Si on prête au Peuple une réalité au premier degré (qui, on, du reste? Sinon des gens intéressés), alors on va jusqu’à lui prêter comme à une personne les pensées, opinions, etc. qu’on a soi-même. Et si on est sûr d’avoir raison, alors les contradicteurs ont tort, et sont des ennemis du Peuple, forcément. Alors, dziiiium, tchac ! (voir la Terreur, 1793-1794). On ira même jusqu’à inventer la « portion du peuple », comme dans la Déclaration de 1793, art. 26 et 35). Imaginez les « portions du peuple » se tortillant comme des segments de vers de terre.
Et nul besoin de séparation des pouvoirs: une Assemblée unique sera l’instrument idoine pour représenter le Peuple, qui est un (malgré ses portions). Un comité représentera l’Assemblée unique, un dictateur animera le comité; et dziiiium, tchac ! dziiiium, tchac ! Il faut absolument que le Territoire entre dans les schémas de la Carte, sinon, qu’à cela ne tienne, on entreprendra de remodeler le Territoire, avec vigueur.
Les marxistes ont raffiné, avec une « carte » plus souple, où de nouvelles figures surgissent et remplacent le monocolore (ou tricolore) Peuple souverain. On a maintenant la Bourgeoisie, le Prolétariat, la Paysannerie; les couches moyennes restent plurielles et diverses, parce que théoriquement incapables d’exprimer une politique indépendante.
On ne dira plus: « le Peuple veut », mais « la Bourgeoisie veut ceci, le Prolétariat, son antagoniste, veut cela ». Bien entendu la volonté de la Classe ouvrière est vite confisquée par le Parti nécessaire à sa constitution en classe « pour soi » (Marx), le Parti lui-même se concentre (et sa volonté) dans le Comité Central (Lénine) et le Comité Central en son Secrétaire général et génial (Staline). De « carte » en « carte » la représentation se fait de plus en plus schématique. On sait où cela conduit.
(à suivre)
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