HOMMAGE À JEAN-LUC EINAUDI
Est-ce que le nom de Jean-Luc Einaudi vous dit quelque chose? Quelle que soit votre réponse, lisez ce qui va suivre, vous conviendrez probablement que son parcours mérite d’être davantage connu et… reconnu.
Jean-Luc Einaudi est né le 14 septembre 1951 et s’il était encore de ce monde, c’est donc aujourd’hui son 74eanniversaire. Ce militant anticolonialiste était membre du parti communiste marxiste-léniniste les années 70, mais en rupture de ban. Il était, comme on dit au Québec, un travailleur communautaire, puisque éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse qui, sur son temps libre et à ses propres frais, s’attaquait à des sujets tabous, y compris chez les historiens classiques.
Son 1er travail est consacré à l’affaire Fernand Yveton, ce syndicaliste et ouvrier algérien d’origine européenne condamné à mort et guillotiné, alors qu’il n’avait pas commis de crime de sang car la bombe posée dans l’usine dans laquelle il travaillait à Belcourt était réglée sur un horaire hors travail et, qui plus est, n’avait pas explosée. L’exécution s’est faite avec l’aval du garde des sceaux de l’époque, un certain François Mitterrand, qui avait émis un avis défavorable à la demande de grâce de nombreux militants algériens, dont celle de F. Yveton. Le soir de son exécution, le 11 février 1957, Annie Steiner incarcérée à la même prison de Barberousse, a composé le fameux poème ‘’Ce matin ils ont osé, ils ont osé vous assassiner’’. L’année d’après, Jean-Paul Sartre lui a rendu hommage dans son article ‘’Nous sommes tous des assassins’’. L’Affaire Yveton est une épine pour la France et pour le parti communiste français qu’il avait déserté. De nos jours, une rue d’Alger porte le nom de Fernand Iveton, là où il est né et vécu, une autre à Oran.
Mais, c’est incontestablement dans les manifestations du 17 octobre 1961 que se situe l’apport exceptionnel de J.L. Eynaudi. Ce jour-là, 30 000 algériens sont descendus dans les boulevards parisiens pour manifester contre le couvre-feu raciste instauré par le triumvirat inconditionnel de l’Algérie française Michel Debré, Roger Frey et Maurice Papon qui avaient mis en application un couvre-feu discriminatoire de 21h à 05h, imposé aux seuls ‘’Français musulmans’’. Ainsi, dans un déchaînement de violence sans précédent, les forces de l'ordre gargarisées par Maurice Papon, engagent la chasse au faciès, avec une répression féroce sans précédent. Même si ‘’les manifestants se laissaient appréhender sans résister’’, dixit Le Figaro, des coups de feu mortels furent tirés sur une foule désemparée. Dans son désir d’empêcher la formation de cortèges, la jonction des CRS avec les gardiens de la paix dans les célèbres ponts de Neuilly et St Michel, a pris en étau les manifestants précipités volontairement et en grand nombre dans la Seine. Curieusement, les archives de la police fluviale qui récupéra un grand nombre de corps dans la Seine sont perdues ou détruites, mais la dépouille de la lycéenne de 15 ans Fatima Bedar a été repêchée le 5e jour, sa photo orne le livre de Ghafir Mohamed (connu sous le nom de Moh Clichy) ainsi que l’entrée de sa maison ou il m’a reçu cet été. Le 17 octobre 1961, officiellement, ce sont près de 12 000 manifestants qui furent arrêtés et transférés dans des centres (Palais des Sports, le stade de Coubertin) ou ils subirent les pires violences, à l'abri des regards.
Dans son livre autobiographique Les chevaux du pouvoir, publié en 1988, M. Papon justifie tout et mentionne que seuls 2 algériens ont été tués, alors qu’a eu lieu probablement la répression d’État la plus violente jamais enregistrée en Occident à l’encontre d’une manifestation de rue. Il est même probable que la férocité excessive de la répression policière était adossée à un arrière-plan colonial.
Ainsi, la manifestation du 17 octobre 1961 sur les boulevards parisiens, malgré la une ce jour-là des journaux New York Times, Le Monde et tant d’autres, a été privée de toute visibilité publique durant des décennies, aussi bien en France qu’en Algérie. C’est en 1991 que J.L. Einaudi a publié La bataille de Paris, 17 octobre 1961, 1er livre qui contextualise l’événement en s’appuyant sur des sources crédibles et qui allait disqualifier à jamais l’histoire officielle. Même s’il s’est vu refuser l’accès aux archives gouvernementales jusqu’alors ouvertes par dérogation aux seuls historiens, le chercheur sans titre Jean-Luc Eynaudi a documenté puis exhumé du long oubli cet odieux crime d’état qui a fait plus de 200 victimes, un chiffre souvent repris de nos jours. Pour cela, il a rencontré des centaines de témoins et protagonistes de cet événement, incluant des policiers, sur les deux rives de la méditerranée qui lui ont fourni des éléments de preuves sur les violences policières difficilement réfutables. Il a également questionné les archives des cimetières et des hôpitaux, tout comme il a eu accès aux archives de la Fédération de France du FLN. Parlant du 17 octobre, il n’est pas exagéré de parler désormais d’un avant et après les révélations de J.L. Einaudi.
L’héroïsme de J.L. Eynaudi réside aussi, par un heureux concours de circonstances, dans sa détermination à affronter Maurice Papon devant les tribunaux par 2 fois, (i) en 1997, en qualité de témoin, pour le rôle que M. Papon a joué sous Vichy dans la déportation de 1400 juifs de Gironde vers Auschwitz, puis (ii) en 1999 lors du procès en diffamation que M. Papon lui a intenté à la 17 chambre correctionnelle de Paris pour avoir écrit dans Le Monde « En octobre 1961, il y eut à Paris un massacre perpétré par des forces de police agissant sous les ordres de Maurice Papon » ou ce dernier a été débouté.
Jean-Luc Einaudi n’est pas un historien, mais un travailleur communautaire, dont l’apport pour faire connaître les massacres du 17 octobre 1961 est exceptionnel. Comme mentionné, cet apport mérite d’être davantage connu et reconnu. L’année passée, j’ai écrit un article pour commémorer le 17 octobre 1961 (texte joint), ou j’avais mis de l’avant l’apport de J.L. Einaudi. À la mi-octobre de cette année, je ferai une émission live chez Alternatv qui sera également diffusée sur ma page FB. Advenant un intérêt, il me semble pertinent de lancer l’idée d’une pétition en ligne pour qu’en 2026, une rue ou un jardin en Algérie soit baptisé du nom de Jean-Luc Einaudi, à l’occasion de son 75eanniversaire de naissance et/ou le 65e anniversaire des massacres du 17 octobre 1961.