Si l'on fixe suffisamment longtemps l'écran, La page s'anime et comme dirait mon ami inuit, elle vibre de l'Aputi, neige qui tombe du ciel, au Maujaq, neige molle et profonde. C'est à dire du blanc le plus pur au blanc bleuté. Cette fluctuation de couleur coïncide avec de légères vibrations qui naissent et s'entortillent pour finir de façon hypnotique par créer des images qui se succèdent mais dont on n'arrive pas à extraire la moindre signification.
Je ferme mon ordinateur.
Je l'ouvre à nouveau, prête à déverser un magnifique texte issu de ma brillante créativité. Mais dès que mes yeux se posent sur l'écran, le blanc éclatant inonde mon cerveau et efface le premier mot. Je ne peux plus booter sur l'idée mon système part en core dump.
C'est inexploitable mais une nouvelle hypothèse germe...
La fois suivante, j'essaie donc de ruser.
Je ferme les yeux.
Les images se faufilent derrière mes paupières et je me dis : ça y est... je la tiens. J'approche mes mains du clavier puis, de façon synchrone, j'ouvre les yeux pour taper les premiers mots.
Enfin mes phrases se libèrent les unes après les autres. Mes doigts volent sur le clavier, je suis aux anges. L'image haute en couleur qui flotte dans mon esprit se transforme en mots, les mots en paragraphes. Je sens que ça avance. Mon héroïne est pleine de vie et d'énergie, de responsabilités aussi.
Mais au milieu d'une phrase, les mots tremblent devant mes yeux et dégringoler les uns après les autres le long de la page, ignorant mes tentatives maladroites pour les retenir. Un petit tas de mots enchevêtrés forme une courbe gaussienne qui soit dit en passant me semble tout droit sortir de mes cours de stats de première année.
le doigt sur l'écran, j'essaye maladroitement de réorganiser mes phrases. Mais le mot, l'instance première destinée à servir mon discours, se trouve enfoui dans cette petite colline dénuée de sens.
je le vois, je le sens, il est là, prêt à faire jaillir la puissance de l'écrit ... l'écrit ... le CRI.
Car à l'origine était le CRI.