Dans un contexte de transition profonde des entreprises, où la quête de sens, de cohérence et d’engagement redevient centrale, il est temps d’ouvrir un nouveau chapitre : celui de la discrimination positive — entendue comme un acte volontaire, structuré, de valorisation et de promotion des talents issus de minorités d’origine africaine et antillaise dans le secteur privé.
1. Le besoin de sens et de cohérence dans l’entreprise
Comme l’indiquait récemment Christopher Guérin, ex-dirigeant de Nexans, “le gros enjeu” pour l’entreprise est de remettre du sens et de la cohérence au cœur même de son fonctionnement. (article : « Le gros enjeu : remettre du sens et de la cohérence au cœur même de l’entreprise »).
Ce constat est particulièrement pertinent dans le cadre de la diversité : une entreprise qui se déclare engagée envers l’égalité des chances, sans mobiliser ses leviers internes pour faire émerger des talents issus de minorités, perd en cohérence.
Elle se prive ainsi d’un pivot de performance. Une vraie politique de discrimination positive permettrait de relier sens (justice sociale, inclusion...) et cohérence stratégique (accès au talent, innovation, représentativité...).
2. De l’engagement des salariés… à l’inclusion
Un autre article évoque la gradation entre salariés « super-engagés », « neutres » ou « démotivés » (« Super engagés, neutres ou démotivés – quel type de salariés avez-vous ? »).
Ce point est essentiel : les collaborateurs attendent aujourd’hui que leur entreprise ait une vision inclusive, qu’elle tienne ses engagements.
Lorsqu’ils constatent que certaines minorités restent invisibles ou bloquées dans l’accès aux postes à responsabilités, le sentiment d’injustice mine l’engagement collectif.
À l’inverse, promouvoir des talents méconnus issus des minorités d’origine africaine et antillaise constitue non seulement un acte moral, mais aussi un signal fort de mobilisation et de sens partagé. Cela contribue à la transformation du collectif vers l’engagement.
3. Parité, mixité… et au-delà : la diversité des origines
Les articles des Echos sur l’égalité femmes-hommes — notamment le classement exclusif « égalité femmes-hommes au sein du CAC 40 : du mieux, mais des défis persistants » et celui sur le rôle du Women’s Forum comme « tremplin des talents féminins de demain » — mettent en lumière comment les entreprises ont commencé à poser des cadres pour promouvoir la parité.
Cependant, promouvoir la parité femmes-hommes ne suffit pas à garantir la diversité en matière de provenance, d’apparence ou de culture. Il reste un « plafond d’origine » moins visible mais tout aussi structurant.
Si l’on souhaite que le secteur privé reflète véritablement la société française, la discrimination positive doit inclure explicitement les minorités d’origine africaine et antillaise.
4. Pourquoi une discrimination positive pour ces minorités ?
**Un vivier de talents sous-valorisés ** : de nombreuses personnes d’origine africaine ou antillaise possèdent des compétences, des expériences, une ambition, mais restent peu visibles dans les processus de promotion ou de recrutement.
**Un enjeu de cohésion sociale et économique ** : l’entreprise qui intègre ces talents contribue à réduire les inégalités, à renforcer la mobilité sociale, et à bénéficier de nouveaux points de vue, d’innovations culturelles et professionnelles.
Performance et compétitivité : comme les études sur la parité ont pu le montrer, la mixité est associée à de meilleures performances. Il est raisonnable d’estimer que l’inclusion de talents issus de minorités culturelles apporte elle aussi une richesse compétitive. C'est un pari gagnant-gagnant !
Exemplarité et attractivité : les entreprises qui affichent clairement une stratégie d’inclusion deviennent attractives pour les jeunes, les clients, les partenaires et les investisseurs sensibles à l’ESG (environnemental, social, gouvernance).
5. Une proposition concrète pour le secteur privé
Pour traduire cette ambition en actes, voici quelques pistes pratiques :
Mettre en place des objectifs mesurables et transparents d’accès des personnes d’origine africaine et antillaise aux parcours de développement internes (mentorat, formation, promotion...).
Créer un réservoir de talents en lien avec des associations, des réseaux issus de ces minorités, pour identifier tôt des profils.
Former les responsables RH, managers et comités de direction aux biais culturels et "ethniques", afin de supprimer les freins invisibles à l’avancement.
Associer ce projet à la stratégie de sens de l’entreprise : insérer cette dimension dans la mission, les valeurs, la communication interne et externe.
Suivre et publier les indicateurs : taux de promotion, turnover, sentiment d’inclusion parmi ces populations...
Penser aussi l’après : s’assurer que ces talents ne soient pas cantonnés à des rôles secondaires, mais accèdent à des responsabilités stratégiques.
6. À celles et ceux qui doutent…
Certains diront que la discrimination positive est “injuste” car elle favorise un groupe versus un autre. Mais la réalité est que les minorités d’origine africaine et antillaise rencontrent, depuis trop longtemps, des obstacles invisibles cumulés : stéréotypes, réseaux peu incluant, accès réduit aux parcours “top” et aux rôles de décision.
La discrimination positive ne vise pas à créer un privilège mais à rétablir l’égalité réelle des chances et des opportunités, mais aussi de l'accès ; sans excès.
Par ailleurs, ce n’est pas une politique de “charité”, mais une stratégie de valeur ajoutée pour l’entreprise et pour la société. Et c’est là que l’argument de sens revient : rendre l’entreprise plus cohérente en phase avec ses valeurs et avec la société qu’elle sert.
7. En conclusion
À vous, Laurence Méhaignerie et Saïd Hamouche, Julia Roberts, Claude Bébéar, je dédie cette tribune — convaincu que votre engagement, vos parcours et vos compétences sont autant de modèles et de relais précieux pour cette ambition.
Que ce message soit aussi un appel aux dirigeants du secteur privé : saisissons cette opportunité — pour la justice, pour la performance, pour la cohésion.
Osons la discrimination positive en faveur des talents méconnus issus des minorités d’origine africaine et antillaise. Parce que c’est non seulement juste, mais ce sera aussi intelligent : pour nos entreprises, pour notre société, pour notre avenir commun.
Et notre destin en portage... dans le potager de l'art balbutiant, et la verrière aux mille attributions, aux tribulations triturées comme avec la haute couture...
Mehdi Allal
Auto-entrepreneur, engagé
(Paris, novembre 2025)