Ukraine soviétique : Dans une vie imaginaire, un ami depuis +40 ans que j’ai fréquenté dans trois continents m’a suggéré d’avoir 9 fois plus de sympathie pour les Ukrainiens que pour les Russes. Cette suggestion découle de notre séjour partiellement commun au pays des soviets, avec dans mon cas, moins d’un an en Russie soviétique et + 9 ans en Ukraine soviétique. De ce fait, du côté de l’Ukraine russophone, je suis familier avec la région du Donbass (Lougansk, Donetsk), tout comme j’ai fait plusieurs visites à Odessa et séjours en Crimée. À l’Ouest ukrainophone, je me suis arrêté plusieurs fois dans la ville de Lviv, essentiellement lors des voyages par train Moscou-Paris. D’ailleurs, j’ai récemment relaté sur ma page FB que lors de mon dernier voyage (avril 1986), on a refusé de me servir dans un restaurant de la gare de Lviv parce que je ne m’exprimai pas en ukrainien. C’est dire que le sentiment nationaliste dans cette région d’Ukraine ne date pas d’aujourd’hui et que cette partie du pays a de tout temps davantage regardé vers l’Ouest. Aujourd’hui bien plus qu’en 1986, je suis en adéquation avec le sentiment exprimé, tant le russe était alors hégémonique à travers la majeure partie du pays. Le Russe était hégémonique à Kiev la capitale, tout comme il dominait outrageusement l’ensemble de l’Est, le centre et le Sud du pays, ces régions ayant fait partie de l’empire russe depuis plus de trois siècles.
Ukraine post-soviétique : Depuis l’avènement de l’Ukraine post-soviétique en décembre 1991, on a assisté à l’ukrainisation du pays, d’abord progressive puis, à pas forcés. Cette politique a pour corollaire la promotion de la culture et la langue ukrainienne dans toutes les sphères de la vie publique, dont l’éducation, la fonction publique, le commerce, etc. C’est ainsi que la langue ukrainienne a retrouvé ses lettres de noblesse et en trois décennies, la production culturelle, intellectuelle et artistique est devenue majoritairement ukrainophone. Même si toute comparaison est toujours boiteuse, on peut établir, à titre d’illustration, un parallèle entre Kiev et Montréal, deux villes où il fait bon de vivre. On peut dire qu’en termes de pouvoir & langue, Kiev post-soviétique peut se comparer à Montréal post-révolution tranquille. Dit autrement, Kiev de l’époque soviétique était dominée par les russophones, tout comme l’était Montréal par les anglophones jusqu’aux années 60. Il convient de spécifier que dans les deux cas, les populations majoritairement bilingues* et qui "switches" instantanément d’une langue à une autre, russe-ukrainien pour les uns et anglais-français pour les autres, ont vécu et vivent ensemble en intelligence, même si entretemps les pouvoirs de gestion des cités ont changé de mains.
Kiev assiégée : Aujourd’hui, Kiev est désormais une "ville en état de siège". L’étau russe se resserre de plus en plus autour de la ville dont seules les routes vers le sud (Lviv) restent encore dégagées. Ces routes ont déjà été empruntées par plus de 3 millions de réfugiés, accueillis à bras ouverts par tous les pays d’Europe. Parmi ces réfugiés, des enfants, beaucoup d’enfants puisque selon le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, ils représentent la moitié. Dire qu’il y a moins d’un mois, ces enfants étaient encore sur les bancs d’écoles est juste un euphémisme, c’est dire à quel point ils sont ébranlés par ce qui leur arrive.
Pour les férus d’histoire, le siège actuel de Kiev n’est pas sans rappeler celui imposé par la Wehrmacht au cours de la 2e guerre mondiale à la ville de Léningrad (ville de Lénine, actuelle St-Pétersbourg). St-Pétersbourg ne s’est libérée qu’en payant le prix fort, après près de 900 jours de siège et pas loin de 2 millions de victimes, dont une majorité de civils. On s’entend que l’armée russe n’est aucunement la Wehrmacht et que Poutine ne peut être traité de "criminel de guerre", même si j’assume avoir écrit il y a près d’une décennie que ce dernier n’est aucunement ma tasse de thé. Connaissant les Ukrainiens et les Russes, je sais que ce qui les unit ne se résume pas aux seuls caractères cyrilliques de leurs langues. Il est même difficile de trouver une famille russe sans aucune attache ukrainienne et vice-versa. De ce fait, il est plus que permis d’espérer que les Russes ne rentreront jamais dans la ville de Kiev encerclée, car des dérapages et carnages seront alors inévitables, ce qui confortera surtout les va-t’en guerre et les marchands d’armes pour qui la guerre froide n’est pas encore finie et l’Ukraine juste un alibi.
