétée le 17 mars ne portera ses fruits que début avril au plus tôt (d'autant plus que grâce à l'élection municipale on a donné un coup d'accélérateur à l'épidémie) et qu'il n'est pas nécessaire d'être dans la surenchère du confinement durant cette quinzaine là. D'ailleurs statistiquement une réduction de 50 % de nos rapports sociaux permet de réduire de 95 % les contagions sur 30 jours. Quand j'observe l'état de l'espace public autour de moi le but est déjà très largement atteint.
Service public et santé publique
Si les mots du président selon lesquels il va falloir « revoir beaucoup de choses dans la considération du service public de santé » ne sont pas les habituelles paroles, qui servent à brosser tout le monde dans le sens du poil, j'aurais quelques suggestions à lui faire. Au lieu de balancer des centaines de milliards d'Euros dans tous les sens pour subventionner des industries dont certaines (comme le transport aérien) sont vouées à une décroissance pour réduire les émissions de CO2 il conviendrait d'abord de mettre quelques millions à disposition, pour tester tester et tester un maximum de personnes pour le Covid-19. On pourrait aussi utiliser tout cet argent par exemple pour allouer de manière temporaire et expérimentale un revenu universel à tous ou du moins à tous ceux dont les revenus s'arrêtent avec l'interruption de toute vie publique hors services de santé et services de première nécessité, comme les intermittents ou indépendants ou bon nombre d'auto-entrepreneurs ou professions indépendantes.
J'observe également un effet collatéral fort désagréable et nuisible à la cohésion de la société : Le confinement débride un esprit de délation où de toutes part des personnes qui se pensent légitimes leur auto-attestation à la main, interpellent ou invectivent des personnes dont ils pensent qu'elles ne devraient pas être dehors. Pourtant, ces sherifs fantasmés du confinement n'en savent rien et n'ont surtout aucun droit de le faire.
Le confinement en lui même, qui réduit de plus en plus le périmètre et les libertés de mouvement, devient quelque peu étouffant. Il paraît totalement absurde d'envoyer de peletons de gendarmes traquer des randonneurs dans des chalets de montagne ou des joggeurs isolés sur des sentiers dans les bois. Bien sûr la police peut patrouiller dans les rues pour dissiper les agglutinations de personnes mais de là à faire une chasse à l'homme tel que c'est fait aujourd'hui ? De plus cela expose également les forces de l'ordre au Covid-19 et eux non plus ne semblent pas le mieux équipés pour se protéger.
Ma liste de doléances est longue bien sûr.
Mais je vais m'arrêter là, j'en ai assez dit pour de mon indignation sur l'amateurisme de l'exécutif et sur la mise en danger des Françaises et des Français et sur la dérive autoritaire qui infantilise les citoyens au lieu de les responsabiliser.