Certes, en 2018 tout comme en 1968, les travailleurs travaillent (sauf les chômeurs et les malades), les décideurs décident, les possédants possèdent et les non-possédants galèrent. Et de très fortes inégalités séparent ceux qui produisent le surproduit social et ceux qui se l'approprient. Rien n'est plus vrai, et je pense que là-dessus nous pouvons être d'accord pour constater les choses.
Il y a cependant des évolutions depuis cinquante ans, et cela tant dans les choses elles-mêmes et leurs contradictions, que dans les facteurs qui influent sur l'analyse et sur les représentations qu'on peut se faire de l'ensemble. Il y aurait là-dessus deux développements à élaborer, l'un sur l'évolution du réel (mondial, européen et français), depuis cinquante ans, l'autre sur l'évolution du système de représentation du réel (et un troisième, pendant qu'on y est, sur les influences réciproques des deux évolutions...).
Et « en même temps, pardon de vous le dire », sur le plan général , c'est comme ça depuis « toujours » : l'Histoire écrite jusqu'à présent est sous-tendue par la lutte des classes, cf le Manifeste du Parti communiste. Depuis très longtemps les travailleurs travaillent (sauf les chômeurs et les malades), les décideurs décident, les possédants possèdent et s'approprient le surproduit, et les autres galèrent. Le problème est de savoir ce qu'on peut y changer, et comment. Les idées qu'on se faisait encore en 1968 à ce sujet n'ont certainement plus la même prégnance.
Marx et Engels laissent entendre que les classes dominées deviennent montantes puis dominantes à leur tour grâce aux révolutions. Ils en donnent une bonne illustration pour la bourgeoisie, classe montante puis dominante (processus qui s'est poursuivi bien après la parution du Manifeste).
Le raisonnement est très aventureux pour les changements précédents : l'esclavagisme antique n'a pas été aboli par les esclaves constitués en classe révolutionnaire, ni le féodalisme par les serfs. Il n'y a pas de raison historique et rationnelle pour que la classe ouvrière industrielle telle qu'elle existait au XIXème siècle ou telle qu'elle existe encore aujourd'hui au Bangla Desh par exemple, se constitue en « classe montante » puis, à l'issue d'une révolution, « dominante ». Il n'y a que des « raisons » métaphysiques, philosophiques, c'est en définitive une croyance religieuse (encore très courante en mai 68 et au-delà. Le prolétariat est privé (comme les esclaves d'autrefois) de toute prise sur l'Histoire pour sa partie paupérisée, et il se déprolétarise pour la partie la plus évoluée.
La lutte des classes a-t-elle disparu ? Non, mais elle a totalement changé d'aspect (le monde s'est bien davantage transformé entre 1968 et 2018 qu'entre 1846 et 1896...)., et échappe aux vieux périscopes rouillés du marxisme messianique. La lutte pour le progrès profitant à tous et à l'espèce ne réside plus là.
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