Procès du Carlton, débat autour de la pénalisation des clients, liberté de se prostituer, j’ai eu envie de partager ce témoignage. On pourra m'objecter que toutes les prostituées ne sont pas victimes de réseau, je ne le nie pas...
J’ai rencontré Blessing, 21 ans, à Strasbourg, à l’occasion d’un reportage sur l’Accueil Sécurisant (Ac.sé), un dispositif national permettant d’héberger des personnes victimes de la traite des êtres humains nécessitant pour leur sécurité un éloignement. Son prénom a été modifié et pour ne pas la mettre en danger, j’ai volontairement été très vague sur les lieux où elle a séjourné. J’ai essayé de rendre le plus fidèlement ce récit. « Ma Madame » est par exemple le terme utilisé pour désigner la maquerelle.
Ce témoignage est paru dans le numéro des Actualités sociales hebdomaires (ASH) du 19 juin (www.ash.tm.fr) au sein d'un article intitulé Lutte contre la traite des êtres humains-protection rapprochée
« Quand je suis partie du Nigéria, la Madame qui m’a fait venir m’a dit que j’allais me prostituer. J’ai fait le serment de rembourser ma dette. Celle-ci s’élevait à 60 000 euros. Je n’avais aucune idée de ce que ça représentait. Quand elle m’a dit qu’en quelques mois ce serait fait je l’ai crue.
Je suis arrivée, fin 2013, en avion et j’ai très vite été sur le trottoir. Je n’aurais jamais pu imaginer ce que j’allais vivre : j’ai subi des insultes, je me suis fait battre. Un client m’a même poussée dans une rivière en dehors de la ville. Ce jour-là, j’ai cru mourir. J’ai réussi à sortir de l’eau, j’étais trempée, j’avais froid, je n’avais aucune idée de l’endroit où j’étais. Après avoir marché, je suis arrivée dans une station-service, ils ont appelé la police.
J’ai rencontré des membres d'une association qui travaillait dans la rue avec les prostituées : ils distribuaient des préservatifs, nous donnaient du thé, du café. On parlait. Ils me demandaient si j’aimais ce boulot. Plusieurs fois les gens de l'association sont venus me chercher à l’hôpital après que j’ai été blessée. Ils m’ont demandé pourquoi je continuais alors que c’est si dangereux. Je leur disais que j’étais fatiguée, que j’en pouvais plus de rester dans la rue, de me faire battre. Ils m’ont alors proposé de rentrer au Nigéria, m’ont dit qu’ils pouvaient m’aider à repartir, qu’on me donnerait 2000 euros. J’ai voulu réfléchir pendant une semaine
J’ai finalement été emmenée en Espagne, j’y avais une amie. C’était la crise. Au bout d’un mois, la Madame m’a dit de rentrer en France.
J’ai travaillé pendant sept mois. En sept mois, j’avais à peine pu rembourser 3000 euros. Il fallait tout que je paye : 300 euros pour des vêtements, 400 euros pour un récit dans le cadre d’une demande d’asile à l’Ofpra »
Les réseaux de proxénétisme font déposer des dossiers des demandes d’asile aux jeunes femmes. Pendant le temps de la procédure, elles sont en règles administrativement et même si elles sont arrêtées par la police, elles ne risquent pas d’être reconduites à la frontière
« Je me suis dit qu’il allait me falloir des années, cinq, voire dix ans pour rembourser les 60 000 euros de ma dette.
Je suis retournée toute seule en Espagne, J’ai fait plusieurs aller-retour entre la France et l’Espagne pour suivre ma demande d’asile. J’étais en froid avec ma Madame. Des gens lui avaient dit que je gagnais beaucoup d’argent, que j’en envoyais même à ma famille. Je n’ai jamais été frappée, mais ma Madame m’appelait et me hurlait dessus. Ca me retournait la tête, je ne savais plus où j’en étais. Ma Madame a ensuite voulu faire pression sur ma famille. Par téléphone, j’ai appris que le féticheur exigeait que mes parents aillent prêter serment devant la secte Ayelala, une secte vaudou très puissante, qu’ils ne toucheraient pas d’argent de ma part. Mon beau-père étant très chrétien, il a refusé que ma mère participe à des rites vaudous. Avant de partir en France, quand j’avais prêté serment, je n’y avais pas mêlé ma famille, je n’avais engagé personne.
En Espagne, ma copine avait décidé d’arrêter la prostitution car elle était enceinte. J’ai travaillé dans un bordel : on ne me donnait presque rien, à peine de quoi manger. Je me disais que ce n’était pas pour ça que j’étais venue en Europe. Je voulais une autre vie !
Un jour, ma demande d’asile a été refusée. C’est là que j’ai décidé que c’était fini, j’ai parlé du réseau. J’ai dit aux gens de l'association qui me suivait que je voulais quitter la ville, ils m’ont envoyée à Paris. J'ai été ensuite orientée vers l’Ac.sé et aidée pour mon appel devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Je n’ai pas déposé plainte, je ne veux pas que ma famille ait des ennuis.
Maintenant, je suis hébergée dans un foyer, la CNDA accepté ma demande, j’apprends le français, je veux trouver un travail, faire marcher mon cerveau.
Un jour, dans très longtemps, si je ne suis plus en danger là-bas, j’aimerais pouvoir rentrer dans mon pays. Parler aux jeunes, aux enfants. Je voudrais leur dire qu’on peut aussi réussir sa vie au Nigéria, que ce n’est forcément pas la peine d’aller en Europe. Un jour peut-être, dans très longtemps. ..