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Billet de blog 23 septembre 2011

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Sexe, mensonges et équilibre budgétaire.

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-Allons, Melchior,on t’écoute.

1789

Les Constituants de 1789, qui étaient des gens avisés, nous ont légué quelques lignes sur la question du budget, qui figurent toujours dans notre Constitution, et qui méritent d’être méditées.

« Art. 13. Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable; elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.

Art. 14. Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.

Art. 15. La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. »

Contribution commune et publique, répartie entre tous avec justice; ce qu’il faut pour couvrir les besoins; le tout justifié, déterminé, contrôlé par le peuple.

Nous pouvons nous représenter clairement le budget de l’Etat, voulu par les citoyens, adopté chaque année par leurs représentants, exécuté par le pouvoir exécutif, budget qui met en regard les recettes légitimes (« contribution ») et les dépenses légitimes (entretien de la force publique, dépenses d’administration).

Il va de soi, à cette époque, qu’on en finit avec le détestable Déficit représentatif de l’Ancien régime qu’on est en train d’abolir. L’égalité comptable: dépenses = recettes, ne fait que traduire fidèlement l’égalité réelle: entretien de la force publique et frais d’administration exactement couverts par la contribution que les citoyens se demandent à eux-mêmes.

Dépenses = Recettes,

Cela du point de vue comptable comme du point de vue réel, qui ne font qu’un ici.

2011

Transportons-nous 222 ans plus tard. Horreur ! Voici revenus les impôts abhorrés, en lieu et place de la civique contribution. Le hideux Déficit est de retour, en lieu et place du vertueux équilibre. On parle même de « privilégiés » en lieu et place de l’Égalité promise. Serions-nous malencontreusement retournés en 1787, « en lieu et place » du XXIème siècle ?

Pour ce qui est de la dette de l’Etat, elle est gigantesque, et en augmentation auto-entretenue. (Voir les chiffres dans Wikipédia, entre 1500 et 2000 milliards d’euros, suivant la méthode de calcul, en 2011) Chacun de nous doit au moins 24 000 €, au titre de la dette publique. C’est énorme, et cela pèse sur notre vie quotidienne et sur nos espoirs quant au futur.

Certes nous avons toujours l’égalité comptable:

dépenses = recettes,

mais c’est au prix d’un artifice assez malsain: ajouter, côté recettes, un déficit annuel couvert par les emprunts que font les pouvoirs publics pour boucler le budget, et, côté dépenses, un service annuel de la dette (remboursements + paiement des intérêts).

Dépenses réelles + service de la dette = recettes réelles + déficit.

Comme d’année en année le déficit grandit, le service de la dette grandit aussi. En période de croissance, ce n’est pas très gênant, car recettes et dépenses réelles augmentent du même pas. Hors croissance, cela devient préoccupant, puis lancinant, puis dramatique. Il vient un moment où le plus clair des recettes passe en service de la dette, dépense presque totalement improductive: son seul intérêt est de permettre de contracter de nouvelles dettes, pour couvrir le service de l‘année suivante…

À quoi cela tient-il ?

Il y a quatre raisons.

La première tient aux tribulations historiques. La guerre, à partir de 1792 et jusqu’en 1962. Entre deux guerres: réparations, préparation. Les guerres européennes, coloniales, mondiales, font que, même quand la monnaie est stable et les finances saines (au 19ème, la France est le banquier de l’Europe) la dette s’installe et fait le bonheur des rentiers (qu’on se souvienne du « 3% perpétuel »).

Raisons plus nobles: l’Etat-providence (Welfare state), et le keynésianisme. Etat-providence: à 1789 il faut joindre 1946: l’obligation pour l’Etat de veiller vaille que vaille à ses obligations extra-régaliennes: plein emploi, protection sociale, éducation. « La Nation (…) garantit à tous (…) la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui (…) se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. » Keynésianisme: l’Etat peut avoir besoin, dans le cadre de la politique contra cyclique , d’engager des dépenses créatrices d’un déficit. Aussi bien la charge de la protection sociale que les nécessités contra cycliques fondent la nécessité d’un déficit structurel.

Cette situation de fait est accrue par le passage des « 30 glorieuses » aux « 40 piteuses »: la croissance très ralentie fait que les ressources réelles sont amoindries, mais il n’y a pas moins de besoins, bien au contraire, d’où l’accroissement du déficit et le gonflement de la dette.

Enfin il y a les effets de la « dictature financière ». En économie de marché, on observe un cycle « M. A. M »: la réalisation des marchandises produit une somme d’argent qui est réinvestie pour la production de marchandises. Marx a montré que la logique capitaliste conduisait à un cycle « A. M. A » : le capital s’investit pour produire des marchandises, dans le but d’en réaliser la valeur et d’augmenter le capital. On entre alors dans la logique du capital financier. Nous restons jusque là dans l’économie réelle. Mais la sphère financière s’autonomise, quitte l’investissement dans la sphère réelle pour la spéculation, se pose en prédatrice, dans un cycle « A. A. A. », apparemment incontrôlable, et qui, au contraire, finit par contrôler les finances des Etats.

Que faire, à présent ?

Il faut d’abord desserrer l’étau, dans l’urgence. Il appartient aux États et organisations supra-étatiques de négocier avec les financiers. Ils en ont les moyens s’ils sont unis (et, bien évidemment, s’ils ne se mettent pas au service de leur adversaire. service) On peut obtenir un rééchelonnement général, voire un moratoire et une remise à plat.

Il faut aussi maîtriser la bête financière. Ne pas la tuer, elle est utile pour les investissements; mais l’empêcher de spéculer, et plus généralement d’avoir des comportements prédateurs. C’est affaire de régulation nationale et internationale, et cela exige le contrôle des banques par les pouvoirs publics.

Il faut rendre au déficit conjoncturel éventuel (le muscle) son rôle d’instrument contracyclique; pour cela il faut lutter contre le déficit structurel (la mauvaise graisse). Revenir aux principes de 89 pour le contrôle citoyen, revenir aux principes de 46 pour l’utilisation des dépenses: choisir ce qui est utile à l’ investissement productif et au maintien de la cohésion sociale. S’en tenir au possible, mais à tout le possible.

Il y a donc un équilibre à conserver entre les dépenses réelles et les recettes réelles (le déficit réel doit être maîtrisé), entre le service de la dette et les emprunts, entre le service de la dette et les recettes réelles, entre les recettes réelles et les emprunts. Ces différents ratios doivent varier dans des limites prévues et tendre vers un optimum déterminé par le calcul.

- Hum, ne t’aventure pas dans le calcul, Melchior.

- Voilà donc pour l’équilibre budgétaire. Et le sexe, ô Melchior ?

- On dit qu’en 1453, tandis que les Turcs donnaient l’assaut final à Constantinople, les moines, à Sainte Sophie, discutaient du sexe des anges, et n’arrivaient pas à se mettre d’accord.

- Et les mensonges ?

- Oh, les mensonges, les mensonges, ce n’est pas ça qui manque.

Le fil de ce billet est placé sous la bienveillance vigilante de la communauté médiapartienne et conclubiote.

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