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Billet de blog 14 juin 2022

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L'assistanat, un cancer imaginaire

La campagne présidentielle s'est terminée et avec elle son lot de concepts plus ou moins bancals. L’un d'eux m'a laissé un souvenir plus vif que les autres : l'assistanat. Alors pour exorciser le démon et parce que j'ai des passions de niche, j’ai choisi de me pencher sur ce concept très droitier.

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Cancer de l’assistanat : Aux origines du mal 

La première étape de ma quête de l’opinion auto éclairée consiste à revenir sur ma rencontre avec ce concept. En l'occurrence elle s’est faite via la découverte d’une expression "le cancer de l’assistanat".

Le 08 mai 2011, Laurent Wauquiez est l’invité d’Olivier Mazerolle sur BFMTV, dans l’émission BFMTV 2012. Nicolas Sarkozy est encore président et son mandat s’achève bientôt. La campagne présidentielle approche et les forces politiques du pays se préparent pour la bataille. A cette période, les choses sont plutôt mal engagées pour le président dont la côte de popularité "ne cesse de chuter". [Description de l’émission - Youtube]

L’émission est baptisée pour l’occasion : "Laurent Wauquiez le surdoué ambitieux". Le titre n’a pas grand chose à voir avec l’objet de ce billet. Néanmoins je vous invite à vous arrêter un instant sur ce titre avant de poursuivre. Et ce pour une raison assez simple : c’est assez comique.

L’émission en question va consister à interroger le ministre chargé des Affaires européennes, sur divers sujets d’actualité. En réalité, il s’agit pour Laurent Wauquiez de défendre le bilan du quinquennat et de faire un peu d’auto-promotion au passage.

Au bout de 09:04 minutes [Extrait de l'interview], Olivier Mazerolle va dire à Laurent Wauquiez qu’il a "l’air de considérer que ces classes moyennes sont un peu victimes de la protection sociale telle qu’elle se manifeste en France". Il en profite au passage pour tendre à Wauquiez une perche journalistique, l’invitant à parler de sa proposition d’ajouter des "contrepartie"” au RSA. Le surdoué ambitieux va y répondre en deux points et c’est son deuxième point qui va nous intéresser [Extrait de l'interview] : 

"Le deuxième problème c’est quoi ? C’est les dérives de l’assistanat. Quelle est, pour moi, LA principale injustice dans notre pays ? C’est que celui qui travaille n’ait pas un véritable écart, avec celui qui bénéficie des minimas sociaux. Cette situation-là, est pour moi LE cancer de la société française".

C’est de cette interview que vient la formule "le cancer de l'assistanat" dont vous avez probablement entendu parler. A la phrase volontiers choc, il ajoute trois propositions : 

1 - Conditionner le RSA à cinq heures de "service social" :  il cite en exemple de service social : "faire les sorties d’écoles, faire du nettoyage, essayer de faire de l'accueil de service public". Onze ans plus tard, du fait de l’inflation probablement, Emmanuel Macron et Valérie Pécresse proposeront eux quinze à vingt heures "d’activité", en contrepartie du RSA.

2 - Limiter le cumul des minimas sociaux à 75% du SMIC : pour étayer son argument il déclare qu’un couple cumulant plusieurs aides sociales aurait de plus hauts revenus (jusqu’à 1200€ dit-il) qu’un couple dont l’un des conjoints toucherait un SMIC. 

3 - Rendre le RSA contributif pour les étrangers : il illustre son propos en expliquant qu’à la date de sa déclaration (le 08 mai 2011), un séjour régulier de trois mois, donne accès au minimum vieillesse à un étranger. 

A l’époque, ces déclarations et les propositions qui vont avec provoquent un tollé à gauche comme dans son camp. 

Roselyne Bachelot, ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale à l’époque, réagi dès le lendemain. Par un communiqué [Article d'illustration], elle explique qu’un "différentiel important subsiste entre le RSA et le SMIC". Une façon polie, mais ferme, de dédire son collègue.

De la même manière, le premier ministre de l’époque, François Fillon, décrit les propos de Wauquiez comme "une mise en cause de la politique du gouvernement par un ministre". Puisque c’est en 2008, sous le quinquennat Sarkozy que le RSA est créé. [Loi du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion]

Bon le cadre est posé, cette notion d'assistanat faisait débat en 2011 et le RSA semblait en être le symbole. Onze ans plus tard, c’est à peu près la même chose au vu des propositions de LR et de LREM sur le sujet.

