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Billet de blog 6 décembre 2025

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L’instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme

Alors que la lutte contre l’antisémitisme devrait rester un impératif moral universel, elle est aujourd’hui instrumentalisée dans plusieurs pays occidentaux pour verrouiller le débat public, délégitimer toute critique des politiques israéliennes et justifier un soutien inconditionnel à l’État d’Israël, y compris lorsqu’il viole ouvertement le droit international...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Depuis plusieurs décennies, l’invocation de la lutte contre l’antisémitisme apparaît dans le discours politique non seulement comme un impératif moral — et nécessaire — de vigilance contre la haine antisémite, mais aussi parfois comme un levier électoral ou diplomatique.

Or, ce double usage — à des fins partisanes ou diplomatiques — pose un grave problème : il tend à confondre la mémoire d’un crime contre l’humanité universel — l’antisémitisme, la Shoah — avec la défense inconditionnelle de l’État État d'Israël, quelle que soit sa politique, y compris quand celle-ci contrevient aux principes du droit international.

À l’heure actuelle, ce glissement a des conséquences dramatiques — pour le débat public, pour la justice internationale, pour les droits des Palestinien·ne·s.


📚 Repenser « l’exception Israël » : l’hypothèse d’un retour à l’universalité du droit

Le récent essai de l’analyste américain Andrew P. Miller, intitulé The End of the Israel Exception, formule un constat aussi grave qu’essentiel : depuis des décennies, l’alliance occidentale (et en premier lieu celle des États-Unis) avec Israël s’est structurée autour d’une sorte d’“exception” — un traitement de faveur institutionnalisé permettant à Israël d’échapper, de fait, à l’application des normes de droit international quand ses actions sont critiquables, voire condamnables dans d’autres contextes.

Miller plaide donc pour un « repositionnement moral, politique et stratégique » : revenir à une règle simple — aucun État, pas même Israël, n’est au-dessus du droit international quand il s’agit de droit humanitaire, d’occupation, d’autodétermination ou de respect des droits fondamentaux...

Ce propos, loin d’être purement académique, rejoint aujourd’hui des analyses plus larges dénonçant ce que l’on pourrait appeler la « négation du droit international à l’œuvre ».

Pour beaucoup d’observateurs, l’État israélien — soutenu inconditionnellement — bénéficie d’une impunité factuelle, quand dans le même temps le système multilatéral peine à faire respecter les normes qu’il a lui-même édictées.


⚠️ L’instrumentalisation de l’antisémitisme : confusion, peur, silence

La mémoire de l’antisémitisme et de la Shoah mérite — et exige — une vigilance réelle.

Mais cette mémoire est de plus en plus souvent mobilisée pour servir des causes politiques contemporaines, sans lien direct avec la lutte contre la haine raciale ou la protection des Juifs.

Les effets sont variés — et profondément inquiétants :

  • Confusion entre critique d’un État et haine raciale — La dénonciation de certaines politiques israéliennes (occupation, colonisation, violences, violations des droits des Palestiniens...) est parfois présentée comme antisémite, ce qui dissuade des voix critiques, y compris parmi des Juifs eux-mêmes, d’intervenir. Ce procédé met en danger la possibilité d’un débat démocratique honnête.

  • Monopolisation morale de la mémoire — La Shoah et l’antisémitisme sont transformés en un bouclier moral quasi inattaquable pour défendre chaque décision de l’État israélien, y compris celles violant les principes universels du droit international. Cela réduit la mémoire à un argument utilitaire, détournant son sens originel: un rappel des dangers du racisme, de la discrimination, du génocide... — pour tous les peuples.

  • Marginalisation des Palestiniens, déni de leurs droits — En décrédibilisant toute critique politique d’Israël à une hostilité irrationnelle (antisémite), on ferme la porte à la reconnaissance des souffrances, des droits, des revendications des Palestiniens — pourtant légitimes au regard du droit international et des principes universels de justice.

Ce genre d’instrumentalisation, loin de protéger contre l’antisémitisme, le dénature ; loin de promouvoir la justice, il verrouille le débat et neutralise la responsabilité.


🧭 Quand le droit international vacille : l’impunité pour Israël et l’érosion du système

Le choix d’un traitement d’exception pour Israël ne concerne pas seulement la sphère diplomatique ou mémorielle : il a des effets concrets et dramatiques sur le droit, la justice, la vie des peuples... — et sur la légitimité du système international.

Plusieurs éléments récents illustrent ce glissement :

  • L’essor de ce qu’on pourrait appeler un « droit international made in Israel » — c’est-à-dire des interprétations tendancieuses, parfois contradictoires, du droit humanitaire ou des droits de l’homme, qui visent à justifier ou normaliser des actes que la plupart des juristes internationaux jugent contraires aux normes en vigueur.

  • Le fait que la communauté internationale — États, organisations, alliances... — adopte de plus en plus ouvertement une posture d’inaction, quand ce n’est pas de complicité silencieuse, face à des violations massives des droits des Palestiniens.