Guerre au Donbass : Il est pertinent de souligner que Kiev et Marioupol ne sont pas les seules villes assiégées et/ou qui souffrent le martyre car, contrairement à ce qu’on croit, la guerre en Ukraine n’a pas commencé le 24 février 2022. La guerre en Ukraine a commencé en février 2014 dans la région du Donbass, où deux républiques sécessionnistes ont vu le jour et que Moscou vient de reconnaître. Entre 2014 et 2020, cette guerre fratricide a causé plus de 13 000 morts, dont une bonne partie de civils. Cette guerre au Donbass a induit le déplacement de bien plus d’un million de personnes dont "personne" n’a parlé en temps en lieu. La guerre actuelle en Ukraine a exacerbé la guerre au Donbass ou les populations locales sont actuellement soumises aux bombardements des forces gouvernementales de leur propre pays. C’est révoltant de voire à quel point la pensée binaire chez les médias dominants arrive à taire cette information, alors que le régiment néo-nazi Azov exécute ses basses besognes depuis 2014, avec la bénédiction de l’actuel gouvernement ukrainien qui le finance.
Information versus propagande : Dans la vraie vie, cette suggestion de 9 pour 1 est juste le produit de mon imagination, même si cet ami existe réellement. Le connaissant, je doute même qu’il puisse me faire cette suggestion. Le fait est que, lui comme moi, savons que la sympathie et la loyauté que l’on éprouve pour une cause, un pays et/ou sa population n’a pas forcément de lien de proportionnalité avec le temps…
On ne fait pas encore de bilan en temps de guerre, mais celle-ci entre cousins orthodoxes est particulière et je ne vois pas comment une quelconque partie pourrait claironner demain une quelconque victoire militaire ou/et morale. Mais, qu’à cela ne tienne, au Canada, la presse "meanstream" présente déjà le président ukrainien comme le grand héros hollywoodien autour duquel s’est cristallisée l’adhésion massive de la population contre l’invasion russe. Dans ce pays où j’ai le privilège de vivre depuis longtemps, ces médias présentent systématiquement les méchants Russes face aux vaillants Ukrainiens, donnant souvent l’impression de vouloir davantage mobiliser l’opinion publique, plutôt que de présenter la juste information. Je suis évidemment en inadéquation avec ce matraquage médiatique, digne de la propagande soviétique d’une époque révolue que j’ai connue de l’intérieur. C’est désolant de ne pas voir surgir chez Radio-Canada une "Marina Ovsyannikova" pour nous relater l’autre partie de la vérité que ce média lourd ne montre jamais.
Opinion assumée : Bien avant l’invasion russe, j’ai dit sur ma page FB que les responsabilités dans le conflit sont partagées, mais que celle de l’actuel président ukrainien est particulière. Aussitôt élu, il lui revenait de panser les blessures, en mettant un terme à la guerre au Donbass, véritable baromètre pour ceux qui connaissent la région. Au lieu de cela, il a exacerbé les tensions entre l’Ouest ukrainien qui constitue sa base, avec l’Est, davantage russophone et russophile. Mais, gonflé à bloc par des promesses de soutien et aveuglé par son désir obsessionnel de faire adhérer son pays à l’UE et à l’OTAN vaille que vaille, il intensifia la guerre au Donbass, tout en ne faisant pas sa part du chemin pour implémenter les accords de Minsk, signés par son prédécesseur pro-occidental mais sensés l’engager. Avec le déclenchement de la guerre, les accords de Minsk sont devenus caducs et le président ukrainien vient d’admettre que son pays n’intégrera probablement jamais l’OTAN, preuve que la guerre impitoyable qui sévit en ce moment est, pour une bonne partie, la conséquence de son égarement. Même sans boule de cristal, je suis confortable de me commettre en affirmant que l’Ukraine d’après-guerre sera probablement** dans l’UE, mais il est extrêmement probable** que ce soit hors OTAN et/ou démilitarisée. Et nul besoin d’un doctorat de Polytechnique de Kiev pour anticiper cela, même si cela semble hors de portée de nombreux analystes qui écument les plateaux TV ou d’un ex. acteur devenu président.
*Avant d’utiliser le mot bilingue dans le cas de Kiev, j’ai pris soin de vérifier que tel est le cas actuellement.
** Un expert membre du GIEC m’a expliqué un jour que dans les négociations internationales, le mot probablement vaut +63 % de chance et qu’extrêmement probable vaut +90 %.
PS: Article paru le 19 mars 2022 dans adn-med (fermé)