La période d’instabilité politique dans laquelle est entrée la Grèce depuis quelques jours ne semble pas terminée. Aujourd’hui il apparait clair que Georges Papandréou ne peut plus gouverner et qu’il doit d’une manière ou d’une autre abandonner son siège de premier ministre. Pour autant, son départ ne peut être précipité, d’une part pour ne pas laisser le pays sans gouvernement et aggraver la crise politique en cours, d’autre part pour des raisons pratiques : le temps presse, et le parlement doit voter au plus vite des lois en vue de l’application du nouveau plan de rigueur.
Une chose est dorénavant sûre, des élections anticipées se tiendront dans deux ou trois mois pour élire de nouveaux députés (et donc un nouveau gouvernement). En attendant, G.Papandréou a pour objectif de s’assurer que la transition politique affecte le moins possible le bon déroulement du sauvetage d’une Grèce quasi assurée d’être en faillite si le nouveau « paquet » de l’UE et du FMI n’arrive pas à bon port. Pour cela, la question de la formation d’un gouvernement d’union nationale a été soulevée. Il a rencontré dans ce but le président de la République, Karolos Papoulias. (En Grèce, celui-ci n’a presque aucun pouvoir si ce n’est de « convoquer » et de s’assurer du bon déroulement de la vie politique).
Constituer un gouvernement d’union nationale aujourd’hui signifierait faire alliance avec le parti Nea Demokratia (Nouvelle Démocratie), mené par Antonis Samaras. C’est là que se compliquent les choses. Celui-ci a en effet sans arrêt répété son refus de participer à un gouvernement d’union nationale. Il proposait jusque-là la formation d’un gouvernement temporaire dans lequel il ne ferait pas partie, à condition que celui-ci soit tenu par des « technocrates ». Sa position s’est cependant adoucie ce matin, après sa rencontre avec le président où il a annoncé accepter d’ouvrir les discussions, mais seulement si G.Papandréou démissionnait. On se retrouve donc dans une impasse, puisque s’il y a démission sans solution préalablement définie, on entre dans le cas de figure défini ci-dessus où il n’y aurait plus de gouvernement, ce que le pays doit absolument éviter.
Lors d’un passage à Syntagma, nous avons été interviewés avec Myrtia par Europe 1, et la BBC, puis discuté avec quelques français. Cela nous avait surpris que ceux-ci pensent, unanimement que Samaras avait accepté de former un gouvernement de coalition, alors même qu’il venait pourtant, une nouvelle fois de renouveler son refus. Nous avons par la suite vérifié ce qu’en disaient les médias français et européens. Et encore une fois (cf. dernier article) nous avons été surpris par la manière dont était contée l’actualité. Les articles établissaient à nouveau des rumeurs ou des sous-entendus comme des faits réels et établis.
On pourrait finalement penser que les médias occidentaux tentent de créer leur réalité, soit pour se rassurer, soit parce que de l’extérieur les choses paraissent plus claires, soit, enfin parce qu’il serait impensable - dans ce cas précis - que les choses ne se passent autrement.
Il est clair qu’en la situation actuelle, il parait irraisonnable, et même déplacé de refuser de prendre part à un gouvernement d’union nationale. J’ai donc tenté de chercher les sources de ce refus. Je me suis entretenu au sujet de Neo Demokratia avec quelques grecs qui ont pu m’expliquer la situation un peu plus en profondeur.
Nea Demokratia est un parti réellement créé en 1974, mais qui trouve ses sources dans un mouvement qui commence bien plus tôt. C’est au début du siècle un rassemblement d’opposants au président Elevtherios Venizélos (dirigeant très populaire qui a largement participé à la mise en place de l’Etat grec tel qu’on le connait aujourd’hui). Ce mouvement critiquera ardument sa position pro-occidentale. Décrédibilisés par leur soutien aux Allemands pendant la première guerre mondiale puis à la dictature de 1936, ils se convertissent après-guerre dans l’anticommunisme, ce qui leur donne une certaine crédibilité et leur permettra d’accéder au pouvoir après la chute de la dictature. Konstantinos Karamalis, créateur du parti et premier dirigeant de l’ère post-dictatoriale, sera celui, qui au nom de l’anticommunisme fera entrer le pays dans l’Union Européenne.
