Si l’on s’en tient à ce que disent ceux qui en Tunisie appellent au repli et à laisser le gouvernement actuel travailler, à patienter, à se méfier des manœuvres politiciennes, toutes les parties en présence auraient donc des ambitions politiques et une soif inextinguible de pouvoir à l’exception du gouvernement de transition !
C’est faire preuve de partialité ou de naïveté politique.
En tant que démocrates, notre vigilance politique et intellectuelle doit s’appliquer à tous, sans exception.
Notre esprit critique ne doit reculer :
- Ni devant l’appel ou le rappel à l’ordre et la prétendue menace de la colère populaire que nous saluions hier à grands cris et à chaudes larmes. Que l’on se rassure, l’insatisfaction du peuple ne plane que sur ceux qui ont les mains sales ou des privilèges qu’ils ne souhaitent pas abandonner et elle ne s’est exprimée violemment que dans les premières heures qui ont suivies la chute du dictateur. Il ne faut pas céder à la menace brandie par les uns et les autres d’actions violentes voire terroristes qui pourraient miner la transition démocratique et faire regretter l’ancien régime. Cette transition est en cours, il faut veiller à la mener à son terme par toutes les voix possibles.
- Ni devant le faux argument de la compétence technocratique de certains membres du gouvernement actuel que l’on lie bien trop rapidement à une absence d’ambition politique. Il ne faut faire de procès d’intention à personne, mais réclamer fermement l'instauration d'un système démocratique.
- Ni devant la fausse excuse de notre prétendue manque de culture démocratique, car s’il s’agit de l’acquérir, nous ne pourrons le faire que si l’objectif démocratique est clairement énoncé par une volonté de changement constitutionnel. La question de la nature du prochain scrutin doit être posée. Si l’on s’en tient à l’actuelle Constitution tunisienne, le gouvernement intérimaire doit organiser des élections présidentielle et législatives. En théorie, la date butoir est dans deux mois, mais il semble que l’on se dirige vers six. Un délai que nous, démocrates convaincus, jugeons trop court. C’est pourquoi nous plaidons pour l’élection d’une Assemblée nationale constituante qui proclamerait la «deuxième république». Cela empêchera les manœuvres des partis existants, légaux ou illégaux, ainsi que celles des syndicats et de toutes les forces visibles ou occultes qui cherchent à tirer leur épingle du jeu.
Nos ambitions démocratiques ne doivent craindre :
- Ni l’épouvantail de la menace islamiste, bien trop longtemps brandi pour nous convaincre et qui a pour l’instant du mal à prendre le dessus, dans un mouvement de contestation auquel il n’a pas pris part. La meilleure manière de lui faire rempart et de réclamer fermement l'inscription du principe laïcité politique dans la constitution.
- Ni l’épouvantail du retour du leader charismatique qui ne trompe personne à commencer par les habitants de Sidi Bouzid. Que M. Ghanouchi qui retarde son retour et que M. Ben Brik qui n’a jamais eu peur de la grandiloquence ni du ridicule en soient prévenus. Taillé sur mesure pour Ben Ali, nous jugeons le texte fondamental sur lequel est basée la vie politique de la Tunisie incompatible avec l’émergence d’une démocratie pluraliste. La constitution actuelle incite à l’autoritarisme puisqu’elle interdit de poursuivre un président, y compris après la fin de son mandat. Nous souhaitons donc la refonte totale de cette constitution.
Notre vigilance politique et intellectuelle ne doit oublier :
- Ni l’armée restée pour l’instant loyale au peuple, sans que cela signifie pour autant que son état major ne veuille avoir, le moment venu son mot à dire. Le général Rachid Ammar, chef de l’Armée de terre ne doit pas devenir le nouvel homme fort de la Tunisie. Nous ignorons s’il le souhaite, mais nous devons veiller à ce qu’il ne le soit pas.
- Ni l’isolement géopolitique de la Tunisie dans le monde arabe et la malveillance des dirigeants voisins qui craignent que la révolution ne fleurisse sur leur territoire. Isolement que nous pouvons tenter de réduire en réclamant l’appui de toutes les forces démocratiques possibles : ONU, Union Européenne, Etats-Unis, ONG, etc.
Cette vigilance n’est pas de la voracité démocratique. La Tunisie a certes une longue tradition de réformisme entamée dès le XIXe siècle. Mais l'étape Ben Ali a montré que le réformisme pouvait essuyer de sévères revers. L’attente inévitable qu’implique une transition démocratique exige un préalable clairement énoncé : une nouvelle constitution. Ce préalable n’a pas encore été explicitement exprimé.
Et tant que cet objectif ne sera pas officiellement annoncé, nous nous devons de rester sur nos gardes et nous présenter comme partisans de la démocratie avant tout.
Pour le moment nous n’aurons d'ambition autre que la démocratie.
Meryem Belkaïd
Citoyenne tunisienne
Doctorante en lettres françaises à l’université de la Sorbonne Nouvelle.
Titulaire d’un master en sciences politiques, mention monde arabe, obtenu à Sciences Po Paris.
Enseignante.