Question de méthode, avec un petit aperçu théologique. To the happy few.
Considérez quelque oiseau, un drôle d'oiseau de préférence. Nous le nommerons « Volaille V. »
Volaille V. a une existence en lui-même, depuis sa sortie de l'oeuf qui fut couvé par Volaille V. mère, le temps qu'il fut nourri par cette dernière et son compagnon, sa vie depuis qu'il a pris son envol et jusqu'à sa fin inéluctable mais dont le terme n'est point connu d'avance, sauf de la Bourrique céleste. Pendant tout ce temps, il se comporte, c'est à dire qu'il a des échanges constants et variés avec l'environnement dans lequel il évolue ; il dort la tête sous l'aile, et vole au vent, souvent. Il existe et se manifeste.
Quelles représentations pouvons-nous nous faire de Volaille V. ? Diverses et variées, elles sont l'oeuvre d'autres entités, incluses dans son environnement proche ou lointain. Et ces entités développent différents points de vue, en fonction de leurs expériences diverses et des différentes liaisons existentielles qu'elles entretiennent avec Volaille V. Ses proies le voient d'un certain œil et pensent à se cacher ou à fuir, ses congénères d'un autre (d'ailleurs diversifié), aussi ses prédateurs, et les ornithologues et vétérinaires, et les disciples de Saint François d'Assise qui cherchent à l'apprivoiser pieusement, sans oublier le renard qui voit peut-être en lui son pourvoyeur en fromage.
Il apparaît assez vite, me semble-t-il, qu'il faut faire la part de la distinction et de la combinaison des deux entités (« Volaille V. » et « Ce qu'on peut penser, ressentir, et le reste, à propos de Volaille V. », Distinguer et combiner les deux constitue une troisième entité.
La première entité (Volaille V., sa vie, son œuvre) est inépuisable, déjà hypercomplexe à elle seule, et son approche est asymptotique pour quiconque veut la connaître.
La deuxième entité ( « Volaille V, sa vie, son oeuvre » comme récit ou fragments d'un récit virtuel - la variété des représentations que les gens et les bêtes se font de Volaille V.) contient entre autres la connaissance qu'en ont les êtres connaissants, telle que construite en éliminant les idées fausses : la connaissance est une représentation cohérente et plus ou moins approfondie. Elle contient aussi les diverses vues partielles ou erronées. Seule la Bourrique céleste peut avoir de Volaille V. une représentation exacte et complète.
Il faut aussi considérer les multiples rapports qui peuvent exister entre VV en soi et pour soi et leVV construit éthologiquement et sociologiquement. On touche alors à la sociologie de la connaissance et à l'épistémologie, ce qui nous fait braire d'aise, et arrêter un instant pour prendre quelque repos en broutant.
Les choses se compliquent encore lorsque nous ajoutons à toute cette réalité déjà fort complexe un autre aspect : VV tel qu'il devrait être (et s'il n'est pas tel qu'il devrait être, alors tel qu'il devrait être changé), en faisant intervenir nos normes et désirs.
Pour la Bourrique céleste, pas de souci : elle embrasse d'un seul coup d'oeil Sa créature telle qu'elle est, y compris le potentiel de changement dont de toute éternité Elle l'a doté, et lui tend Son saint sabot pour qu'il s'y perche et assure son salut ; car Sa claivoyance et Sa bonté sont infinies.
Pour nous autres mortels, si sages et sagaces que nous soyons, les choses ne sont pas aussi aisées. Nous pouvons avoir et développer diverses conceptions du sens de l'Histouarre et du changement désiré en Volaille V. Tel cuisinier le voudrait plus gros et plus gras et mesure son destin à l'aune de sa broche. Tel fabricant de trucs en plumes espère qu'il développera un beau plumage ; etc.etc. Bien sûr chacun croit déceler en VV la potentialité qui satisferait le mieux ses propres besoins.
Il y a donc tout un ensemble de « récits » (comme on dit) de VV tel qu'il devrait être qui vient « impacter » (comme on dit encore) les représentations qu'on se fait de lui, voire, in fine, sa réalité même. Comme un grand homme l'a dit, ces choses-là sont rudes.
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