Le 21 janvier 2021, Quentin met fin à ses jours, le lendemain du suicide d’un autre interne. Le 19 février, c’est Tristan, étudiant en dernière année d’internat en médecine générale, qui s’est pendu. Selon ses parents, “l’ensemble des co-internes et Tristan lui-même se plaignaient de l’attitude, des fautes professionnelles, du laisser-aller ou de l’oubli de la part des tuteurs ou maîtres de stages”. Valentin, interne en première année de radiologie “dans un état dépressif sévère et souffrant d’épuisement physique et moral” selon son père, se donne la mort le 30 mars 2021, soit 8 jours après le suicide d’un autre interne.
Les étudiants en médecine entrent en internat 6 ans après le début de leur cursus afin de se spécialiser pendant 3 à 6 années supplémentaires, à temps plein. Ils représentent 40% de l’effectif médical public.
Selon l’ISNI, qui a organisé le 17 avril dernier un hommage aux disparus devant le Ministère de la Santé, un interne se suicide tous les 18 jours, soit trois fois plus que la population générale. Cette année, toujours d'après l'ISNI, ce sont au moins 6 internes qui se sont tués.
“Je suis allée jusqu’à 88h hebdomadaires”
La mère d’Elise, jeune interne de 24 ans ayant mis fin à ses jours en 2019, assure à l'AFP que sa fille est “morte d’épuisement professionnel. Elle travaillait quatre-vingts heures par semaine”.
Déjà en 2017, l’ISNI alertait sur les horaires des internes et exigeait le respect de la loi fixant à 48h le nombre d’heures de travail hebdomadaires. La mère de Romain, un jeune interne décédé en 2020, affirme devant les caméras du Magazine de la Santé avoir fait le compte du temps passé par son fils à l’hôpital : “je suis allée jusqu’à 88h hebdomadaires”. William Haynes, secrétaire général de l’ISNI, dit lui-même être allé jusqu’à 120h, et réclame la mise en place d’un système de pointage pour contrôler les horaires des internes.
L’épidémie de Covid-19 n’a fait qu’empirer la situation en augmentant le nombre d’heures hebdomadaires ainsi que le nombre de gardes par mois, théoriquement limité à cinq pour les internes. Selon Marie Saleten, vice-présidente du Syndicat des internes des hôpitaux de Paris, “on atteint plutôt 80 heures et 8 à 10 gardes par mois”. L’ISNI le garantit, “au bout de la semaine, les décisions deviennent difficiles, la qualité des soins baisse, nos réserves psychologiques et émotionnelles s’épuisent”.
Ce surinvestissement ne semble pas être récompensé du côté du salaire : selon William Haynes, les internes sont payés "8,5 euros bruts de l'heure, moins que le smic horaire (...). On est des médecins quand ça les arrange, mais on redevient de simples étudiants quand il s'agit de nous payer”, dit-il.
Anxiété, harcèlement et violences sexuelles
Difficile pour certains internes de voir la lumière au bout du tunnel, eux qui refusent souvent d’être arrêtés par la médecine du travail par peur que les gardes qu’ils devaient assurer le soient par leurs collègues. Selon Gaétan Casanova, président de l’ISNI, « si tout de même, il finit par accepter de prendre une semaine ou deux parce qu’il est au bord du burnout, il n’est pas inhabituel qu’à son retour, on lui dise : “Maintenant, tu vas pouvoir récupérer les gardes que tu n’as pas faites”». Un aspect d’autant plus important à signaler que ce rythme de travail et la fatigue qu’il entraîne est l’un des facteurs de risques de la dépression et de l’anxiété.
Selon une étude réalisée à l’initiative de l’InterSyndicale en 2017, 4% des internes ont déjà fait une tentative de suicide, 23% ont déjà eu des pensées suicidaires, 28% ont des troubles dépressifs et 66% des troubles anxieux.
Des cas de harcèlement et de violences sexistes et sexuelles ont également été signalés, ainsi que des “coups, des lancer de foie en pleine figure, des jet d’instruments chirurgicaux, des gestes dégradants”, des remarques humiliantes, des menaces de non-validation de stage… Là encore, les internes n’ont personne vers qui se tourner : les harceleurs et agresseurs “sont souvent à la fois supérieurs universitaires et hospitaliers, bref ils possèdent un contrôle total sur l'avenir de l'interne”, selon l’ISNI.
D’après Gaétan Casanova, reçu par Olivier Véran en avril dernier, “le ministre doit comprendre l’urgence de la situation”.
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