Mehdi ZAAF (avatar)

Mehdi ZAAF

Abonné·e de Mediapart

33 Billets

0 Édition

Billet de blog 10 décembre 2011

Mehdi ZAAF (avatar)

Mehdi ZAAF

Abonné·e de Mediapart

Grèce : Le traumatisme du 6 décembre

Nous fêtions le 6 décembre dernier le triste anniversaire de la mort d’Alexandros Grigolopoulos, tué par balles par un policier. C’était il y a 3 ans à Athènes, lors d’une protestation contre la dégradation déjà visible de la situation économique et sociale. Cet évènement avait donné naissance à un soulèvement gigantesque de la jeunesse grecque, plongeant le pays dans un état quasi insurrectionnel. De nombreux grecs ont encore en mémoire cette période où la Grèce brûlait. La violence, qui existait déjà auparavant, a décuplé. Les banques, ainsi que les postes de police étaient pris pour cible. Athènes, Thessalonique, ou encore Heraklion, capitale crètoise, ont été dévastées. Quatre ans après, le traumatisme du 6 décembre est toujours présent.

Mehdi ZAAF (avatar)

Mehdi ZAAF

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous fêtions le 6 décembre dernier le triste anniversaire de la mort d’Alexandros Grigolopoulos, tué par balles par un policier. C’était il y a 3 ans à Athènes, lors d’une protestation contre la dégradation déjà visible de la situation économique et sociale. Cet évènement avait donné naissance à un soulèvement gigantesque de la jeunesse grecque, plongeant le pays dans un état quasi insurrectionnel. De nombreux grecs ont encore en mémoire cette période où la Grèce brûlait. La violence, qui existait déjà auparavant, a décuplé. Les banques, ainsi que les postes de police étaient pris pour cible. Athènes, Thessalonique, ou encore Heraklion, capitale crètoise, ont été dévastées. Quatre ans après, le traumatisme du 6 décembre est toujours présent.

A l'endroit où Alexis a été tué. "Je vis à travers vos luttes".

Pendant les émeutes, nous avions tendance en France à les comparer avec celles qui avaient eu lieu en novembre 2005. La mort d’un jeune (deux en France) a provoqué l’embrasement du pays. Il n’y a pourtant strictement rien qui permette de rapprocher ces deux évènements, et c’est faire une erreur que de les considérer comme semblables. C’est surtout réduire le phénomène grec à un schéma qui ne lui correspond pas, tant les situations politiques, économiques, et surtout sociales des deux pays ont très peu en commun.

Tout d’abord, le mouvement de protestation grec n’était pas restreint à une couche de la société. Impulsé par les soulévements étudiants, ou plus généralement par la jeunesse, elle a débordé sur les autres sphères sociales pour devenir une protestation généralisée contre le système.

La police, qui a tenu un rôle capital dans le déclenchement des émeutes, s’est avérée être le meilleur symbole d’un système désapprouvé et rejeté par la population dans son ensemble. Même si la police française avait largement été critiquée lors des émeutes de 2005, la haine populaire à son encontre n’atteignait pas celle présente en Grèce. Partout ici, au sein de la population comme dans les médias, la police est considérée comme injuste et corrompue. Elle est la cible d’un rejet particulièrement fort qui s’est justement cristallisé à la fin de l’année 2008, puis au début de l’année 2009.

Ce n’est pas tant juste le fait que la police ait tué un jeune qui constitue un casus belli. La raison pour laquelle la situation a dégénéré en Grèce est liée en partie au fait que ce genre « d’accident » était considéré comme commun durant le régime des colonels. Le 6 décembre 2008 a violement rouvert la plaie de la dictature qui ne s’était jamais réellement refermée. Cet événement a grandement marqué les esprits. En parallèle des manifestations violentes, de nombreux rassemblements pacifiques avaient lieu, comme à Syntagma (Athènes), où des grecs de tous les horizons avaient fait un sitting pendant plusieurs jours, pleurant la perte d’Alexis.

Dans les manifestations qui ont eu lieu le 6 décembre dernier, en dehors des chants visant particulièrement les policiers, un slogan était plus évocateur : Pain, Education, Liberté, la junte ne s’est pas terminée en 1973. Pain Education Liberté était le slogan phare des manifestations qui eurent lieu durant les dernières années de la dictature, aboutissant finalement à la chute du régime. La reprise d’un tel slogan est symbolique. Elle explique beaucoup sur l’état d’esprit de la société grecque dans son ensemble, qui n’a jamais réellement eu l’occasion de faire le deuil de son passé. La répression policière est l’expression de toute la méfiance qu’a l’Etat envers la population grecque, comme c’était le cas sous la dictature.

L’Etat grec semble en effet ne pas avoir réussi le pari difficile de se débarrasser de son caractère autoritaire hérité du régime des colonels. Il apparait toujours, aujourd’hui, en particulier au travers de sa police, comme étant construit contre la société civile. A ce titre d’ailleurs on reproche souvent à l’Etat grec de ne pas avoir « purgé » les services publics (y compris la police) à la suite de la chute de la dictature. La plupart de l’administration s’est perpétuée selon les mêmes schémas.

J’avais parlé dans mon dernier billet du potentiel danger politique d’une « humiliation grecque » à l’étranger. Il se trouve qu’à l’intérieur même du pays, le spectre d’une guerre civile apparait de plus en plus visible. L’accroissement de la pauvreté, la dégradation spectaculaire de la situation sociale ont déclenché une radicalisation du discours populaire, impliquant toute une partie de la population originalement considérée comme faisant partie des classes moyennes. Puisqu’aucune perspective politique semble pertinente, c’est la rue qui apparait être le meilleur moyen de changer ce système. Le principal danger, finalement, réside dans le fait que ces contestations, bien qu’ayant des bases économiques et sociales, tiennent plus de l’émotionnel. Assister à une manifestation en Grèce aujourd’hui permet de voir toute la rage, toute la haine ressentie par un peuple qui n’a plus rien à perdre. Dans la manifestation, une grecque très âgée me confie: Je ne peux pas payer tout ce qu’on me demande, j’ai plus rien à perdre. Elle criait avec tous les jeunes présents dans la manifestation Policiers, cochons, assassins.

Les gouvernements, eux, ne font rien pour calmer ce grondement populaire, bien au contraire. Le 17 novembre dernier, pour la première fois depuis la dictature, la police de Thessalonique est entrée dans l’école Polytechnique, cela grâce à une loi votée à la fin de l’été abrogeant l’asile universitaire, mesure phare de la période post-dictatoriale. Cet événement a grandement marqué les esprits, et aggravé la perception de plus en plus partagée selon laquelle la dictature ne s’est jamais terminée.

Mehdi ZAAF 

Article originellement publié le 10/12/11.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.