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Billet de blog 9 mai 2025

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Quand la gauche regarde ailleurs, des voix juives rappellent l’universalisme oublié

Alors que la parole se libère à gauche sur les crimes de guerre à Gaza, des figures comme Anne Sinclair et Delphine Horvilleur brisent enfin un silence trop longtemps gardé. Cette tribune salue leur courage tout en interrogeant les responsabilités d’une gauche républicaine trop prudente face à l’extrême violence d’un gouvernement israélien désormais hors-la-loi du droit international.

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Israël-Palestine : Quand la gauche regarde ailleurs, des voix juives progressistes rappellent l’universalisme oublié

Par Mehdi Allal, enseignant-chercheur, engagé dans les luttes pour les droits humains et les solidarités internationales

Il aura fallu le bruit assourdissant des bombes, les silences asséchés des mères à Gaza, les enfants mutilés en direct sur nos écrans, et le spectre tangible de la famine comme arme de guerre, pour qu’enfin des voix issues du judaïsme progressiste en France osent parler clair. Le billet de Thomas Legrand, dans Libération, salue avec justesse la prise de position d’Anne Sinclair et Delphine Horvilleur : elles disent aujourd’hui ce que tant d’intellectuels universalistes, de gauche comme du centre, ont tu pendant des mois.

Ce silence n’était pas neutre. Il a nourri un déséquilibre moral et politique profond : la critique des exactions de l’armée israélienne et de la stratégie de punition collective menée par Benjamin Netanyahou a été laissée presque seule à La France Insoumise, accusée de radicalité, pendant qu’un champ entier du débat public et médiatique se recroquevillait dans une forme de paralysie morale.

Il faut donc saluer les mots lucides de Delphine Horvilleur : « J’ai parfois bâillonné ma parole, pour éviter qu’elle ne nourrisse les immondices de ceux qui me menacent […]. » En brisant ce verrou intérieur, elle rompt aussi celui de toute une frange de la gauche qui, par peur de « faire le jeu de l’antisémitisme », a fini par se rendre complice de l’indicible. L’aveuglement n’a jamais été une stratégie efficace contre l’extrême droite ou contre les confusions antisémites.

Anne Sinclair l’a dit avec gravité : « Rien au monde ne peut venger les atrocités du 7 Octobre, et en tout cas pas l’écrasement et la famine d’une population civile. » Ce propos est essentiel. Il vient contester frontalement la logique de vengeance froide qui gouverne aujourd’hui l’État israélien, bien au-delà du cadre du droit, et avec la complaisance de trop de chancelleries occidentales.

Ce qui se joue, ce n’est pas seulement un différend politique sur un territoire disputé. Ce qui se joue, c’est la tentative, documentée par les journalistes, les ONG, les diplomates, les agents du renseignement eux-mêmes, d’effacer un peuple par le feu, le sang et la faim. Et ce, sous le regard lâche ou distrait de beaucoup.

Combien, à gauche, ont préféré « éviter les amalgames » plutôt que de nommer un massacre ? Combien ont reproché aux étudiants leur keffieh plutôt que d’écouter leur colère légitime ? Combien ont ignoré les reporters palestiniens exécutés, les hôpitaux détruits, les universités rasées ?

Ce retournement, initié par Anne Sinclair et Delphine Horvilleur, n’est pas qu’un geste symbolique. Il est un appel à reconstruire un véritable front de la lucidité. Car cette guerre ne sera pas la dernière. Et les torts accumulés des puissances occidentales, qui prétendent défendre le droit tout en acceptant l’impunité israélienne, nourriront pour longtemps la défiance, voire la haine.

Il est temps, pour la gauche qui se réclame de l’universalisme, de sortir de son aveuglement tactique. Il est temps de réinvestir les valeurs qu’elle prétend incarner : la défense des droits humains, sans relativisme. Le droit international, sans exception. L’antiracisme, sans hiérarchie entre les vies.

Et surtout, il est temps d’écouter. D’écouter celles et ceux qui, sur le terrain, documentent, alertent, enterrent, soignent. D’écouter aussi ces voix juives progressistes, trop longtemps seules à porter ce courage, et qui nous rappellent que critiquer Israël quand il tue n’est pas trahir sa mémoire, mais honorer son humanité. Dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle a du plomb dans l'aile...

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