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Billet de blog 10 mai 2025

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Le meurtre d'Aboubakar Cissé : douleur en silence, récupération en fracas

L’interpellation du suspect dans l’affaire du meurtre d’Aboubakar Cissé aurait dû ouvrir une période de recueillement, de justice et de vérité. Mais à peine l’arrestation connue, certaines voix ont déplacé le centre de gravité vers un terrain idéologique où l’on convoque hâtivement l’islamophobie pour évacuer l’essentiel : la perte irréparable d’un jeune homme, la souffrance de ses proches...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le 26 avril 2025, la vie d’un jeune homme bascule — ou plutôt, s’arrête brutalement. Aboubakar Cissé, 19 ans, Français d’origine malienne, est tué. Les circonstances du drame, encore en cours d’élucidation, n’effacent pas l’onde de choc qu’il provoque dans son quartier, sa ville, son pays. Sa disparition violente n’est pas seulement un fait divers. Elle est un miroir tendu à une société traversée par des tensions sourdes, des incompréhensions, et parfois des haines.

Lorsque le principal suspect est arrêté, c’est un soulagement pour la justice, un espoir pour la vérité. Mais cette avancée judiciaire est aussitôt phagocytée par une rhétorique déconnectée de la réalité. Une partie du débat public, plutôt que de s’attarder sur la douleur des proches ou de laisser l’enquête suivre son cours, se précipite pour dénoncer une islamophobie ambiante, suggérant que le suspect serait déjà une victime — non du système judiciaire, mais d’un supposé climat haineux antimusulman.

La récupération idéologique ne commence pas avec la justice, mais contre elle.

Ce renversement du regard — faire du suspect l’objet central du récit — repose sur un glissement dangereux : on surimpose un cadre d’analyse purement politique à une affaire qui est d’abord humaine, tragique, intime. Oui, l’islamophobie existe en France, de manière structurelle et parfois institutionnelle. Mais non, elle n’est pas un passe-partout analytique. En user ici pour déplacer la focale du meurtre vers les conditions d’incarcération du suspect revient à passer un voile sur la mémoire d’Aboubakar.

Or, tout indique que ce jeune homme n’était ni un instrument, ni un héros, ni un symbole. Il était un fils, un frère, un ami. Ce sont ses parents qui l’ont enterré. Ce sont ses copains qui s’évanouissent dans les larmes. Pas ceux et celles qui s’autoproclament porte-paroles d’un contre-récit militant et théorique, éloigné de la gravité concrète des faits.

Justice n’est pas vengeance, mais elle n’est pas non plus diversion.

La détention du suspect — à juste titre surveillée pour garantir ses droits — ne peut se substituer à l’attention que mérite la victime. Ni dans les médias, ni dans les discours politiques, ni dans les milieux militants. Le respect des droits humains n’implique pas d’oublier les morts. Et le combat contre les discriminations ne saurait justifier de nier la souffrance des familles, ni de relativiser la gravité d’un homicide.

La société française est à la croisée des chemins : elle peut choisir de réagir avec pudeur, justice, mémoire. Ou de verser dans une polarisation sans fin, où les morts deviennent des pions, et les suspects des étendards. Pour toujours et encore multiplier les probabilités de division, faire éclore des joutes verbales sémantiques là où il va falloir semer...

En mémoire d’Aboubakar, choisissons le respect.


Mehdi Allal
Politiste, enseignant et chercheur en sciences sociales, spécialiste des rapports entre mémoire, discriminations et justice. Il milite pour une lecture critique des fractures postcoloniales et pour une parole émancipée des assignations identitaires.

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