  • L’affaiblissement de la crédibilité du droit international lui-même — lorsqu’un État jugé démocratique et allié puissant peut agir sans risque réel de sanction, le système perd sa force "normante". Certains observateurs affirment aujourd’hui que « le droit international n’est plus que l’ombre de lui-même. »

Il s’agit non seulement d’un reniement des principes mêmes du droit international — droit à l’autodétermination, prohibition des occupations illégales, respect des droits civils et politiques... — mais aussi d’un affaiblissement de la justice internationale.

À terme, cela menace toutes les luttes pour les droits, y compris celles contre le racisme, le génocide, l’oppression...


🎯 Pourquoi cette instrumentalisation survient — intérêts électoraux, idéologiques, géopolitiques...

Pourquoi ce glissement — d’une mémoire nécessaire à une arme politique — est-il devenu si puissant ?

Plusieurs raisons peuvent être soulignées, depuis une perspective historique, sociologique et géopolitique :

  • Un levier électoral fort : dans de nombreux pays occidentaux, la lutte contre l’antisémitisme est érigée en marqueur moral — la défendre à tout prix peut permettre de mobiliser un électorat sensible à l’histoire de la Shoah, à la lutte contre le racisme, tout en associant ce marqueur à un soutien sans faille à Israël.

  • Un bouclier diplomatique et stratégique : pour certains États, soutenir Israël — et refuser toute critique — garantit des alliances, des partenariats stratégiques, des intérêts géopolitiques. L’invocation morale détourne les regards des débats juridiques ou humanitaires.

  • Un déplacement de la mémoire collective : la mémoire de l’antisémitisme, de la Shoah, des camps, de la résistance, de la repentance, a progressivement été transformée en un symbole identitaire et diplomatique, lié non à la lutte contre le racisme universel, mais à la défense d’un État-nation précis.

Ce glissement ne relève ni du hasard ni uniquement d’une dérive diplomatique : il s’inscrit dans un calcul politique et idéologique, visible dans plusieurs pays à l’heure actuelle.


✊ Pour une mémoire honnête, un droit égal pour tous, une justice universelle

À la lumière de ces constats, je formule plusieurs appels — en tant qu’historien, juriste, sociologue — à l’attention des intellectuel·le·s, des citoyen·ne·s, des décideur·se·s :

  1. Reconstruire une mémoire authentique de l’antisémitisme — Une mémoire qui n’est ni un argument politique, ni un bouclier idéologique, mais un rappel universel contre le racisme, la persécution, le génocide... Une mémoire qui protège, mais n’enferme pas.

  2. Refuser l’“exception Israël” — Aucun État, quel qu’il soit, ne doit être exempté des règles du droit international. L’État d’Israël comme tout autre État doit être soumis aux mêmes obligations : respect du droit humanitaire, des droits de l’homme, des résolutions internationales, du droit à l’autodétermination des peuples...

  3. Redonner au droit international sa force normative et coercitive — Cela suppose qu’États, institutions, sociétés civiles, médias, reconnaissent l’universalité du droit, et qu’ils agissent — sanctions, pressions diplomatiques, suspension d’accords — quand ces normes sont violées.

  4. Rouvrir le débat démocratique et pluraliste — Permettre la critique des politiques d’un État, sans que cela soit automatiquement assimilé à de la haine ou du racisme. Protéger la liberté d’expression, la diversité d’opinion, y compris au sein des communautés juives elles-mêmes.

  5. Redonner à la justice internationale les moyens d’agir — Soutenir les institutions judiciaires internationales, dénoncer l’impunité, exiger des enquêtes, des jugements, des réparations. Si le droit international doit rester une boussole, il doit aussi être une force.


📢 Un appel à nos consciences, à notre responsabilité collective

Nous sommes aujourd’hui à un carrefour historique et moral : continuer à instrumentaliser la mémoire de l’antisémitisme pour des fins électorales, diplomatiques ou stratégiques, c’est décider de sacrifier la justice, la vérité, la dignité des peuples — y compris des Juifs, mais aussi des Palestiniens, des Arabes, des populations civiles innocentes.

En tant qu’historien, juriste et sociologue, je refuse ce renversement. La lutte contre l’antisémitisme — honorable, nécessaire — ne peut servir de justification à l’impunité.

Le droit international — la justice — ne peut être suspendu pour certains États, toléré pour d’autres.

Je lance un appel à toutes celles et tous ceux qui croient en un monde de droits — un monde de justice — à soutenir un débat honnête, à exiger l’égalité du droit, à défendre la mémoire sans l’ériger en arme politique.

Et à refuser toute “exception” — qu’elle soit mémorielle, diplomatique, ou géopolitique. Sauf à étendre ce régime à d'autres Etats et emmagasiner les bénéfices de cette extension pour asseoir un droit international, qui ne doit pas être l'apanage des relations bilatérales, ni un artifice pour se donner bonne conscience, mais un véritable alliage puissant, susceptible de renverser la table pour y apposer enfin les bases d'une résorption de l'expansionnisme...

Mehdi Allal. Pour Myriam Encaoua...

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