Le 13 mai 2025, dans une décision aussi discrète que fondamentale, le tribunal administratif de Nancy a donné raison à une fonctionnaire territoriale dont la démission avait été arbitrairement refusée par son employeur, la commune d’Archettes dans les Vosges.
L’agent, assistante territoriale spécialisée des écoles maternelles (Atsem), souhaitait quitter son poste pour suivre son conjoint muté professionnellement. Motif invoqué par le maire pour s’y opposer : la « charge financière » que représenterait cette démission pour la commune.
La justice a tranché : les difficultés financières avancées n’ont pas été prouvées, et la nécessité de service n’a pas été démontrée. Résultat : la commune est sommée d’accepter la démission dans un délai d’un mois. Une décision exemplaire, qui rappelle avec force une évidence trop souvent oubliée : un agent public n’est pas tenu de servir envers et contre tout.
L’autorité administrative ne saurait être toute-puissante
L’article L.551-1 du Code général de la fonction publique encadre les conditions de départ volontaire : la démission d’un fonctionnaire n’a d’effet qu’après acceptation par l’autorité compétente.
Mais cette acceptation ne peut être refusée sans motifs valables et circonstanciés. Or, dans cette affaire, la commune d’Archettes n’a fourni qu’un état budgétaire global, sans démontrer un quelconque péril pour la continuité du service public. Elle n’a pas non plus prouvé que le remplacement de l’agente était impossible par redéploiement.
C’est là que réside toute la portée de cette décision : le pouvoir discrétionnaire de l’administration est encadré par la logique de proportionnalité et la charge de la preuve. Il ne suffit pas d’alléguer une difficulté : il faut la démontrer. Et il ne suffit pas d’invoquer l’intérêt général : il faut prouver qu’il serait objectivement menacé par le départ de l’agent.
Démission : d’un pouvoir à un droit ?
Ce jugement ouvre, en creux, une réflexion salutaire sur la nature du lien entre agent public et administration. Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics encouragent la mobilité, la reconversion et l’adaptabilité dans la fonction publique.
Mais cette flexibilité, exigée des agents, doit-elle rester à sens unique ? Le cas d’Archettes démontre qu’il est temps d’envisager une reconnaissance plus explicite du droit à la démission, notamment dans les situations où des raisons familiales ou professionnelles impérieuses sont avancées.
À défaut de réforme législative immédiate, la jurisprudence pourrait construire un standard minimal : celui du refus motivé, justifié, proportionné et encadré, sous peine de sanction. Autrement dit, un droit opposable à la démission dans certaines conditions, qui préserve à la fois l’intérêt du service et celui de l’agent.
Humaniser la fonction publique
Derrière ce contentieux individuel, c’est toute une conception du service public qui est en jeu. Le fonctionnaire n’est pas une variable d’ajustement, un pion immobilisé par la force du statut. Il est, comme tout salarié, porteur de droits, d’aspirations, de parcours de vie. Refuser arbitrairement sa démission, c’est méconnaître sa dignité.
La décision de Nancy envoie un signal clair : les administrations ne peuvent plus se contenter d’invoquer des motifs flous pour retenir leurs agents. L’État employeur doit lui aussi se soumettre au droit – à commencer par celui qu’il édicte.
C'est le propre de la juridiction administrative que de le répéter, de repérer lesquelles des personnes morales en charge d'un service public ou dépositaire de la force publique, manquent à ce droit le plus élémentaire de pouvoir rompre le lien, que celles-ci évalueraient comme indéfectible, en réalité inaudible pour les agents qui entendent faire valoir leur droit à se mouvoir où bon leur semble, sans trembler, en d'autres termes plus triviaux, sans avoir la trouille de paraître indolents...
Mehdi ALLAL
Juriste en droit public, enseignant en libertés fondamentales, consultant auprès de collectivités territoriales. Il travaille sur les dynamiques de transformation de la fonction publique et les conditions d’exercice des droits des agents publics.