Promesses sans abris : l’urgence d’un sursaut juridique face au naufrage politique
Par Mehdi Allal – Juriste, militant pour la justice sociale et le droit au logement
En France, les promesses pleuvent, mais la rue ne se vide pas.
Au contraire, elle déborde. Chaque plan hivernal, chaque recensement par l’Insee ou la Fondation Abbé Pierre, chaque mort isolée, abandonnée sous une bouche de métro ou dans un hall d’immeuble, vient rappeler ce que nous ne voulons pas voir : l’échec massif d’une République incapable de protéger les plus fragiles.
C’était pourtant un engagement clair, presque solennel. En 2017, Emmanuel Macron déclarait : « Je ne veux plus, d’ici la fin de l’année, avoir des femmes et des hommes dans les rues. » Avant lui, Sarkozy, Hollande, puis Castex et aujourd’hui Attal : tous ont promis, annoncé, présenté des plans… sans jamais inverser la courbe.
Le résultat ? Près de 330 000 personnes sans domicile en 2024. Le double d’il y a dix ans.
L’échec d’un État stratège
On ne peut plus parler de retard, ni même d’impuissance. Ce qui est en jeu, c’est une responsabilité politique, et plus encore une carence juridique organisée. Le droit au logement, pourtant inscrit dans la loi DALO (2007), reste trop souvent théorique. Les recours sont longs, aléatoires, sans garanties réelles d’exécution. Le droit à l’hébergement d’urgence, quant à lui, est foulé aux pieds chaque nuit.
À cela s’ajoutent des politiques sécuritaires, qui criminalisent la précarité plutôt que de la combattre : arrêtés anti-mendicité, bancs « anti-SDF », expulsions régulières des campements sans solutions pérennes, harcèlement policier…
Pour une stratégie juridique contraignante
Il ne suffit plus d’appeler à la solidarité. Il faut contraindre l’État à respecter ses engagements, en instaurant une architecture juridique ambitieuse et protectrice. Voici les axes d’une telle stratégie :
Inscrire le droit au logement dans la Constitution, comme un droit fondamental, invocable devant les juridictions administratives, pour obliger l’État à produire des résultats concrets.
Créer une autorité indépendante du logement, avec des pouvoirs d’enquête, de saisine des juridictions et de mise en cause directe des administrations défaillantes.
Punir juridiquement le refus de mise à l’abri, considéré comme une non-assistance à personne en danger lorsqu’il met en péril la vie ou la santé.
Renforcer le pouvoir des associations, en leur conférant un droit d’action en justice élargi, des injonctions possibles et des sanctions contre les entités publiques qui manquent à leurs devoirs.
Conditionner les aides publiques à la production de logements très sociaux, notamment dans les zones tendues, afin d’en finir avec les ghettos de riches subventionnés par l’État.
Droit à l’abri, droit à la dignité
La rue ne doit jamais devenir une norme. Elle est une blessure vive dans le corps social, un marqueur de l’échec démocratique. Une République qui tolère qu’on puisse mourir faute d’un toit perd une part de sa légitimité.
Face aux renoncements successifs, le droit devient la dernière arme des invisibles. Il est temps de faire du logement non plus une promesse, mais un droit effectif, opposable, garanti. Ce n’est pas qu’une question de politique sociale. C’est une question de survie, de justice et d’humanité. C'est l'objectif pour tous les sans-abris de retrouver goût à la vie, de cesser de se cacher dans de tortueux interstices, de retourner enfin à une place dans la cité qui ne soit pas celle de simplement quémander pour manger ou pour dormir sous un toit, mais pour que cet acte, de courage, soit revêtit non de rêveries mais susceptible de constituer une approche faisant appel au moindre de leurs atouts à faire valoir...
Mehdi Allal
Biographie :
Mehdi Allal est juriste, spécialiste des politiques sociales, et militant engagé pour la justice et l’accès aux droits fondamentaux. Ancien chargé de mission dans des structures de lutte contre l’exclusion, il intervient régulièrement dans les médias sur les questions de droit au logement, de précarité et de transformation des politiques publiques.
Formé à Sciences Po et à l’Université Paris Nanterre, il développe une expertise à l’interface du droit et de l’action sociale. À travers ses tribunes et analyses, il plaide pour une République concrète, où les droits ne sont pas réservés à ceux et celles qui peuvent se les payer.