Cette notion de "service social" peut être assimilée à des "Travaux d'intérêt généraux" [Voir : Le travail d’intérêt général - Guide pratique à l'usage des structures d'accueil - Ministère de la justice, page 5] ou "TIG", soit une forme de peine que la justice peut prononcer à l’encontre de délinquants, rien de moins. Une association très problématique décryptée par Faïza Zerouala, journaliste de Médiapart dans son article Travailler pour toucher le RSA. [Lien vers l'article]

Maintenant qu’on a fait un peu d’archéologie, l’étape suivante est de définir ce concept.

De quoi l’assistanat est-il le nom ?

L’assistanat, est un concept politique qui désignerait une dérive, un effet pervers du modèle social français, qui entamerait l’envie de travailler des bénéficiaires d’aides sociales. En économie on parle de "trappe à inactivité" pour ce même phénomène de "désincitation au travail"

Un phénomène que le Laurent Wauquiez de 2011 qualifie de cancer. Une "maladie" qui enlèverait, aux bénéficiaires des minimas sociaux, toute envie de travailler. Puisque toucher une combinaison de minimas sociaux serait, d’après lui, plus lucratif. Je force le trait, mais c’est en substance ce qu’il dit :  

"Aujourd’hui un couple, qui ne travaille pas, qui est au RSA, en cumulant les différents systèmes de minimas sociaux peut gagner plus qu’un couple où il y a une personne qui travaille au SMIC. En gros avec l’APL, les différentes aides vous pouvez tourner autour de 1150, 1200 euros. Plus que le SMIC, ça n'est pas logique, car c'est la société française qui tourne à l’envers". [Extrait de l'interview]

Dans la vision présentée par Wauquiez, l’assistanat annihile le désir d’emploi, puisque selon lui, dans certains cas travailler serait moins lucratif que bénéficier des minimas sociaux. Il y aurait donc une injustice, puisque ceux qui travaillent seraient moins rémunérés que ceux qui "ne font rien". Ce serait le "Cancer de la société française". C’est, au mieux un argument maladroit, au pire fondamentalement malhonnête et surtout dangereux. 

En réalité, ce concept d’assistanat sans fondement concret est un moyen de justifier sa vision. Car quand on fait de la politique, on a des biais qui façonnent la perception. Dans son cas, un biais libéral. 

Pour schématiser, les libéraux, au sens économique du terme, ont pour idéal un État qui se concentrerait exclusivement ou quasi exclusivement sur des fonctions régaliennes. A savoir la sécurité, la Justice, la Défense et les Affaires étrangères

L’assistanat est donc bien pratique pour qui veut justifier de propositions qui visent à réduire des droits sociaux. D’autant plus que ces derniers sont largement hérités de la période du "Conseil National de la Résistance". Le programme de ce conseil prévoyait notamment de mettre en oeuvre "un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d'existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l'Etat". [Extrait du programme d'action du CNR]

Il faut donc un problème comme postulat [Définition Larousse], en l'occurrence l’assistanat. On part donc d’un constat simpliste, en gros : Un couple, qui ne travaille pas, qui est au RSA, en cumulant les différents systèmes de minimas sociaux pourrait gagner plus qu’un couple dont l’un des membres est rémunéré au SMIC.  En l’espèce, Laurent Wauquiez fabrique une injustice qui lui servira de problème à résoudre. 

Car l’injustice comme la peur, c’est très pratique pour convaincre, puisque nous y sommes sensibles. A moins d’être un parfait sociopathe, l’injustice touche tout le monde. Dans le cas de l’assistanat, cette injustice fabriquée est d’autant plus pratique. Car il faut ici justifier de propositions contre intuitives puisque de nature à dégrader les conditions matérielles de personnes qui, à priori, sont fragiles. 

Face à cette injustice, sa rhétorique coule de source. Elle consiste à dire que "puisqu’il est injuste qu’un couple aux minimas sociaux s’en sorte mieux qu’un couple dont l’un des membres est au SMIC" il faut lutter contre cette injustice avec sa solution. 

Cette solution, c’est la meilleure amie du concept d’assistanat et elle s’appelle "incitation" ou "politique incitative de retour à l’emploi" pour les intimes. Lorsque l’on considère comme vrai l’idée d’assistanat c’est d’ailleurs plutôt logique. Si l’assistanat est un phénomène de désincitation au travail des bénéficiaires des minimas sociaux, alors la solution c’est l’incitation.

