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Billet de blog 24 avril 2025

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Viols sur mineures : la CEDH condamne la France...

En condamnant la France pour ne pas avoir protégé trois mineures victimes de viols, dont la désormais tristement célèbre Julie, la Cour européenne des droits de l’homme inflige un camouflet sévère à la justice française. Dans une analyse implacable, la CEDH dénonce l’absence de diligence des autorités, l’ignorance de la vulnérabilité des enfants, et une lecture archaïque du consentement...

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Viols sur mineures : la CEDH condamne la France, un système judiciaire à genoux face à la pédocriminalité

Par Mehdi ALLAL, enseignant en droit constitutionnel et membre du collectif « Justice pour les mineures »


Le 24 avril 2025, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la France dans trois affaires distinctes de viols sur mineures. Cette décision vient sanctionner, une fois encore, l’incapacité de notre système judiciaire à protéger les enfants victimes de violences sexuelles, malgré des engagements internationaux répétés.

Par-delà le cas emblématique de Julie – violée par une vingtaine de pompiers entre ses 13 et 15 ans – ce sont les fondations mêmes du droit pénal français qui vacillent. L’arrêt de la CEDH, en reconnaissant la violation des articles 3 (interdiction des traitements inhumains), 8 (respect de la vie privée), et, pour Julie, 14 (interdiction de la discrimination), confirme ce que les associations féministes et de défense des enfants dénoncent depuis des années : un système judiciaire inadapté, lent, et parfois complice par son inaction.

L’incompréhensible dilution du non-consentement

L’un des éléments les plus accablants dans cet arrêt réside dans la critique par la CEDH du traitement du consentement dans ces affaires. Les juridictions françaises ont failli à considérer la minorité comme un facteur d’incapacité légale et de vulnérabilité extrême. Pire : elles ont parfois insinué qu’une adolescente pouvait, en pleine conscience, vouloir une relation sexuelle avec un adulte ou un pompier en uniforme.

Ce raisonnement est non seulement juridiquement bancal, mais moralement inacceptable. Il va à l’encontre des conventions internationales ratifiées par la France, notamment la Convention d’Istanbul et la Convention relative aux droits de l’enfant. Le consentement, rappelle la CEDH, « doit traduire la libre volonté d’avoir une relation sexuelle déterminée, au moment où elle intervient », ce qui suppose une maturité, une liberté d’esprit, une égalité des rapports – conditions absentes chez les victimes de ces affaires.

Des procédures lentes, une justice froide

À cela s’ajoute un autre grief : l’absence de diligence. Dans deux des trois affaires, les victimes ont attendu des années sans réponse ou ont vu leurs agresseurs échapper à toute forme de condamnation. Cette lenteur procédurale, analysée comme une atteinte au droit au recours effectif, participe de la violence institutionnelle que subissent les mineures victimes : à l’agression s’ajoute l’abandon.

Une culture judiciaire à revoir de fond en comble

Cette décision de la CEDH doit servir de catalyseur. Il ne suffit plus de voter des lois symboliques ou d’organiser des campagnes de sensibilisation. Ce qui est requis, c’est une transformation profonde des pratiques judiciaires : formation obligatoire de tous les acteurs (police, magistrature, services sociaux...), reconnaissance automatique de la vulnérabilité des mineures, présomption d’absence de consentement en dessous d’un certain âge, et surtout, écoute bienveillante et protection immédiate des victimes.

Un signal politique fort attendu

Cette condamnation engage aussi le pouvoir Exécutif. La France, qui se targue de défendre les droits humains à l’international, doit balayer devant sa porte. Les moyens alloués à la justice des mineures restent insuffisants, les cellules spécialisées trop rares, les moyens de la protection de l’enfance dramatiquement sous-dotés.

Il est temps d’assumer pleinement les exigences d’un État de droit protecteur. Tant que des enfants violées devront affronter une justice qui les soupçonne ou les néglige, c’est l’idée même de République qui sera trahie. Et salie, lorsque la salive n'est pas suffisante pour porter la bonne parole d'une refondation de notre capacité à prévenir et protéger contre le viol de celles qui n'ont pas l'âge d'être souillée, ni même l'air de subir avec désabusement...

Mehdi ALLAL est enseignant-chercheur en droit constitutionnel à Paris-Nanterre. Spécialiste des libertés fondamentales, il milite depuis plusieurs années pour une réforme du droit pénal en matière de violences sexuelles, en lien avec les associations de défense des mineures victimes et les collectifs de soutien aux enfants placés.

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