Le silence assourdissant des autorités françaises face aux conclusions du rapport du cabinet d’avocats Ancile, mandaté par le collectif Justice 13 Mai, ne fait qu’ajouter à la blessure ouverte d’un peuple que l’histoire n’a cessé d’humilier : les Kanaks.
À l’aube de cette année 2025, un an après les émeutes qui ont secoué la Nouvelle-Calédonie, il est temps de dénoncer l’usage immodéré — pour ne pas dire létal — de la force publique dans un territoire où la République semble avoir oublié ses propres principes.
Ce rapport de 80 pages, minutieux et rigoureux, consulté notamment par Franceinfo et Blast, ne laisse guère de place au doute : des pratiques systématiques de répression, l’usage répété de grenades assourdissantes, de gaz lacrymogènes, de Flashballs et des tirs mortels à longue distance sur des civils, parfois dans le dos ou en pleine tête.
Dix morts, au moins. La majorité kanak. Ce sont des faits. Non des "allégations" comme les qualifie avec désinvolture le procureur de la République de Nouméa. Où, en métropole, tolérerait-on qu’un tel nombre de décès provoqués par les forces de l’ordre ne donne lieu à aucune mise en examen, aucune enquête approfondie, aucune remise en question institutionnelle ?
Ce que ce rapport met à nu, c’est bien davantage qu’un "usage disproportionné de la force". C’est une fracture coloniale jamais refermée. Une violence systémique exercée sur des populations minoritaires, perçues comme des menaces, plutôt que comme des citoyens ou des citoyennes.
Un maintien de l’ordre qui devient gestion d’un soulèvement, avec une logique d’écrasement. Et un deux poids deux mesures évident dans le traitement judiciaire : plus sévère, plus rapide, plus brutal lorsqu’il s’agit de Kanaks ou d’Océaniens.
Les mots employés par les habitants et les habitantes interrogés sont glaçants : traités de "bétail", de "sauvages", ou de "terroristes". Cela en dit long sur la perception qu’ont certains agents de l’État de ces citoyens français , de ces citoyennes françaises, à part, ou plutôt à part entière… mais pour y subir l’entière violence de l’appareil répressif.
Le droit n’est pas une variable géographique. Le monopole légitime de la violence ne peut être un permis de tuer, encore moins quand les victimes sont des jeunes, des personnes âgées, des femmes, des enfants. Ce que dénonce le rapport Ancile, ce n’est pas une erreur, une bavure, un accident. C’est un système. Une organisation méthodique d’interventions sans discernement, dans le mépris des normes éthiques du maintien de l’ordre et des droits fondamentaux.
La République ne peut pas continuer à opposer la force au dialogue, la répression à la justice, et l’oubli aux revendications légitimes d’autodétermination. À moins d’accepter que les Kanaks ne soient pas considérés comme des citoyens et des citoyennes comme les autres. La question n’est plus seulement celle de l’indépendance, mais de la dignité humaine.
Il ne s’agit pas ici de nier les violences commises dans le cadre des émeutes. Mais toute justice véritable commence par la reconnaissance des responsabilités, et non par leur occultation. En France, aucun territoire ne devrait être une zone d’exception où l’État agit sans rendre de comptes.
C’est pourquoi j’en appelle à une enquête parlementaire indépendante, à la saisine du Défenseur des droits et à la relance des discussions politiques autour de l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Et surtout, à une prise de conscience : la paix ne viendra ni du déni, ni des matraques, mais d’un respect réel et concret du droit à la justice et à la mémoire.
Si la République est indivisible, qu’elle le prouve. Mais avec des pièces à conviction qui soient à la mesure d'un peuple soumis et brisé, sur un territoire minéral ; dont la quête d'autonomie n'est pas seulement administrativement arrangée, avec un pouvoir réglementaire "à bout de souffle", mais découle du texte constitutionnel lui-même, dans l'un de ses titres qui lui est réservée de façon spéciale...
Biographie de l’auteur :
Mehdi Allal est enseignant en droit public, spécialiste des enjeux de décolonisation, de citoyenneté et des rapports Nord-Sud. Il intervient régulièrement dans les médias et les tribunes publiques sur les questions de justice sociale, de discriminations systémiques et de souveraineté des peuples.