Mehmet Akar

Abonné·e de Mediapart

8 Billets

0 Édition

Billet de blog 24 décembre 2024

Mehmet Akar

Abonné·e de Mediapart

Le plan néo-ottoman d’Erdoğan pour la Syrie et la montée des tensions en Méditerranée

Depuis la chute du régime d’Assad, la Turquie cherche à faire alliance avec le nouveau leader de Damas afin de transformer la Syrie en porte d’entrée du néo-ottomanisme au Moyen-Orient et en avant-poste stratégique de contrôle de la Méditerranée. Une telle situation pourrait bouleverser les équilibres régionaux et intensifier les tensions en mer.

Mehmet Akar

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Depuis la chute du régime d’Assad, la Turquie cherche à faire alliance avec le nouveau leader de Damas afin de transformer la Syrie en porte d’entrée du néo-ottomanisme au Moyen-Orient et en avant-poste stratégique de contrôle de la Méditerranée.

Une telle situation pourrait bouleverser les équilibres régionaux et intensifier les tensions en mer.

Dès le lendemain de la chute du régime d’Assad, le chef des renseignements turcs (MIT) s’est rendu à Damas. Il a participé à la prière du vendredi à la mosquée des Omeyyades avec Al-Joulani, avant de parcourir les rues de la capitale aux côtés du nouveau dirigeant.

Le 22 décembre, des photos relayées par les médias montraient le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, en cordiale compagnie d’Al-Joulani à Damas. Lors d’une conférence de presse conjointe, ils ont déclaré avoir abordé l’avenir de la Syrie. Une déclaration commune a également été publiée, affirmant leur intention d’expulser les Forces démocratiques syriennes (FDS), dominées par les Kurdes, des régions du Nord et de l’Est du pays.

Alors que le ministre turc des Affaires étrangères poursuivait ses échanges à Damas, le palais présidentiel turc a annoncé qu’Erdoğan se rendrait prochainement dans la capitale syrienne pour rencontrer Al-Joulani.

Pour intimider ses rivaux, la Turquie ne se limite pas à faire campagne à Damas : elle intervient directement dans la formation du gouvernement syrien. Al-Joulani nomme comme ministres et gouverneurs des nationaux formés dans les écoles de théologie turques.

Selon la presse turque, le nouveau ministre des Affaires étrangères, Assaad Hassan el-Chibani a étudié à l’Université Sabahattin Zaim en Turquie. Azzam Garib, diplômé d’une faculté de théologie en Turquie, a quant à lui été nommé gouverneur d’Alep, une ville où cohabitent Sunnites, Alaouites, Chrétiens, Kurdes et Arméniens.

Difficile de ne pas supposer, dans ce contexte, que d’autres membres de l’actuel gouvernement syrien et d’autres bureaucrates du pays ont été formés par le gouvernement turc.

Des sources proches du palais d’Erdoğan révèlent par ailleurs qu’un accord maritime entre la Turquie et la Syrie serait imminent. Cet accord prévoirait l’installation de bases navales turques dans les ports stratégiques de Lattaquié et Tartous, ce qui risquerait de renforcer les tensions en Méditerranée orientale.

Ces deux villes syriennes situées sur la Méditerranée hébergent depuis plusieurs années des bases navales et aériennes russes. Des rumeurs suggèrent qu’Al-Joulani aurait changé de position à l’égard de la Russie après la chute du régime d’Assad, devenant moins hostile au Kremlin. Si ce revirement se confirme, il pourrait être le résultat de l’influence d’Erdoğan, dont la collaboration avec Poutine est étroite depuis plusieurs années.

Après la chute du régime syrien, beaucoup ont vu l’envoi par la Turquie à Damas de milices contrôlées par HTC (Hayat Tahrir al-Cham) comme une trahison envers la Russie et l’Iran. Ces trois pays discutaient en effet depuis des années de l’avenir de la Syrie dans le cadre des pourparlers d’Astana, cherchant une solution commune. De plus, la Russie et l'Iran avaient chargé Erdoğan de désarmer HTC, alors positionné près de la frontière turque.

L’Iran a implicitement accusé la Turquie de la chute d’Assad, tandis que la Russie est, dans un premier temps, restée silencieuse. Interrogé sur le sujet, le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, a partiellement exprimé la position de Poutine. Selon lui, la chute du régime syrien pourrait correspondre aux stratégies et intérêts à long terme de la Russie. 

Le Kremlin a finalement réagi, confirmant les déclarations de Hakan Fidan et soulignant que les actions de la Turquie en Syrie répondaient aussi à des intérêts stratégiques turcs, tout en laissant entendre une certaine convergence entre objectifs russes et turcs dans la région.

Alors que l’Occident, peu au fait des enjeux syriens, s’attendait à une opposition de Poutine à la Turquie, ce dernier l’a surpris en exprimant son soutien à Ankara.

On peut ajouter à cela que le maintien des bases russes à Tartous et Lattaquié semble étroitement lié aux initiatives d’Erdoğan, ce qui renforce encore les liens de ce dernier avec Poutine. Il est même possible que la Russie participe à un futur accord maritime avec la Turquie et la Syrie. 

Erdoğan maîtrise bien la stratégie des accords maritimes. En 2019, il en a conclu un similaire, bien que de moindre envergure, à celui qu’il envisage avec la Syrie avec le gouvernement libyen allié, déclenchant une période de tensions en Méditerranée. Le 10 juin 2020, la frégate française Courbet, en mission dans la région, a ainsi été harcelée par des navires de guerre turcs, menant la France et la Turquie aux portes d’un conflit armé. La situation ne s’est apaisée que grâce à l’intervention de l’OTAN.

Un accord entre la Russie, la Turquie et la Syrie pourrait redéfinir l’équilibre non seulement en Méditerranée mais aussi à l’échelle mondiale. Pour la Russie, cet accès aux portes du Heartland, qu’elle poursuit depuis des décennies, aurait une portée historique majeure. 

Erdoğan poursuit un autre objectif : restaurer l’influence de la Turquie dans les territoires de l’ancien Empire ottoman et unifier les factions islamistes des pays musulmans sous une même bannière. Son ambition est de réactiver le néo-ottomanisme en s’inspirant du modèle des Frères musulmans, qu’il cherche déjà à appliquer en Turquie.

Un tel scénario pourrait profondément bouleverser la dynamique en Méditerranée, notamment dans des pays comme l’Égypte et la Tunisie, où ces formations islamistes ont déjà laissé leur empreinte. 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.