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Billet de blog 24 février 2023

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« Personne ne m'a demandé mon avis mais bon... » (2) : sur « Le Prince noir »

Je souhaite aujourd'hui donner mon avis non sollicité sur un livre que je ne conseille pas : celui de Romain Verley, publié aux Editions Fayard. « Le Prince noir » est une nouvelle enquête au sujet de l'affaire PPDA.

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Ceci est le second billet d'une série nommée « Personne ne m'a demandé mon avis mais bon... », qui traite de sujets de société, de cinéma, de musique, de pop culture, de politique. Donner mon avis est ma vie, tenter de convertir à mon point de vue, ma passion. Hyper prosélyte je suis.

Je souhaite aujourd'hui donner mon avis non sollicité sur un livre que je ne conseille pas : celui de Romain Verley, publié aux Editions Fayart. 

Pour ce billet, je me base sur l'ouvrage de 409 pages ainsi que sur les interviews promo de l'auteur et d'Isabelle Saporta, PDG des Editions Fayart.

Le Prince noir, car oui, c'est bien le titre choisi par l'auteur  - nous y reviendrons -, est  une nouvelle enquête au sujet de l'affaire PPDA.

Une sortie décriée 

Publié le 07 février dernier, l'ouvrage aurait pu cependant ne pas se trouver en librairie car à la veille de sa sortie se tenait une audience décisive concernant la mise en vente des 20 000 copies déjà éditées.

En effet, l'une des victimes présumées de PPDA avait saisi quelques temps auparavant le tribunal de Paris pour "atteinte à la vie privée". Elle accusait l'auteur d'avoir rendu public le récit détaillé de son viol, sur deux pages, en puisant directement dans les extraits de son audition par la police (datant de mars 2021), sans lui avoir demandé au préalable son accord.

Le tribunal a finalement autorisé la sortie du livre, en l'état. Quel message est délivré à travers cette décision ?

Que notre droit à recommencer une vie professionnelle, familiale en gardant le secret de nos agressions passées  n'est pas sanctuarisé par la justice? Absolument.

Est-on réellement propriétaire de son témoignage devant un major de police? Apparemment, non.

Cette décision de justice semble alors constituer un autre motif de réticence, de dissuasion et de découragement ainsi qu'un obstacle de plus pour les femmes sur le déjà difficile chemin du commissariat, notamment lorsqu'il s'agit d'accuser des puissants, des dominants, des médiatisés.  

En réponse, Isabelle Saporta (Fayart) a assuré au HuffPost que tout avait été fait "selon les règles de l’art" et a évoqué "une volonté de museler». Quel art?

Celui de s'approprier un récit jusque la contrôlé par les victimes elles-mêmes, gardant la maîtrise du narratif grâce à des publications de tribunes, une communication cadrée, des interviews, la sortie de l'anonymat et une sororité sans faille. 

L'art aussi de voler puis exposer la parole d'une femme victime de viol en dépit de son consentement. Les "règles de l'Art"chez Fayard, semblent bien ironiques et mal venues.

On peut également s'étonner de l'emploi de l'expression "envie de museler" en pointant du doigt des femmes silenciées pendant des années avant de  témoigner contre un des hommes les plus puissants de France.  

Alors pourquoi Romain Verley s'est-il lancé dans cette enquête qui n'apporte que TRÈS peu de nouveaux éléments ? Nous sommes en droit de nous interroger, en effet.

Qui mieux que ces femmes pouvaient dépeindre ce que tente de décrire Romain Verley?

Elles ont pris la parole dans de nombreuses interviews, ont témoigné à visage découvert, ont offert leurs récits de : l'omerta chez TF1, de l'impunité dont disposait l'animateur, du silence des cadres de la chaîne, des violences qu'elles ont subies, de la personnalité de PPDA, de la difficulté de voir apparaître son agresseur présumé en icône totale des médias. 

Ne pouvait-on pas, pour UNE FOIS, ne pas les déposséder de leur récit, sans prendre sa part du gâteau que constitue la hype médiatique autour de des violences sexuelles et de ce que l'on appelle "la libération de la parole des femmes" ?

Il ne s'agirait quand même pas de laisser le contrôle total du récit à des femmes concernées ? Même si certaines d'entre elles sont journalistes. Même si certaines d'entre elles ont publié leur récit dans des livres.

Lors d'une interview sur RTL, interrogé à ce sujet, Romain Verley répond: "Je suis très fier que la justice ait permis la sortie de ce livre en soulignant que grâce au travail d'investigation, il participait au débat d'intérêt public."

