L'automne et la grisaille ont entamé le sourire de Khadija. Le temps, long et mauvais a jeté un poids bien lourd sur ses épaules et son quotidien. L'attente du titre de séjour. L'attente encore et toujours, interminable. Ou l'expulsion. L'incertitude. La peur aussi. La peur beaucoup. Khadija se débat dans les démarches administratives et juridiques, ballottée entre bons et mauvais conseillers, entre bribes d'espoir et gros découragements. Elle veut y croire. Ou plutôt elle ne veut PAS ne plus y croire. On n'efface pas des années d'espérance et de courage si simplement. On n'éteint pas un soleil d'un coup de tampon de préfecture.
Le rythme des journées a changé. Terminé le travail duquel Khadija dut démissionner quelques minutes à peine après que son employeur a reçu l'appel de la préfecture. Elle attend dans son appartement, avec la crainte d'en bouger. Une valise toujours prête, au cas où. Le confinement avec l'angoisse du contrôle, elle sait ce que c'est. Elle traîne des pieds avec l'attente d'une décision incertaine pour boulet, et tait toujours ses angoisses et sa réalité auprès des siens, pour ne pas les inquiéter. Elle aura tout tenté pour démêler une situation ubuesque dans laquelle elle cherchait à prouver un avenir français mérité. S'en remettre au bon sens et à l'humanité. Prier. Donc elle prie, et jette encore ci et là des demandes : associations, avocats, mairie, employeurs. Elle se console à coups de croissants et de séries sous la couette et continue de garder et gâter mes enfants. Parce qu'il faut continuer à vivre, et à sourire. Pourtant, dehors il pleut. Dehors comme dedans, la lumière manque.
Puis l'hiver est arrivé. Et le coeur a flanché. C'est souvent quand on se sent submergé, que la vague suivante nous fait réaliser qu'on n'était pas encore noyé. La vague, le tsunami, fut l'appel reçu de Dakar ce soir de Janvier. Le père de Khadija venait de s'éteindre. Au déchirement s'ajoute la cruauté du contexte. Deux jours à peine pour rejoindre le lieu de l'enterrement. Mais comment sortir du territoire sans papier en règle, comment savoir si l'adieu à son père ne sera pas un adieu à son autre pays ? Partir elle pourra, mais revenir ? Mais comment ne pas aller pleurer avec les siens, comment ne pas aller saluer une dernière fois celui qu'elle a tant raconté ? Mais comment ... ?
Alors le soleil s'est couché. Le soleil s'est endeuillé. Et tous ces jours qui se sont faits nuit, Khadija, loin des siens et de son père, a prié les étoiles. Et seule dans sa chambre lilloise, les nuits ont duré bien plus longtemps que les journées.
Puis le printemps. Parce que si tout a semblé s'arrêter ce jour de janvier, la terre, elle, a pourtant continué de tourner. Les jours et les saisons ont poursuivi leur trajet. Le soleil aussi. L'aube s'est donc levée. Une réponse à un mail envoyé l'hiver. Un rendez-vous. Une écoute sensible et attentive dans le cabinet du maire. Une étincelle. Et si ? Et si, alors que tout s'était enlisé faute de volontés administrative et politique, et si alors que l'hiver semblait avoir gelé toute issue, et si du printemps germait enfin l'espoir ? Et quelques semaines plus tard, une lettre : "Vous aviez appelé mon attention sur la situation de séjour [...]Je tiens à vous faire part de l'issue favorable ..."
Et les jours et les saisons ont poursuivi leur trajet. Le soleil aussi. Après l'aube, le soleil s'est définitivement levé. Et après les pluies tant pleurées, et après le dos tant plombé, Khadija retrouva son port de déesse. Il aura fallu que parmi les multiples demandes hivernales et qu'au lieu d'un usuel formulaire administratif dûment complété, Khadija se raconte par des mots en chair et en humaine. Il aura fallu qu'au lieu de vulgaires cases simplement cochées, un politique prenne la peine de lire une vie. Et par la porte de l'élue entrouverte, enfin, la lueur qu'on n'attendait plus. Et ouf, l'humanité... Et par le tampon finalement apposé, enfin, la promesse de l'avenir. Et ouf, Khadija !
Et de nouveau, son port de déesse, et de nouveau son avenir. Et réchauffant le ciel lillois du soleil qu'est son sourire, ce fut, pour Khadija, enfin, le plus bel été. Et la promesse, pour mes enfants, de la retrouver à la rentrée... Merci l'humanité ! Merci Madame !
...
Ou comme il est bon de voir que parfois les élus entendent, écoutent, et... agissent encore.