Une réforme au fondement bancal
Le retour du conseiller territorial, cet élu siégeant à la fois au conseil départemental et au conseil régional, n’a rien d’anodin. Il s’inscrit dans une logique de fusion des mandats locaux qui exige, juridiquement, une réforme lourde touchant aux lois électorales, voire au périmètre constitutionnel de la libre administration des collectivités. Emmanuel Macron, fidèle à ses velléités de refonte institutionnelle, évoque même la voie référendaire.
Mais que cherche-t-on à régler ici ? L’empilement des structures, le coût des collectivités, l’incompréhension des compétences ? Aucun de ces maux ne trouve un véritable remède dans la figure du conseiller territorial. L’idée repose sur une fiction d’unité là où les réalités territoriales, politiques, humaines, sont plurielles. C’est faire fi de la nécessité d’une spécialisation des assemblées locales, telle qu’elle s’est construite depuis les lois Defferre jusqu’aux réformes de 2015.
Confusion renforcée, parité menacée
Loin de clarifier, cette réforme pourrait bien embrouiller davantage. Régions et départements n’ont pas la même échelle, ni les mêmes finalités d’action : l’un est stratège, l’autre est gestionnaire de proximité. En créant un élu unique, l’État injecterait une nouvelle dose d’illisibilité dans un système qu’il prétend simplifier.
Par ailleurs, l’élection de ces conseillers sur la base des cantons risquerait de réduire la parité, pourtant consolidée dans les assemblées régionales grâce au scrutin de liste. C’est ce qu’ont rappelé plusieurs élus et associations, dont Régions de France, qui dénoncent à juste titre une recentralisation rampante derrière une fausse décentralisation.
L’innovation absente, la pensée recyclée
Le plus préoccupant n’est peut-être pas tant le contenu de la réforme que son absence d’ambition. Revenir à une idée abandonnée il y a quinze ans, à l’époque de Nicolas Sarkozy, témoigne d’un déficit d’imagination politique. C’est recycler un schéma technocratique au lieu de penser des mécanismes nouveaux : coopérations souples, expérimentations locales, reconnaissance des territoires à géométrie variable...
Alors que la démocratie locale traverse une crise de légitimité, que l’abstention grimpe et que les élus de terrain peinent à articuler proximité et vision stratégique, la solution ne peut pas être l’unification des sièges, mais l’unification du sens. Cela implique du courage politique, de la formation, de la clarté des compétences, et surtout, une écoute active des territoires plutôt qu’un pilotage vertical.
Une démocratie locale à la croisée des chemins
À vouloir réduire le débat territorial à une rationalisation comptable, on en oublie que l’enjeu est d’abord démocratique. Il ne s’agit pas de faire des économies sur les élus, mais de renforcer la légitimité de leur action. Il ne s’agit pas de fusionner des fonctions, mais de coordonner des énergies, de rendre visibles les parcours, les décisions, les responsabilités.
Le conseiller territorial, dans sa forme actuelle, est une impasse. Il revient à créer un hybride institutionnel sans corps politique. Il incarne une démocratie de compromis technicien, pas de projet collectif. Il faut avoir le courage de le dire : la réforme des collectivités territoriales mérite mieux que le recyclage d’un dispositif obsolète. Elle appelle une pensée neuve, ancrée dans la complexité réelle du local. Non complaisante et accrochée à une meilleure manière de faire peau neuve, sans oublier d'être appréhensible...
Par Mehdi Allal – Juriste en droit public, spécialiste des politiques locales et des mutations institutionnelles des collectivités territoriales.