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Billet de blog 29 décembre 2024

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La crèche, la crème de la laïcité incomplète. Un cas d’école ??

A Eugénie Bastié, Ambre Delcroix, Fatou Tall, Emma Boissier, Marie Taffoureau, Anastasia Pryakhina, Myriam Encaoua et Soraya Allal...

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La crèche, un objet de laïcité
mal compris ?

Par Mehdi Allal, juriste en droit public et enseignant en droit constitutionnel

La question de l'installation de crèches de Noël dans les espaces publics continue de susciter débats et polémiques en France.

Mais derrière les batailles de symboles, la jurisprudence administrative – et notamment les arrêts récents du Conseil d'État – nous offre une perspective éclairante sur la place de l'État dans l’expression du fait religieux.

Rappelons que la laïcité, loin d'être une hostilité à la religion, incarne avant tout la neutralité de l'État vis-à-vis des cultes. Selon la loi du 9 décembre 1905, "la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte" (article 2), et "la liberté de conscience est garantie" (article 1er). Cette double exigence fonde la doctrine républicaine d’une laïcité à la fois protectrice et exigeante.

Le Conseil d’État, dans deux arrêts du 9 novembre 2016 (Commune de Melun, n° 395122, et Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne, n° 395223), a apporté une clarification importante : il est possible, à titre exceptionnel, d’installer une crèche de Noël dans un bâtiment public si elle revêt un caractère culturel, artistique ou festif, sans intention de prosélytisme religieux.

En revanche, si l’intention ou l’effet est de manifester une appartenance confessionnelle, alors la crèche devient incompatible avec le principe de neutralité.

Ainsi, dans le cas d’une Mairie, lieu d'exercice de l'autorité publique, le Conseil d'État a jugé qu’installer une crèche peut enfreindre le principe de laïcité, sauf s’il existe des circonstances particulières traduisant un usage local, artistique ou festif, et non religieux. Cette jurisprudence impose donc une appréciation au cas par cas, en fonction du contexte local, de l'intention de l'autorité publique et de la perception du public.

Cette approche souligne la subtilité de la question : si la crèche de Noël fait partie intégrante de notre patrimoine culturel, elle ne doit pas devenir un instrument d'affichage religieux dans l'espace public. La décision de 2016 et les arrêts suivants montrent que l'on peut célébrer Noël de manière traditionnelle sans que l'État en fasse un message confessionnel.

En résumé, la laïcité n'est pas une chasse aux symboles religieux, mais un équilibre délicat entre liberté de conscience et neutralité des institutions.

À ceux qui veulent voir la police embarquer un petit Jésus en plastique, rappelons que la question n'est pas de réprimer, mais de garantir un espace public respectueux de toutes les croyances et de toute absence de croyance. La crèche, si elle reste une tradition festive et culturelle, peut tout à fait coexister avec les principes de la République, à condition de demeurer temporaire, sans intention religieuse, et justifiée par une tradition locale.

Le même type de raisonnement peut être mené avec conviction juridique pour d’autres espaces publics, comme les établissements scolaires, où les signes d’apprentissage ou d’appartenance religieuse, quelle que soit leur qualification, pourraient être tolérés dans la cour de récréation, à condition d’un dialogue démocratique local.

Des formes de votation ou de concertation, établissement par établissement, permettraient d’articuler respect de la laïcité et reconnaissance des temps forts spirituels (comme Hanoucca, le Ramadan ou le Carême), dans le respect du principe de liberté religieuse (Cons. const., décision n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004).

Car la République n’est pas aveugle aux traditions, mais elle veille à ce qu’elles ne deviennent jamais des outils d’exclusion ou de domination. Car l’effet « domino » pourrait conduire à nier l’existence même de la coexistence entre croyances, que tout semblait opposer a priori, mais qui sont devenues compatibles, donc passibles d’être recadrées et possibles à entremettre…

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