Mehdi ZAAF (avatar)

Mehdi ZAAF

Abonné·e de Mediapart

33 Billets

0 Édition

Billet de blog 11 novembre 2011

Mehdi ZAAF (avatar)

Mehdi ZAAF

Abonné·e de Mediapart

Points de vue croisés sur la Grèce et l'Italie.

Le « thriller politique » à l’œuvre depuis plusieurs jours maintenant a pris fin hier midi avec la nomination officielle d’un nouveau premier ministre. Loukas Papademos a (enfin) reçu mandat du président de la république pour former un gouvernement d’intérim dont la seule charge – il l’a rappelé lors de sa première allocution- sera « l’application du plan d’austérité décidé le 26 octobre ». Aucune mention, par contre, des élections qui devraient se tenir le 19 février.

Mehdi ZAAF (avatar)

Mehdi ZAAF

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le « thriller politique » à l’œuvre depuis plusieurs jours maintenant a pris fin hier midi avec la nomination officielle d’un nouveau premier ministre. Loukas Papademos a (enfin) reçu mandat du président de la république pour former un gouvernement d’intérim dont la seule charge – il l’a rappelé lors de sa première allocution- sera « l’application du plan d’austérité décidé le 26 octobre ». Aucune mention, par contre, des élections qui devraient se tenir le 19 février.

La priorité est donc donnée au retour de la Grèce sur les rails de l’austérité, et c’est pour cela qu’a été nommé à la tête du gouvernement un ex-banquier, ancien vice-président de la Banque Centrale Européenne dont il partage les vues. « Je ne suis pas un homme politique » a-t-il introduit, c’est donc bien un technocrate qui va gouverner la Grèce pendant plus de trois mois. Cette hypothèse était défendue par le leader de Nea Demokratia Antonis Samaras, qui voulait que les choses se déroulent ainsi pour ne pas devoir s’impliquer dans la gestion de la crise, et renforcer sa crédibilité pour les élections à venir.

Le nouveau premier ministre grec devait être désigné lundi, mais la recherche du meilleur « technocrate » a pris un certain temps. Pas moins de six personnes ont successivement été pressenties pour la nomination. Il fallait trouver le plus docile, le moins à même de nuire à l’exécution des plans dictés par « la troïka ». Tous avaient en commun d’être éloignés de la vie politique (professeurs, économistes, ou haut-fonctionnaires) et d’être inconnus du grand public.

Sur twitter, à la télévision, et sur les sites web des quotidiens nationaux, une question revient : « Qui est Loukas Papademos ? ». Que l’on se rende bien compte, la Grèce a attendu pendant plusieurs jours la désignation de l’homme qui va les gouverner, et celle-ci semble grandement avoir subi l’influence des dirigeants de l’union européenne qui ont réitéré plusieurs fois leur souhait d’avoir un interlocuteur docile et compréhensif.

Alors que se dénoue en Grèce la crise gouvernementale, une autre épopée politique s'ouvre, mais en Italie cette fois. On aurait pu croire que l'annonce de la démission de Berlusconi allait susciter un élan d'espoir parmi la population italienne mais seuls les marchés ont brièvement salué cette décision en laissant leur indice passer au vert un court instant. La population, quant à elle, semble rester extrêmement prudente face à cette annonce puisque la chute annoncée du Cavaliere ne signifie pas en soi une amélioration de la situation italienne.

L'ex-commissaire européen Mario Monti, nommé d'abord par Berlusconi en 1994 puis reconduit par le gouvernement de centre gauche de Massimo d'Alema en 1999, a en effet reçu hier l'onction de l'ex-futur Premier Ministre, et semble être appelé à prendre le pouvoir jusqu'aux prochaines élections législatives anticipées avec pour mandat l'application des mesures d'austérité exigées par le FMI et sensées sortir l'Italie du marasme économique.

Se plaçant aujourd'hui au-dessus des partis, le « bureaucrate de Bruxelles parmi les plus puissants » selon The Economist est celui qui serait le plus à même de réunir sous sa coupe une large majorité à la Chambre des députés d’après la presse. Seule la Lega Nord, alliée au parti de Berlusconi, classée à l'extrême droite, a annoncé qu'elle ferait partie de l'opposition si Monti recevait l'investiture, arguant du fait « qu'il ne fait pas parti de la majorité sortie victorieuse des élections de 2008 ».