La société qui donc, non contente de ne condamner qu'un pourcent des viols par an, a désormais besoin de débattre publiquement des détails de ces viols grâce à aux dépositions des victimes consultées et partagées sans leur accord ? 

Avec la publication du livre de Verley, nous avons notre réponse. 

Les livres des victimes présumées

Helene Devynk, journaliste et victime présumée de PPDA, a sorti  en Septembre 2022 Impunité. Elle y dépeint les dysfonctionnements de TF1  et la difficulté de prendre la parole dans un pays où l'on fait encore semblant (oui oui, il ne peut en être autrement) de confondre harcèlement et séduction, agression sexuelle et drague lourde. Elle y raconte en détails les viols et agressions des autres plaignantes, mais contrairement à Mr Verley, toujours en accord avec elles et en leur offrant un droit de regard et de modification. 

Honte de Florence Porcel, celle par qui l'affaire à été médiatisée et qui a porté plainte en premier, est une réflexion quasi pédagogique sur la culture du viol, de l'existence d'un féminin pétri de négation de droits et d'invisibilation. Elle utilise le "je", et le nous, mais qui, cette fois-ci désigne une société encore incapable de regarder les victimes de violences sexistes et sexuelles pour ce qu’elles sont. 

Nouvel éclairage ?

Pourquoi alors Romain Verley a-t-il décidé de publier ce nouveau travail d'investigation ? Qu'apporte-t-il ? À vrai dire, pas grand chose. 

Tout d'abord, Verley s'est replongé dans les romans écrits par PPDA (jonchés de récits d'agressions sexuelles en tous genres) et nous offre quelques passages, qui, à la lumière de 2023 semblent hallucinants, illisibles, servant à chaque mot une culture du viol totalement assumée. Okay. Pas besoin de 409 pages pour comprendre que PPDA s'est inventé un double fictif commettant agressions, viols afin "d'assouvir ses fantasmes". 

Ensuite, grâce à divers témoignages, l'auteur démontre que le silence était de mise chez TF1. Que tout le monde savait, que personne ne bronchait. Autrement dit, rien de neuf. 

Romain Verley s'attarde aussi sur le désormais tristement célèbre bureau de l'animateur situé au deuxième étage de la tour TF1, seul espace fermant à clef à sa demande. Il fait le récit du modus operandi (cette expression étrangement racoleuse dans sa bouche lorsqu'il l'utilise sur les plateaux télé) avec la fameuse cérémonie du 20H. Seulement voilà, Helene Devynk avait déjà consacré un nombre de pages conséquent et de longues minutes d'interviews à ce qu'elle nomme "le coup du plateau" et nous n'apprenons là, absolument rien de nouveau. Si ce n'est un détail sordide, brandi d'ailleurs sur les plateaux télé par l'auteur et martelé a chacune de ses interviews: les agressions qui avaient lieux dans le bureau de PPDA étaient commises face à un grand portrait de sa fille Solene (disparue à 20 ans). Okay, bon. Capital pour l'enquête ? Pour comprendre les enjeux d'un système ? 

Non, mais hyper efficace pour ajouter du malaise à l'horreur.

Le titre et la photo de couverture

Pourquoi choisir le Prince Noir ? On cherchait une référence historique, un truc un peu profond, mais Isabelle Saporta dira sur le plateau de TMTP (et oui, je me suis infligé cela) que c'est parce PPDA était, il fût un temps, "le Prince du 20H". Du coup, après plus d'une vingtaines de plaintes, et de dizaines de témoignages, il n'est pas déchu ? Pourquoi le magnifier et lui offrir de conserver un titre de noblesse ? Un titre qui magnifie l'auteur présumé de viols et d'agression sexuelles, lui offrant pouvoir et puissance et superbe ? 

Concernant la photo de l'animateur en couverture, sur laquelle il apparaît jeune, plutôt agréable à regarder, l'éditrice nous dirait sûrement que c'est parce que les faits se sont étendus sur de longues années. Cependant, PPDA est désormais un vieillard qui ne suscite rien d'autre que du dégout et de la colère à la lumière de ces dernières années de révélations. On se demande alors pourquoi vouloir à tout prix le montrer sous son meilleur jour et le message envoyé à travers cette couverture qui pourrait être celle d'une biographie flatteuse.

Pas le bon, ça c'est clair.

PS: j'ai eu un pincement au coeur à chaque fois que j'ai dû taper les mots "présumée victime".

Je les crois, on les croit et on les remercie pour leurs témoignages et la voie qu'ils ouvrent.

Bises. 

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