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Billet de blog 16 décembre 2024

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L'islam sunnite en Syrie : enjeux et menaces pour le Moyen-Orient

Le dernier conflit israélo-palestinien, commencé le 7 octobre 2023, a conduit à la chute de Damas. Une action mondiale immédiate est essentielle pour éviter une nouvelle escalade sanglante.

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Le dernier conflit israélo-palestinien, commencé le 7 octobre 2023, a conduit à la chute de Damas. Une action mondiale immédiate est essentielle pour éviter une nouvelle escalade sanglante.

En 1979, la chute du Shah d’Iran, Mohammad Reza Pahlavi, a conduit à l’instauration du régime des mollahs. L’Occident a toléré ce basculement pour éviter l’émergence d’un régime de gauche, ouvrant ainsi la voie à la création de la République islamique d’Iran.

Fondé sur la doctrine chiite de l’islam, en opposition à l’islam sunnite, le régime islamique iranien a, pendant plus de quarante ans, construit un réseau de milices à l’étranger, provoquant l’instabilité régionale. Cependant, ces dernières années, sous la pression des soulèvements populaires et des sanctions internationales, il est devenu fragile. Au cours de l’année écoulée, Israël a intensifié ses attaques contre le réseau de milices chiites au Liban et en Syrie, précipitant son effondrement tandis que l'épuisement de la Russie, lié à la guerre en Ukraine, a rendu la chute du régime d'Assad inévitable. 

L’Occident a tardé à réagir ou n’a pas perçu cette évolution. La Turquie d’Erdogan, en revanche, l’a anticipée. Depuis des années soutien armé d’Hay’at Tahrir al-Sham (HTS) et des milices djihadistes liées à Ankara, elle a agi rapidement. La guerre civile syrienne, qui durait depuis 12 ans, s’est achevée en 12 jours, avec la chute de Damas.

Le monde islamique est désormais dominé par l’islam sunnite, qui regroupe de nombreux groupes djihadistes, des salafistes aux Frères musulmans. En Afghanistan, les talibans imposent un régime basé sur la charia. En Turquie, Erdogan promeut des mouvements comme Millî Görüş, lié aux Frères musulmans, qui infiltrent l’État kémaliste. 

Avec le soutien du président turc, le nouveau dirigeant de Damas, Al-Joulani, pourrait imposer en Syrie un islam sunnite radical susceptible d’écraser les autres communautés religieuses et ethniques et tenter d’étendre ce radicalisme au-delà du Moyen-Orient. Les Occidentaux, actuellement sans stratégie claire en Syrie, ne semblent pas conscients de ce danger : au contraire, ils s’efforcent de réécrire le passé de Al-Joulani, le décrivant comme un « islamiste conservateur »

Le vendredi 13 décembre, İbrahim Kalın, chef des services de renseignement turcs, accompagné de Al-Joulani, a assisté à la prière du vendredi dans la mosquée des Omeyyades, un symbole de l’islam sunnite, avant de défiler dans les rues de Damas pour afficher sa force.

Au même moment, les forces turques et leurs alliés djihadistes ont assiégé Menbij tuant des dizaines de civils avant de prendre la ville tenue par les Kurdes depuis qu’il y a huit ans, ils l’avaient libérée de Daech au prix de milliers de leurs vies. Maintenant, l’État turc et ses alliés djihadistes se tournent vers Kobané, symbole de la première défaite de Daech, et se préparent à l’assiéger.

La résistance héroïque des femmes kurdes lors de la défense de Kobané a marqué les esprits dans le monde entier, inspirant admiration et solidarité. Aujourd’hui, sans une pression significative des États-Unis ou de l’Europe pour stopper l’armée turque et ses alliés djihadistes, outre Kobané, c’est toute la région kurde du Rojava qui risque de tomber rapidement sous leur contrôle.

Un tel scénario ne signifierait pas seulement l’anéantissement d’un peuple, il effacerait aussi le sacrifice des 12 000 jeunes Kurdes morts en combattant Daech pour la sécurité et la dignité de l’humanité tout entière.

L’inaction face à cette menace trahirait la mémoire de ceux qui ont donné leur vie pour combattre l’extrémisme.

Un scénario où les Kurdes seraient massacrés et anéantis sous les yeux du monde signifierait également l’instauration d’un système de domination exclusive par l’islam sunnite radical en Syrie. Dans un tel régime, les droits des minorités ethniques, des Alaouites, des chiites ou des chrétiens n’existeraient plus. Comme les Kurdes, ces communautés seraient vouées à disparaître.

 L’Occident a longtemps collaboré avec les Kurdes au sein de la coalition internationale pour vaincre Daech. Les abandonner serait trahir le combat pour un avenir plus sûr et plus juste dans la région. 

Cela ne signifie pas que les États-Unis ou l’Europe doivent intervenir militairement mais on pourrait attendre qu’ils proposent une solution politique en Syrie empêchant la concentration du pouvoir entre les mains d’une seule entité. Un système équitable, administré par un gouvernement central, qui protègerait les droits des femmes et des enfants, répartirait le pouvoir proportionnellement entre ethnies, cultures et confessions dans un cadre démocratique, et s’incarnerait dans des États autonomes fédérés garantissant les droits de chaque communauté.

Il est également crucial que la Turquie se retire des sept villes syriennes qu’elle occupe depuis des années, afin de rétablir la souveraineté syrienne et de favoriser une paix durable dans la région. 

La Syrie ne se résume pas à Hay’at Tahrir al-Sham (HTS), qui a pris Damas avec le soutien d’Erdoğan.

La Syrie est une mosaïque unique où cohabitent sunnites, alaouites, chiites, chrétiens, Arabes, Turkmènes, Circassiens, Arméniens, Syriaques et Kurdes.

La mission des Occidentaux est de préserver cette mosaïque et de garantir que chaque communauté puisse vivre dans la dignité. La destruction de cette diversité serait une perte irréparable, non seulement pour la Syrie, mais pour l’humanité tout entière.

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