Le principe de l’incitation, quand on parle de prestations sociales, c’est comme son nom l’indique, d’inciter les gens à quelque chose. Dans le cas présent, il s’agit de les inciter à travailler pour sortir de la situation de bénéficiaires de prestations sociales.

L’incitation : La politique publique de "coup de pied au cul"

Dans le cas présent, les politiques publiques d’incitation, celles censées lutter contre la désincitation au travail, s’apparentent à un bon vieux coup de pied au cul adressé aux bénéficiaires des minimas sociaux. Un coup de pied qui permet, au passage, de faire quelques économies sur les dépenses publiques. 

Au-delà de l’image, cela consiste à dégrader la situation des bénéficiaires, pour qu’ils soient dos au mur. Ainsi, un emploi devient une question de survie, quelle que soit la rémunération, la distance domicile-travail, les conditions de travail ou la pénibilité de l’emploi. Pour y parvenir on a grosso modo, trois façons le faire :

  • Durcir les conditions d’accès : C’est le moyen le plus brutal de procéder. Les minimas sociaux comme le RSA sont calculés à partir des ressources du foyer. Dans le cas du RSA, on prend les ressources des trois derniers mois, on en fait la moyenne et on voit si elles sont en dessous ou au-dessus du plafond. Pour une personne seule le plafond du RSA était de 466,99 € en 2011. Il suffirait de baisser ce plafond et moins de personnes y auraient accès. 
  • La contrepartie : C’est une option moins brutale. Pour bénéficier du RSA par exemple, il faut (je simplifie) s’engager à chercher du travail. Cet engagement prend la forme d’un contrat dit d’engagement réciproque, le CER. En contrepartie du RSA, il faut donc fournir des preuves de recherches d’emplois, puisque la "confiance n'exclut par le contrôle". Seul bémol, les contrôles ça coûte de l’argent. Ça nécessite que des personnes, payées sur deniers publics, accompagnent les bénéficiaires du RSA dans leurs recherches et vérifient la réalité de leur recherche d’emploi. Les économies réalisées sont alors limitées par le coût de ces contrôles.
  • La dégressivité : C’est l’une des caractéristiques des allocations chômage. Contrairement au RSA, le chômage fonctionne sur un mode "contributif". Pour y avoir droit, il faut avoir cotisé et donc contribué au système d’assurance chômage. Dans le cas du chômage, si on a travaillé suffisamment longtemps et que l’on a été licencié (dépendamment des conditions), on peut toucher l’ARE (Allocation de Retour à l’Emploi). C’est le "vrai nom" des allocations chômage. Mais l’ARE contrairement au RSA est dégressive. On y a droit pendant un certain temps, puis l’allocation diminue jusqu’à disparaître. En modulant la dégressivité de l’ARE on peut plus ou moins jouer sur "l’incitation" de la prestation. Ça donne une "date limite" à l’allocataire pour trouver du travail, au risque de ne plus avoir de ressources. Autrement dit, c'est un bon vieux coup de pression. 

Bon, maintenant que l’on a vu les bases, on peut se poser la question de la réalité de ce cancer de l'assistanat et illustrer la réponse. En l'occurrence : Est-ce que l’assistanat est une réalité ? 

L'illustration, elle, est toute trouvée, c’est le RSA que l’on va prendre comme support. Puisque c’est une prestation que tout le monde connaît et que son mode de calcul est simple.

Le cancer de l’assistanat ? C’est grave docteur ?

Pour vérifier les dires de Laurent Wauquiez et déterminer si oui ou non l’assistanat est une bêtise sans nom ou une réalité préoccupante, il faut se pencher sur le RSA et quelques aspects de son fonctionnement. La démonstration va être légèrement technique, mais rien d’insurmontable. 

Reprenons l’exemple cité par Laurent Wauquiez : "Un couple, qui ne travaille pas, qui est au RSA, en cumulant les différents systèmes de minimas sociaux peut gagner plus qu’un couple où il y a une personne qui travaille au SMIC. En gros avec l’APL, les différentes aides vous pouvez tourner autour de 1150, 1200 euros. Plus que le SMIC, ça n'est pas logique, car c'est la société française qui tourne à l’envers. Ce qu’on propose donc c’est de plafonner, le cumul de tous les minimas sociaux à 75% du SMIC maximum, pas plus".

Avant de rentrer dans le calcul de ce cas type, à opposer à celui de Laurent Wauquiez, il faut noter deux choses.