Le rapprochement de la Grèce et de l'Italie à travers celui de ces deux figures, celle du nouveau Premier Ministre grec Loukas Papademos et celle du favori Mario Monti, n'est évidemment pas fortuite. Les deux pays sont entrés dans une période d'instabilité gouvernementale après la chute de leurs leaders elle-même causée par la défection de leurs majorités respectives qui se faisaient l'écho de la perte de confiance des marchés et des institutions internationales.

L’impératif auto-imposé d'une réponse rapide aux exigences des marchés va vraisemblablement conduire à la mise en place de gouvernements non élus qui seront mandatés pour exécuter les plans de rigueur exigés par la « troïka ». Et pour cela rien de mieux que les parfaits représentants d’une technocratie européenne qui partagent l’idéologie rigoriste et qui ne chercheront donc jamais à aller à l’encontre de ce que les dirigeants européens décideront pour eux. Ils servent finalement moins l’intérêt des pays en question que ceux de la zone euro dans son ensemble ce qui conduit à dévoyer les processus démocratiques nationaux.

Il est évident que ces deux personnalités sont des « fusibles », des gardes-fou placés là par l’Union Européenne, mais aussi par les partis nationaux, qui cherchent à se préserver de l’impopularité des mesures, en vue des élections. Ces substituts entièrement dévoués à la cause de l'idéologie rigoriste de l'union européenne, et distincts des jeux partisans politiques, sont les pions parfaits pour la mise en place des plans de rigueur. Ils ne chercheront pas à obtenir le pouvoir, donc ne constituent pas une menace pour la pérennité des partis politiques traditionnels, et n'ont pas de mandats populaires à respecter, donc pas de compte à rendre à la population. En définitive, tout le monde sort gagnant de ces désignations, sauf la démocratie, la volonté et la souveraineté populaire.

Mais la démocratie n'est pas qu'une question procédurale. Les élections prévues dans ces pays-là pourront très bien respecter parfaitement le code électoral, pour autant rien n'indique que les partis traditionnels de gouvernement sortiront de la rhétorique de l'austérité, verrouillant de fait le débat autour d'une rigueur de droite ou plutôt de gauche, et portant un coup fatal à l'idée démocratique du pluralisme idéologique. C'est ce qu'on a déjà pu observer à l'occasion des élections anticipées au Portugal en juin 2011, et ce que l'on voit déjà se profiler à l'occasion de la campagne présidentielle française en vue des élections de mai 2012. C’est également l’enseignement apporté par ces formations de gouvernements d’union nationale, qui rassemblent sous une même bannière des partis qui pourtant s’opposaient jusque-là. Cette uniformité idéologique rajoute encore plus à la défiance et au discrédit de la politique et de ses représentants déjà existant.

On voit donc au travers de cette comparaison, malgré les différences évidentes entre les deux pays, que la manière de répondre à la crise politique a été la même. Cela souligne combien les situations nationales n’importent finalement que très peu aux dirigeants européens au regard de la stabilité européenne et donc de la notation des marchés financiers. L'exécution et la mise en œuvre des plans de rigueur apparaît comme un objectif à réaliser à n'importe quel prix, et par n'importe quel moyen. Même au prix de la démocratie, qui semble toujours inquiéter les marchés financiers et les dirigeants de l'Union Européenne qui n'ont pas hésité une nouvelle fois à imposer leurs vues aux peuples, comme ils l'avaient fait lors du vote traité de Lisbonne il y a quelques années.

La multiplication de ces actes technocratiques, qui tendent à se soustraire au jeu politique pour se rapprocher d'un certain autoritarisme, et surtout leur violation de plus en plus flagrante des souverainetés populaires, doivent nous amener à prendre la mesure de ce qu'il reste de démocratique dans le fonctionnement de l'Union Européenne.

Mehdi Zaaf, Romain Pouzin Roux et Paul Dufournet, MRP.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.