Les bilans des différentes législatures ND depuis 1974 sont plutôt mauvais, les gouvernements ayant presque chaque fois été mêlés à des affaires de corruption. Le dernier gouvernement ND de Kostas Karamalis (le neveu) est celui qui a truqué les chiffres grecs provoquant clairement la crise dans laquelle la Grèce est plongée aujourd’hui.
Grâce à ce bref historique, on peut mieux percevoir la position actuelle d’Antonis Samaras. Son parti a en effet toujours été dans la critique, et n’a jamais réellement assumé un projet politique solide et ambitieux puisqu’il s’est justement toujours construit en fonction de ses ennemis politiques. Ces derniers temps réfugié dans le néolibéralisme sous l’influence de leurs collègues européens, ils prônent plutôt aujourd’hui le retour à l’Etat et promettent de revenir sur ce qu’a fait G.Papandréou, chose à peu près impossible en l’état des choses.
Ce changement récurrent de ligne politique est d’ailleurs en partie dû au fait qu’au contraire d’autres « partis populaires européens » (pour reprendre le nom du groupe parlementaire européen dont ND fait partie) Neo Demokratia n’a pas de base électorale solide et désignée d’avance, constituée par les orthodoxes conservateurs ou la petite bourgeoisie par exemple. Ceci est d’ailleurs une des raisons de la « droitisation » du PASOK qui a cherché à combler ce manque politique en tentant d’attirer ces classes sociales sous son aile. On me confie au contraire que Nea Demokratia joue beaucoup plus sur le « désespoir et la peur » des grecs pour investir le pouvoir.
On m’a donc expliqué la stratégie actuelle de Samaras de cette manière. Celui-ci a toujours refusé de s’investir pour garder sa position d’opposant qui lui va à merveille. En tant que tel, il peut critiquer de manière ouverte tous les actes du premier ministre, avec ou sans justification adéquate. Il accorde d’ailleurs beaucoup d’attention à la forme de ses discours : un ton populiste (« le peuple a été trompé » ; « ils se sont enrichis pendant que vous vous êtes appauvris » etc…), le poing sur la table, et marquant son souhait de faire appel au peuple. « La seule solution, des élections », a sans cesse répété A.Samaras ces derniers jours. Un style de discours très apprécié, car rassurant.
Il faut donc avouer qu’il mène un jeu politique très habile où il parvient à occuper la une des journaux jour et nuit sans pour autant agir de manière concrète pour faire évoluer la situation.
On m’a d’ailleurs rapporté l’amusante, et surprenante comparaison de ce parti avec le KKE (Parti Communiste Grec) avec qui Nea Demokratia a d’ailleurs tenu un gouvernement de coalition de 1989 à 1990. Ces deux partis mènent en effet aujourd’hui, à peu de choses près, la même stratégie qui consiste à sortir du jeu politique, mais rester dans le jeu médiatique. Avec évidemment des différences marquées sur le point de vue idéologique, ces deux partis ont, tout au long de ces derniers jours, dénoncé de manières semblables la politique menée par le PASOK (Parti socialiste au pouvoir). Nea Demokratia se trouve toutefois en position de force avec 85 députés à l’assemblée ce qui en fait le premier parti d’opposition. Et de nombreux grecs n’ont aucun doute quant à son succès futur. Autour d’un café un grec m’explique « Le discours radical de Samaras s’installe peu à peu dans la tête des grecs, qui vont probablement se dire que, finalement, ça pourrait être mieux avec lui. Il a beaucoup plus à gagner en restant à l’écart de ce qui se passe en ce moment plutôt que de salir sa crédibilité en participant au gouvernement».
Je ne peux m’empêcher de comparer cette stratégie politique avec celle que mène Marine Le Pen en France, bien que celle-ci n’ait encore pas été sommée de prendre part à un gouvernement d’union national, ce dont on ne va pas se plaindre. Ne m’attardant pas sur la comparaison, ceci montre combien le rapport de force politique Grec est chamboulé, et explique en partie pourquoi la population grecque perd espoir : on voit se profiler un gouvernement d’union nationale entre un parti décrédibilisé par 2 ans de destruction économique, et un autre qui n’y voit que l’occasion de récupérer à nouveau le pouvoir pour son propre intérêt.
Mehdi ZAAF