1. Cumul du RSA avec d’autres prestations (hors aides au logement) : Il est possible de cumuler le RSA et d’autres prestations. En revanche, à l’exception de certaines aides [Article R262-11 du code de l'action sociale et des familles] qui ne sont pas prises en compte dans le calcul, l’ensemble des revenus est pris en compte. 

Ce qui veut dire que le calcul du RSA prendra en compte ces ressources de la façon suivante : RSA - Ressources du foyer prises en compte = RSA versé [Article L262-2 et L262-3 du code de l’action sociale et des familles]. En l'occurrence, le montant maximum du RSA est aussi le plafond de ressources. Il n’est donc pas possible de cumuler RSA et minimas sociaux au-delà de ce montant limite (466,99€ en 2011 pour une personne seule).

2. Cumul du RSA et des APL (les aides au logement) : Le cumul RSA/APL fonctionne différemment. Dans le calcul du RSA, on prend en compte les deux aides en utilisant un "forfait logement" [Article R262-9 du code de l'action sociale et des familles]. Ce forfait logement consiste à calculer un forfait que l’on va retrancher au RSA avant d'additionner le droit au RSA à celui des APL.  

De façon plus concrète, en 2011, le montant forfaitaire mensuel pour le RSA était de : 466,99€ [Décret n° 2011-230 du 1er mars 2011] pour une personne qui ne travaille pas et ne touche pas d’autres revenus. Autrement dit, le montant maximum du RSA pour une personne seule, sans revenus et sans enfant était en 2011 de 466,99€. 

Pour un couple, le RSA est majoré de 50% [Article R262-1 du code de l'action sociale et des familles]. En 2011, le montant du RSA pour un couple sans enfants qui ne travaille pas et ne touche pas d’autres revenus était de 700,485€. 

En considérant que ce couple touche 200€ d’APL, leur RSA serait minoré d’un forfait logement qui est de 16% du montant forfaitaire pour 2 personnes [Article R262-9 du code de l'action sociale et des familles], soit 112,0776€. 

Le montant du RSA pour ce couple en incluant leur APL serait donc de (700,485€ - 112,0776€) + 200€, soit 788 € environ.

Toujours en 2011, l’autre couple dans la démonstration de Laurent Wauquiez, celui dont l’un des deux est au SMIC aurait un revenu mensuel de 1072,07€ net. [Source INSEE]

On peut donc tirer deux enseignements. Laurent Wauquiez a dit le 08 mai 2011, n’importe quoi. Dans cet exemple, la différence entre ces deux couples est de 284€. 

Aussi, la proposition du même Laurent Wauquiez de limiter à 75% du SMIC le montant du cumul des minimas sociaux n’aurait aucun effet ici. Puisque dans cet exemple, le couple au RSA perçoit un revenu qui correspond à 73,5% du SMIC. Il faut noter qu’en 2011, d’après l’INSEE le seuil de pauvreté en France se situait à 977€ par mois, pour une personne seule. [Source INSEE]

En 2022 c’est à peu près pareil. Si on reprend le même exemple : le couple au RSA toucherait 975€ mensuel de RSA et d’aides au logement (à hauteur de 250€ disons, histoire de tenir compte de l’inflation) cette année. Tandis que le couple vivant sur un SMIC toucherait aujourd’hui plus ou moins 1 302€ net (avant revalorisation automatique du SMIC en 2022. Une différence de 326€ environ, pour un revenu correspondant à 74% du SMIC net. Le couple au RSA serait d’ailleurs toujours au-dessous du seuil de pauvreté. 

Pour résumer, si l’on définit l’assistanat au regard de la définition faite par Laurent Wauquiez alors l’assistanat n’existe pas. En d’autres termes le surdoué ambitieux est soit bien moins doué qu’il n’y paraît soit simplement malhonnête. Libre à chacun d’en arriver à la seconde possibilité. 

Pour autant le RSA souffre de vraies lacunes, profondes et pointées en ces termes par la cour des comptes "[...] l'accompagnement est faible, la contractualisation rare et souvent de pure forme, et en définitive la logique des droits et devoirs est dévoyée. Cet état de fait ne permet pas, sauf dans de rares exceptions, de mesurer un effet positif de l’accompagnement". [Le revenu de solidarité active (RSA), Cour des comptes, Janvier 2022, P151

Ça ne soulève pas les foules, ne mobilise pas les électeurs de droite, mais c’est en revanche un problème bien réel.

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